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Washington abandonne la guerre des étoiles

Publié le 22/02/2012

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13 mai 1993 - La " guerre des étoiles " descend sur terre. Il n'y aura d'affrontement orbital que sur les écrans des jeux électroniques des enfants. Le très futuriste programme (appelé IDS ou initiative de défense stratégique) de bouclier spatial antimissile, lancé en mars 1983 par Ronald Reagan pour protéger les Etats-Unis des missiles assaillants, n'est plus. Il a été officiellement abandonné, le 13 mai 1993, et remplacé par un projet, plus modeste, de système de défense antimissile basé au sol, et non plus dans l'espace. " C'est la fin d'une ère stratégique ", a commenté, devant la presse, le secrétaire à la défense, Les Aspin. " Le destin de la " guerre des étoiles. " a été scellé, a-t-il ajouté, avec l'effondrement de l'Union soviétique. " Autrement dit, la disparition de la menace d'une attaque massive de missiles balistiques soviétiques a rendu caduc le projet reaganien d'installer dans l'espace un formidable système de défense antimissile. Le réseau IDS avait pour objet de placer sur orbite soit des rayons laser " tueurs " de missiles, soit des plates-formes de départ de missiles antimissile. Ce bouclier spatial devait ainsi mettre le continent nord-américain - mais aussi celui de l'URSS, puisque Ronald Reagan l'avait proposé à l'époque aux Soviétiques - à l'abri d'une attaque de missiles nucléaires. A ce jour, quelque 32 milliards de dollars - sur un coût total envisagé de 55 milliards - ont été dépensés au titre du projet. Depuis quelques années, cependant, le programme IDS avait été ramené à de plus modestes dimensions. La raison en tenait à la fois à des contraintes budgétaires, à la détente entre les deux super-puissances nucléaires, puis à la conclusion des derniers grands accords sur le désarmement, notamment le traité START-2, signé en janvier dernier, qui prévoit l'élimination des missiles les plus dangereux. M. Aspin n'a fait qu'officialiser une évolution déjà bien avancée et annoncée le 4 mai dernier par le général Malcolm O'Neill, " patron " du programme IDS, en confirmant que les Etats-Unis abandonnaient l'idée de placer des intercepteurs de missiles dans l'espace pour se consacrer à des systèmes de défense antimissile basés à terre ou sur des navires. Car " Saddam Hussein et ses Scuds, a expliqué M. Aspin, nous ont montré que nous avons toujours besoin d'une défense antimissile ". Seulement, il s'agit, cette fois, de contrer des missiles balistiques à courte portée, du type de ceux que peuvent tirer un nombre croissant de pays du tiers-monde. Depuis quelques années, le Pentagone avait entrepris de développer un succédané de " guerre des étoiles ", le GPALS (global protection against limited strikes), comprenant deux volets : des missiles antimissile basés au sol et, dans l'espace, des " galets brillants doués " ( " Brillant Pebbles " ) actionnés par des satellites de détection et capables d'intercepter et de détruire, par collision, des missiles assaillants. La partie spatiale est donc abandonnée, au profit du développement exclusif de missiles antimissile tirés depuis le sol ou embarqués sur des navires, du type des engins surface-air Patriot utilisés durant la guerre du Golfe contre les missiles Scud irakiens (avec des résultats aujourd'hui discutés). L'administration IDS est dissoute. Elle est remplacée par un département plus modeste (au moins, dans l'intitulé), l'Organisation de défense contre les missiles balistiques (BMDO), placée non plus sous la direction du secrétaire à la défense mais sous celle du sous-secrétaire chargé des acquisitions et de la technologie. Le projet est de déployer une centaine d'intercepteurs (baptisés " improved theater missile defense " ) avant l'horizon 2000. L'objectif serait de se prémunir contre des missiles tirés par erreur ou, plus vraisemblablement, par quelque pays du tiers-monde maîtrisant la technique des missiles balistiques. Ces pays-là sont de plus en plus nombreux à pouvoir y prétendre. Au service de ce système, le Pentagone entend obtenir en 1994 un budget de recherche de 3,8 milliards de dollars (la même somme que cette année). Même si M. Aspin peut compter sur l'appui de son allié Sam Nunn, le sénateur démocrate de Géorgie qui préside la commission des forces armées, cela n'ira pas sans mal au Congrès, où de nombreux élus estiment que les Etats-Unis n'ont tout bonnement plus du tout besoin d'un système de défense antimissile. Cela n'ira pas sans difficulté non plus avec les Russes - et peut-être aussi avec les trois autres Républiques nucléaires ex-soviétiques, - qui estiment que le déploiement d'un tel système suppose de renégocier le traité ABM (anti ballistic missiles) de 1972 qui réglemente et limite le développement des systèmes antimissile et le nombre de leurs sites de lancement. Moscou a toujours considéré que la " guerre des étoiles " était contraire au traité ABM. En fait, les dirigeants soviétiques, en 1983, s'efforçaient eux-mêmes de créer leur propre système. Mais, plus que la réalisation de l'exotique projet reaganien, ce qu'ils craignaient était d'être financièrement ruinés par l'obligation de suivre les Etats-Unis dans une épuisante compétition technologique qui n'était pas favorable à l'URSS. M. Aspin l'a reconnu : la course à la " guerre des étoiles ", lancée par Ronald Reagan sous les quolibets de nombre d'experts, a sans doute compté dans l'ébranlement de l'URSS de la fin des années 80. Aujourd'hui, les dirigeants russes restent méfiants, même si les Etats-Unis se disent prêts à partager les technologies antimissiles avec Moscou. A tout le moins, le Kremlin veut bien en discuter avec les Etats-Unis. Ce qui réserve quelques derniers jolis débats, quasiment théologiques, pour les experts de l' " arms control ", les négociations sur la " maîtrise des armements ", cette science en voie d'extinction en ces temps d'après- " guerre froide ". ALAIN FRACHON Le Monde du 15 mai 1993

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