Études sociales des sciences Quand la démocratie technique redessine les frontières entre sciences, politiques et société Analyse de deux ouvrages du champs de Sciences studies
Publié le 23/02/2023
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Études sociales des sciences
Quand la démocratie technique redessine les
frontières entre sciences, politiques et société
Analyse de deux ouvrages du champs de Sciences studies
20 janvier 2023
Travail réalisé par Félicia Fasel
sous les directives du Pr.
Jérémie Forney
MA 1, sciences sociales
Institut d’Ethnologie
Université de Neuchâtel
Année académique 2022 - 2023
Ce commentaire tente de mettre en dialogue l'œuvre Agire dans un monde incertain :
Essai sur la démocratie technique (2001) –co-écrit par Michel Callon, Pierre
Lascoumes et Yannick Barthe– avec la thématique «Sciences et politiques» du livre
Sciences, techniques et sociétés de Bonneuil et Joly (2013) .
L’objectif de ce travail est
donc de comprendre l’apport principal du premier ouvrage auprès du second.
Pour se
faire, une brève synthèse non exhaustive des idées phares de l'œuvre de Callon et ses
collègues sera élaborée en se focalisant sur les différents modèles et idées empruntés par
Bonneuil et Joly dans leur écrit.
Concrètement, au travers de cette mise en perspective,
il sera question de discuter la délimitation entre sciences, politiques et citoyenneté; de
revenir sur la «société du risque» de Beck évoquée dans les deux œuvres; de
questionner le concept de «controverses» ; d’introduire les «forums hybrides»; et de
mobiliser différents modèles de démocraties.
L’ouvrage Agir dans un monde incertain (Callon et al., 2001) est une œuvre au ton
militant qui tente de légitimer les voix des citoyen.nes dans le processus de décisions
scientifiques, techniques et politiques.
Empruntant à Beck le modèle de «société du
risque» (dans Bonneuil et Joly, 2013, p.51), où la confiance de la population envers
l’expertise scientifique et technique, ainsi que le gouvernement se voit ébranlée par les
conséquences désastreuses de décisions politiques durant la Seconde Guerre Mondiale,
Callon et ses collègues justifie le besoin ressenti par le peuple de s’organiser
collectivement pour parer ces doutes et prendre part aux décisions.
Cet ouvrage défend
ainsi le dialogue de toutes les sphères de la société, tout en questionnant
l’inébranlabilité de la place de l’expertise scientifique dans la prise de décisions
politiques, et en démystifiant «une science neutre qui parvient à trouver La Vérité».
Pour se faire, ils critiquent notamment la «traduction» des défis et recherches du «grand
monde» qui se voient réduit à un petit espace contrôlé qu’est le laboratoire (Callon et
al., 2001, p.75).
Et c’est justement ce fait de produire de la connaissance dans ces petits
espace clos que sont les laboratoires –que les auteurs nomment «recherche confiné »– et
qui s’opposent à la «la recherche de plein air» menées par des profanes –c’est-à-dire des
non-scientifiques– en collaboration avec des chercheur.euses (Callon et al., 2001).
Ainsi, les savoirs se construisent par des allers-retours entre la société tout entière et les
laboratoires surnommés «manufactures de la connaissances» (Callon et al., 2001, 147),
faisant ainsi échos à l’initiative de Bruno Latour, à travers son ouvrage Microbes, guerre
et paix (dans Pestre, 2006) , qui retracent l’histoire des travaux de Pasteurs sur les
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microorganismes, en la racontant au-delà des murs du laboratoire afin de montrer
comme le social impactent les sciences, et d’en saisir les dynamiques.
Dans
cette
démarche,
Callon
et ses
collègues prônent
les
«controverses
sociotechniques» afin d’améliorer la prise de décisions et réinventer la démocratie.
Ces
dernières sont comprises comme des débats et discussions sur des thématiques
scientifiques et techniques entretenues tant par des chercheur.euses, des profanes et des
personnes dirigeantes, mêlant complexité technique et sociale.
Les auteurs considèrent
que les controverses sociotechniques:
«tendent à faire émerger, par essais et erreurs, par reconfigurations progressives des
problèmes et des identités, un monde commun qui soit non seulement habitable mais
également vivable et vivant, non pas fermé sur lui-même, mais ouvert à de nouvelles
explorations et à de nouveaux apprentissages.
L’enjeu, pour les acteurs, n’est pas seulement
de s’exprimer ou d’échanger, ou encore de passer des compromis ; il n’est pas seulement de
réagir, mais de construire.» (Callon et al., 2001, p.59)
Ainsi, pour eux, les controverses au sein du débat public sont une réelle force de
proposition et d’actions qui renforcent l'expertise.
A l’instar de Collins, dont les
controverses se restreint à la sphère scientifique pour parvenir à un consensus (dans
Pestre, 2006), Callon et ses collègues élargissent les débats technoscientifiques aux
restes de la population, ce que Beck nomme «scientifisation secondaire» (dans Bonneuil
et Joly, 2013, p.
23).
Ces controverses prennent place au sein de «forums hybrides»,
concept-clé présenté dès le premier chapitre de cet Essai sur la démocratie technique
(Callon et al., 2013) et qui en est l’un des fils rouges de cette oeuvre, se définissant
comme:
«[des espaces] ouverts ou des groupes peuvent se mobiliser pour débattre de choix
techniques qui engagent le collectif.
[Ils sont hybrides car] ces groupes engagés et les
porte-parole qui prétendent les représenter sont hétérogènes : on y trouve à la fois des
experts, des hommes politiques, des techniciens et des profanes qui s’estiment concernés.
Hybrides, également, parce que les questions abordées et les problèmes soulevés
s’inscrivent dans des registres variés [...].» (Callon et al., 2001, p.36)
Tout au long du livre, des exemples de forums hybrides émergeant dans des situations
inattendues et chaotique sont présentés (comme dans le cas de la vache folle, du SIDA,
ou encore des organismes génétiquement modifiés).
Les frontières des catégories
d’expert.es et de profanes, ainsi que leur légitimité dans le processus décisionnel, sont
alors redessinées, voire gommées, faisant valoir une égalité entre les deux.
Ce qui
pourrait poser problème, comme le soulignent Bonneuil et Joly dans le troisième
chapitre de leur livre (2013).
En effet, laissant la porte grande ouverte aux doutes, le
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risque est de construire une société qui bascule entièrement dans le relativiste, où la
prise de décisions devient impossible.
Pour contrer ce danger, les auteurs de Sciences,
techniques et sociétés convoquent la vision de Collins qui, au contraire de Callon et ses
collègues, proposent de bien faire la distinction entre les connaissances scientifiques et
non-expertes, tout en réhabilitant d’autres types de savoirs et en faisant participer
l’ensemble de la population au processus décisionnel.
Cette vision fait échos au modèle de «démocratie participative», avancé par
Rosanvallon (dans Bonneuil et Joly, 2013, p.73), qui détient également une part de
risque, comme le souligne ce dernier:
«Alors que ces mouvements [participatifs] portaient le projet d'une citoyenneté plus
directement active et d'une plus forte autonomie dans toutes les sphères de leur existence, la
participation est aujourd'hui une nouvelle façon de gouverner.
Que les initiatives de mise en
place de dispositifs participatifs relèvent le plus souvent des autorités gouvernementales
elles-mêmes en est l'un des signes.
On est donc loin de l'idéal de la démocratie
participative.» (idem.)
En d’autres termes, une démocratie dite «participative» a comme objectif tacite de
légitimer le gouvernement mis en place et les décisions qu’il prend, en «donnant
l’impression» au peuple d’en être acteur.
Pourtant, les initiatrices de ces dispositifs
participatifs restent les autorités «compétentes».
Ainsi, comme l’explique Callon et ses
collègues, une «manière de se débarrasser des forums hybrides,
sans pour autant
réprimer purement et simplement les prises de paroles qu’ils autorisent, est de les
instrumentaliser» (Callon et al, 2001, p.
211).
Et pour se faire, ils explicitent deux
façons perverties et détournées d’instrumentaliser les forums hybrides.
La première les
mobilise afin de donner la parole au peuple dans le but d’utiliser les....
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