Yoshida, l'homme qui gagna la paix
Publié le 17/01/2022
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7 décembre 1954 - Celui qu'on a parfois appelé l'Adenauer japonais restera dans l'histoire comme l'homme qui prit la direction du Japon au temps de la défaite et du désespoir, sut le réconcilier avec ses anciens vainqueurs devenus ses alliés par le traité de San Francisco, et le conduisit, porté par l'énergie de tout un peuple, jusqu'au début d'une réussite économique qui a fait la surprise du monde.
Comme Adenauer, il inaugura sa carrière d'homme d'Etat à un âge-soixante-sept ans-où d'autres prennent leur retraite. C'était en 1945, et on ne le connaissait que comme ancien diplomate des années d'entre-deux-guerres, que ses idées libérales avaient conduit à faire quarante-sept jours de prison pendant la guerre pour avoir conseillé à l'empereur de mettre un terme au conflit.
D'abord ministre des affaires étrangères, il fut fait premier ministre en 1946, pour rester presque sans interruption à la tête du gouvernement jusqu'en 1954, à travers quatre combinaisons ministérielles dirigées par lui-même. Le Japon de 1946 était encore inondé de troupes américaines, en pleine période punitive de l'occupation. L'épuration sévissait. Les Japonais crevaient de faim.
MacArthur était pour eux un nouveau " shogoun " tout-puissant devant lequel ils s'aplatissaient.
Devant MacArthur
C'est alors que MacArthur trouva devant lui ce petit homme vif, courtois et peu commode, qui, derrière son visage rond et souriant et ses lorgnons, cachait à la fois une volonté de fer et une expérience aiguë des réalités japonaises. Yoshida fut l'homme qui savait tenir tête à MacArthur. Il savait aussi, sans en avoir l'air, lui donner des leçons. Plus tard, il a fait cette confidence: " MacArthur était d'une grande ignorance quant aux choses japonaises. Je lui servais constamment de professeur. " Mais le général américain trouvait aussi devant lui une grande bonne volonté. Le Japon tout entier, libéré de l'ancienne tyrannie militaire, voulait tourner la page et devenir le bon élève de la démocratie parmi les nations. Yoshida était l'incarnation de ce nouveau Japon. La guerre froide aidant, l'occupation américaine passait peu à peu de sa phase punitive à une période bien différente d'assistance et d'amitié. L'ennemi japonais devenait pour l'Amérique un allié.
Sur le fond de tableau de la guerre de Corée, une conférence de la paix japonaise se réunit à San Francisco en 1951, boycottée par la Russie et la Chine. Yoshida et Foster Dulles sont les grands premiers rôles. Le Japon apprend avec enthousiasme la signature du traité de paix avec les Etats-Unis et les pays occidentaux. C'est la fin de l'occupation, et c'est l'indépendance. Le joyeux événement sert à faire passer, presque par escamotage, un traité simultané dit de sécurité, qui donne aux Américains de nombreuses bases militaires en territoire japonais.
L'année suivante, cependant, Yoshida va dire aux Américains un " non " d'une portée décisive. Dulles vient à Tokyo et, agitant le péril coréen et chinois, somme Yoshida d'inaugurer le réarmement du Japon.
Yoshida refuse avec énergie. Il ne consent qu'à la création d'une petite force d'autodéfense, plus police qu'armée, et les limites étroites qu'il lui assigne sont restées loi depuis lors pour tous les cabinets japonais.
La Constitution nouvelle par laquelle le Japon a renoncé aux armes et à la guerre est née d'ailleurs en 1946 sous le gouvernement de Yoshida. En politique intérieure, Yoshida, chef du parti libéral démocrate, c'est-à-dire du parti conservateur, aura été un conservateur libéral, enseignant aux Japonais le jeu d'une démocratie parlementaire modérée. L'opinion lui reprocha dans son style de gouvernement son caractère autoritaire, le surnommant " one-man Yoshida " dans un curieux sobriquet japanglais.
Mais sa retraite en 1954 allait dissiper toute ombre sur sa popularité. Sa stature n'a fait que grandir pendant ces dernières années aux yeux des Japonais, reconnaissants envers le vieil homme d'Etat qui sut les remettre sur le chemin de la réussite. Le Japon avait perdu la guerre. Yoshida lui a fait gagner la paix.
ROBERT GUILLAIN
Le Monde du 21 octobre 1967
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