Lois de Kepler (Sciences & Techniques)
Publié le 22/02/2012
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Sans aller aussi loin que Hanson au XXe siècle, deux contemporains de Newton, David Gregory et William Whiston,estiment que le savant anglais rend insuffisamment justice à Kepler.
Celui-ci a, selon Gregory, " saisi le parfum " de la physique céleste que, plus tard, Newton a " élevé à un tel degré de perfection que le monde entier en a été surpris "; Whiston, lui, voit en Kepler le " père de la philosophie newtonienne ".
Sans s'aventurer trop loin dans les détails de leurs œuvres, tentons de dissiper la confusion entourant les mérites del'un et de l'autre.
Remarquons tout d'abord que Kepler lui-même était conscient de certaines limites.
Il savait ainsique ses observations de la distance Mars-Soleil souffraient d'une précision insuffisante pour trancher définitivemententre les formes ovales de toutes natures de l'orbite et celle d'une ellipse particulière (sa "première loi").
Par ailleurs,sous sa plume, la règle des aires balayées exprime en premier lieu une hypothèse : une vertu immatérielle, issue duSoleil, pousse les planètes selon des trajectoires circulaires, avec une lenteur croissante en fonction de la distanceau Soleil.
Au début, Kepler considère d'ailleurs cette règle comme une approximation : ce n'est que plus tard qu'il yvoit l'expression exacte de son hypothèse.
Une fois cette règle admise, Kepler s'aperçoit que la distribution des airessur une orbite s'approche de celle qu'on rencontre sur une ellipse.
Toutefois, comme l'a remarqué D.
T.
Whiteside en1974, dans le chapitre 58 de l'Astronomia nova , Kepler s'abuse lui-même en pensant avoir démontré empiriquement que toute autre possibilité était exclue.
A l'examen, l'origine de ses deux premières "lois" réside dans cette hypothèse d'une vertu immatérielle, qu'aujourd'huinous pouvons difficilement admettre.
Tout comme Newton en son temps, d'ailleurs...
La fondation théorique ouempirique de chacune des deux premières "règles" de Kepler, celles des orbites elliptiques et des aires balayées, estdonc plus que discutable.
En revanche, on peut gratifier Kepler d'avoir réussi à vérifier, avec une précisionadéquate, la combinaison de ces deux règles.
Mais il est alors fallacieux de parler de "lois" keplériennesindépendantes.
Qui a modifié le statut des "règles" de Kepler pour les ériger en "lois"? Voltaire lui-même...
Dans ses Elémens de la philosophie de Neuton , publiés en 1738, il écrit à propos de la règle des aires : " Cette loi inviolablement observée par toutes les Planètes...
fut découverte il y a près de 150 ans par Kepler, qui a mérité le nom de Législateur enAstronomie, malgré ses erreurs philosophiques.
Il ne pouvait savoir encore la raison de cette règle...
L'extrêmesagacité de Kepler trouva l'effet dont le génie de Neuton a trouvé la cause.
" Voltaire appelle également la troisièmerègle une "loi" et ajoute que " Kepler, qui trouva cette proportion, étoit bien loin d'en trouver la raison...
" Enfin, si Voltaire ne nomme pas explicitement l'ellipticité des orbites une "loi", il en fait l'une des trois prémisses empiriquesmenant à la loi de la gravitation en 1/R2 : les deux autres étant, selon Voltaire, la troisième règle de Kepler et lecalcul comparatif de Newton entre la chute d'une pomme et celle de la Lune.
Ici, Voltaire ne fait que reprendre uneaffirmation d'Henry Pemberton, tirée de son ouvrage, A View of Sir Isaac Newton's Philosophy , paru en 1728 : " Puisque chaque planète se déplace selon une ellipse et que le Soleil est placé en l'un des foyers, Sir Isaac Newtonen déduisit que la force varie inversement et en proportion double de la distance au Soleil .
" Pemberton, qui a été l'éditeur de la troisième version des Principia, aurait dû être plus avisé : dans le Système du Monde de Newton,l'ellipticité des orbites n'est nullement une prémisse empirique...
D'où provient l'usage du terme "lois", mis en œuvre par Voltaire? Au Moyen-Age, une "loi naturelle" représente l'un deces décrets divins par lequels toute chose reçoit sa nature.
Au XVIIe siècle, la philosophie mécanique gagne duterrain : le terme s'applique alors à " ces règles du mouvement et à cet ordre régissant les choses corporelles ", tels que Dieu les a établis (Robert Boyle).
Les trois " Axiomes ou lois du mouvement " de Newton, par exemple, font partie de cette catégorie.
Newton utilise aussi le terme "loi" pour qualifier des relations mathématiques, telle " la loide la force centripète s'exerçant en direction du foyer de l'ellipse ".
En revanche, il ne l'applique jamais pour desrésultats empiriques, si bien confirmés soient-ils, tels ceux de Kepler.
Dans ses " règles nécessaires pour philosopher ", rédigées pour les deuxième et troisième éditions des Principia , Newton réfléchit sur ces propositions obtenues " à partir des phénomènes " :
" En Philosophie expérimentale, les propositions que l'on réunit par induction à partir des phénomènes doivent êtretenues pour vraies, puisque des hypothèses contraires ne leur font pas obstacle, soit précisément, soitapproximativement, jusqu'à ce que se présentent d'autres phénomènes qui, soit les rendent plus précises, soit lesaffranchissent d'exceptions. "
Ce choix pragmatique lui permet d'échafauder sa théorie de la gravitation qui, mystérieusement, attire des corps "àdistance".
Mais il constitue un défi lancé aux cartésiens et à Leibniz qui professent, sur des bases métaphysiques,que toutes les forces doivent s'exercer par contact.
Les partisans de Newton identifient dans cette affirmation deleur maître une résurgence de la philosophie de Francis Bacon, telle qu'elle est exposée dans le Novum Organum (1620).
Voltaire appelle d'ailleurs Bacon " le père de la philosophie expérimentale ".
Selon ce courant, la philosophienaturelle doit se construire sur une solide base de résultats expérimentaux : elle progresse, petit à petit, paraccumulation.
Le glissement sémantique, qui voit ces règles ou propositions se transformer en "lois", provient de l'undes newtoniens lus par Voltaire, Willem Jacob 'sGravesande.
Ses écrits font en effet appel à ce substantif législatifau sujet des " propositions réunies par induction à partir des phénomènes "..
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