Zaher Chah, roi lointain
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
«
à son importance stratégique.
Comme l'écrivait Gilbert Etienne en 1973 : « Peu de pays sous-développés ont bénéficié d'appuisfinanciers et techniques aussi massifs.
» Les Afghans avaient trouvé un nom pour ce profitable jeu de bascule, « bi-tarafi »,littéralement « sans côtés » (Louis Dupree, Afghanistan, Princeton University Press, 1978).
Béton soviétique contre bitume américain, dans une fructueuse émulation, l'Afghanistan se couvrit de routes, d'aéroports auxpistes capables de recevoir des avions gros-porteurs qu'il ne possédait pas, projets évidemment plus stratégiquesqu'économiques ; les voies descendant du Nord serviront aux chars soviétiques en 1979.
Daoud, surnommé le prince rouge,privilégiait ses liens avec Moscou ; les Etats-Unis répliquèrent avec une stratégie du « dollar pour dollar ».
Mais, à l'image de cesfleuves afghans qui vont se perdre dans les sables du désert, une bonne partie de cette assistance massive se dilua dans lacorruption, la bureaucratie et les projets de prestige.
D'autant que son but ultime était moins de développer le pays que de servirl'intérêt de ses bailleurs de fonds.
COMME le progrès économique, la démocratie se faisait attendre.
Zaher Chah n'autorisa jamais les partis politiques.
Lapremière expérience parlementaire (1949-1952) s'acheva par des arrestations massives.
Des opposants qui avaient cru auxpromesses du palais croupirent en prison.
La seconde, qu'il engagea lui-même en 1964, réussit mieux ; les premiers ministresprésentaient des textes, les députés les contestaient ou les votaient.
Mais les commandes restaient aux mains de quelques dizainesde grandes familles et le pouvoir monopolisé par les Pachtounes : ils étaient dix sur les douze membres de son premiergouvernement, dont quatre issus de sa tribu, les Durrani.
Les 90 % de ruraux, analphabètes, étaient représentés par des nobles etdes propriétaires locaux, tandis que Kaboul avait élu quelques députés de gauche, qui deviendront les chefs du régimecommuniste.
Le roi sombrait dans l'inertie, une prudence maladive qui le poussait à faire traîner sans fin des projets qu'il avait lui-mêmeacceptés.
Loin de calmer les oppositions, cette prudence ne fit qu'enflammer la colère des mollahs, précurseurs des chefsmoudjahidins les plus islamistes et des talibans, sans apaiser les frustrations de la gauche urbaine, militaires et fonctionnaires sous-payés, étudiants sans emploi, futurs adversaires dans des combats sans pitié.
On peut comprendre que non-pachtounes,islamistes ou ex- communistes aient pu être hostiles à une médiation du roi dans lequel certains voyaient même un « complotimpérialiste ».
ZAHER CHAH passait une partie de son temps à l'étranger, prenait les eaux en Italie.
Ses sujets ne le voyaient pas et n'avaientparfois jamais entendu parler de lui.
Michael Barry, qui a connu la « belle époque », et écrit dans la collection Petite Planète unsuperbe Afghanistan, avant de mettre son expérience au service d'organisations non- gouvernementales, raconte que, pour lapaysannerie, « il n'aura jamais été autre chose qu'un portrait sur les billets de banque, reproduisant les traits du roi tels qu'ilsétaient devenus vers 1952, le front chauve, le regard courroucé, la courte moustache militaire, le buste sanglé dans un uniforme ».Ses fils semblaient préférer la vie mondaine à l'occidentale à l'apprentissage du pouvoir.
La grande famine de 1971-1972 fit au moins 100 000 morts et montra Zaher Chah sous son plus mauvais jour.
Il ne sepréoccupa guère du sort de ses sujets, comme jamais il ne s'est rendu depuis lors dans les camps où végètent des millions deréfugiés chassés par la guerre et la faim.
Il fallut des protestations étrangères pour qu'il « autorise » la distribution d'urgence de500 000 tonnes de blé d'aide internationale.
Mais ce fut par le biais d'un programme corvée contre nourriture - rarement honoré-, car les arbabs (seigneurs) et les fonctionnaires avaient tout accaparé.
« Peace corps » dans la province de Kalao-i-Nao, au nord-est d'Herat, Michael Barry a raconté ce qu'il avait vu : « Commeles autres, les paysans de Djawand se précipitèrent à l'entrepôt pour acheter du blé à n'importe quel prix.
Les tonnes de grains'entassaient sous un gourbi misérable au-dessus des falaises de la Fissure, sur la piste de Kalao-i-Nao, d'où pouvaient venir,l'été, les camions.
Pour y accéder, une grimpée éreintante dans la neige molle.
Et c'était dans le fief de l'arbab Agha-Djou, lemaître des Canaux, dit « le Fou ».
L'intendant royal, gros homme glabre enturbanné avec une oreille ébréchée comme à coups deciseaux, refusait sèchement, à haute voix glapissante, de vendre du blé à moins de dix fois le prix officiel, sous l'oeil atone du Fou.Les paysans n'avaient que le choix d'acheter du blé chez certains arbabs à huit fois le prix officiel seulement, s'ils le désiraient ;sans quoi, gémissait le fonctionnaire, ils pouvaient aller se faire sodomiser ! » Passivité, désintérêt pour ces êtres lointains,méconnaissance du pays réel dissimulé par des courtisans serviles, toujours est-il que Zaher Chah préféra se réfugier dans unestation thermale italienne.
Ses yeux étaient malades ! C'est d'Italie qu'il apprendra sa destitution.
Depuis, il a tenté de rallier sescompatriotes en faveur d'une alternative « unitaire » au pouvoir communiste, dont il rejettera les offres.
Plus tard, après un fauxpas qui l'avait amené à faire des avances aux talibans victorieux, il a pris ses distances face à un mollah Omar qui affirmait, contretoute réalité, que la monarchie était anti-islamique et menaçait de le pendre s'il rentrait au pays.
Reconnaîtrait-il cet Afghanistan,qu'il a quitté il y a près de trente ans, si jamais les événements devaient lui permettre d'y retourner ?
PATRICE DE BEER.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Zaher Chah
- oedipe roi - Sophocle
- Louis XIV: POURQUOI LE ROI SOLEIL ?
- Commentaire Littéraire La Mort du roi Tsongor, Laurent Gaudé
- Voyager à travers le temps (6) : Louis XIV Découvrir Le Roi Soleil Matériel : une photocopie agrandie du portrait ou une copie du tableau de H.