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Varsovie, tout entière soulevée

Publié le 17/01/2022

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1er août 1944 - Au mois d'août 1944, des insurrections éclatent, contre le même occupant allemand, à Paris et à Varsovie. A Paris, tout se passe bien. A Varsovie, l'échec est total et dramatique après soixante-trois jours de combats acharnés, la ville sera détruite aux neuf dixièmes deux cent mille Varsoviens tués, cinq cent mille autres emmenés en captivité ou en déportation. Dans les deux villes, les objectifs des insurgés étaient les mêmes : prendre leur part des combats et jouer leur rôle dans la victoire des Alliés refuser un gouvernement imposé par eux et leur faire reconnaître, au contraire, un gouvernement véritablement national. Dans les deux villes, un grand souffle patriotique a soulevé les populations, une véritable union nationale s'est réalisée. On ne peut pas louer le général de Gaulle et le colonel Rol-Tanguy parce qu'ils ont réussi, et blâmer le président Mikolajczyk et le général Komorowski parce qu'ils ont échoué. D'autant moins que d'importantes forces polonaises avaient continué la lutte, une fois le sol national occupé, sur tous les théâtres d'opérations européens : Narvik et campagne de France, bataille aérienne d'Angleterre et convois maritimes, Moyen-Orient et Italie, Normandie puis Hollande et front oriental, jusqu'à Berlin compris. A l'intérieur, la Pologne est le seul pays occupé qui n'ait pas engendré de Quisling, même pas un Pierre Laval : la résistance ne rassemble pas, comme en France, une minorité volontariste dans une majorité attentiste; elle forme un véritable Etat clandestin, avec son pourvoir exécutif, son Parlement, ses partis politiques, son administration. Son " armée de l'intérieur " n'est pas un agrégat constitué de bandes inorganisées, comme le furent longtemps en France les FFI mais, dès le début, une armée de forme régulière, commandée par des officiers de carrière. Nulle part, dans l'Europe occupée, la lutte clandestine n'est conduite dans un meilleur climat d'union et avec autant d'efficacité. Tant de courage, d'obstination et de sacrifices ne pouvait valoir aux Polonais, du moins étaient-ils fondés à le croire, que la reconnaissance et l'appui sans réserve de leurs " grands alliés ". Effectivement, le gouvernement polonais exilé à Londres, reconnu comme le gouvernement légitime par la très grande majorité des Polonais, a été accepté comme tel par les Français et les Britanniques d'abord, puis par les Américains et même, un temps, par les Russes. Des engagements formels avaient été pris, envers lui, de rétablir la Pologne dans la plénitude de son indépendance et l'intégralité de son territoire. Tous les Alliés avaient, d'ailleurs, signé en août 1941 la " charte de l'Atlantique ", selon laquelle tous les peuples de la planète devaient être maîtres de leur destin. Et Staline, de son côté, avait proclamé à plusieurs reprises son souhait d'une Pologne " libre, forte et indépendante ". Lorsque le soulèvement se produit, les Polonais espèrent que les Anglo-Américains auront suffisamment progressé en Allemagne pour pouvoir les soutenir puissamment. Soixante-trois jours de combats Ils comptent sur leurs forces pour régler, à leur avantage, tous les graves différends qui les opposent à l'URSS, avec laquelle ils n'ont plus de relations diplomatiques depuis que la découverte des charniers de Katyn, où pourrissaient les cadavres d'officiers polonais, a mis fin à la tentative de rapprochement polono-russe engagée par le général Sikorski. Les premiers contacts, en Pologne orientale, ont été décevants, notamment à Wilno et à Lwow après avoir utilisé les partisans polonais, les unités soviétiques les avaient désarmés et, souvent, internés. Pis encore : Staline a formé à Moscou, puis installé dans Lublin libéré, un autre gouvernement polonais, dont l'ossature, dans un esprit de front national, est constituée par des communistes polonais fidèles à l'URSS. Le soulèvement de Varsovie est donc dirigé contre les Allemands, mais avec une pointe anti-russe, non d'hostilité agressive, mais de défense méfiante. Il s'agit de s'emparer de la plus grande partie de Varsovie, d'installer officiellement le gouvernement sorti de la clandestinité, et d'accueillir les russes en alliés, comme des hôtes, dans la capitale d'une Pologne indépendante, libérée par elle même, avec l'espoir que la solidarité dans la lutte commune aidant, la coopération militaire sur le terrain s'établira d'autant plus facilement que l'Armée rouge comprend un corps d'armée composé de Polonais, commandé par le général Berling. Après tout, c'est ce qui se passera à Paris. Fin juillet, on connaît à Varsovie l'attentat contre Hitler : on voit refluer vers l'ouest des unités allemandes en débandade plus qu'en retraite le 31 juillet, on apprend que les Russes sont à Praga, sur la rive droite de la Vistule. L'heure H est arrivée. " Le 1er août à 17 heures, écrit Bor Komorowski, une grêle de balles s'abattit, à partir de certaines fenêtres, sur les allemands circulant dans les rues. " Commencée dans l'espérance et l'enthousiasme de toute la population, l'insurrection va pourtant s'achever le 3 octobre par la capitulation sans condition des insurgés, après soixante-trois jours de combats acharnés, dans les rues, aux étages des immeubles, des deux côté de l'autel de la cathédrale, dans les cimetières et dans les égouts, devenus l'unique voie de communication, la " voie sacrée ", par où essaient de passer les blessés, les renforts, les munitions, les derniers défenseurs d'une position intenable. Dans une extrême exaltation à la fois patriotique et religieuse, l'union des Polonais a été sans faille les " civils " ont élevé des barricades, creusé des tranchées, fabriqué des munitions, réparé des armes, déminé les rues, prié collectivement avec ferveur les quelques centaines d'hommes de l'armée populaire communiste se sont joints, d'eux-mêmes semble-t-il, aux quarante mille soldats de l' " armée de l'intérieur ". Conscients de leur faiblesse, inspirés d'ailleurs par la même volonté de lutter, les communistes n'ont rien tenté pour prendre une parcelle de pouvoir. Les combats ne prennent fin qu'une fois constatée l'évidence qu'ils ne peuvent plus continuer, faute de munitions, vivres, d'électricité, de médicaments, d'eau. Mais les insurgés n'ont capitulé qu'après avoir reçu l'assurance qu'ils seraient traités en combattants, et que des représailles ne seraient pas exercées contre la population. L'échec de l'insurrection est sans appel aucun des objectifs recherchés n'a été atteint, aucune des espérances conçues ne s'est réalisée. Cette évolution défavorable des combats, les chefs des insurgés l'avaient prévue, et ils en avaient accepté le risque. Ils savaient que leur défaite était inéluctable s'ils ne recevaient pas, rapidement, des renforts massifs. Mais ils comptaient sur des envois, répétés à une rapide fréquence, d'armes et de munitions, par de gros parachutages. Leur espoir fut déçu, pour des raisons qui n'étaient pas uniquement de nature militaire. Certes, il est vrai que les armées anglo-américaines étaient encore très loin, en France, que les distances à parcourir pour les avions étaient très longues, les risques considérables, et que les premiers parachutages furent à la fois coûteux et décevants. Deuxième amère constatation : les Britanniques et les Américains, les seconds surtout, ne veulent rien entreprendre qui puisse déplaire à leur allié soviétique : parce que l'armée rouge retient à l'Est la plus grande partie des forces allemandes, et que la Pologne appartient à son théâtre d'opérations parce que l'appui soviétique est jugé nécessaire pour battre le Japon et aussi, pour Roosevelt surtout, parce que le maintien de l' " étrange alliance " provoquée par Hitler est absolument indispensable pour assurer au monde une paix durable, une fois la guerre finie. Or les Polonais comptaient sur leurs alliés occidentaux pour faire, en leur faveur, pression sur les Soviétiques. Staline veut reprendre la Biélorussie et l'Ukraine occidentale, indûment enlevées à l'URSS, selon lui, par la Pologne, en 1921, et redevenues définitivement soviétiques en 1939-1940. Et, d'autre part, il veut installer à Varsovie un gouvernement polonais dont la fidélité lui soit assurée il se défie même des communistes polonais demeurés en Pologne, suspectés de trotskisme et de nationalisme il n'accorde sa confiance qu'à ceux qu'il a pris en main à Moscou et qui attendent leur heure à Lublin, pour venir installer à Varsovie un régime prosoviétique, très proche de celui de l'URSS. Militairement, en septembre, l'armée rouge pouvait libérer Varsovie mais pourquoi Staline aurait-il aidé une insurrection agonisante, avec risque de trouver des Polonais hostiles en place à Varsovie?

« munitions, les derniers défenseurs d'une position intenable.

Dans une extrême exaltation à la fois patriotique et religieuse, l'uniondes Polonais a été sans faille les " civils " ont élevé des barricades, creusé des tranchées, fabriqué des munitions, réparé desarmes, déminé les rues, prié collectivement avec ferveur les quelques centaines d'hommes de l'armée populaire communiste sesont joints, d'eux-mêmes semble-t-il, aux quarante mille soldats de l' " armée de l'intérieur ".

Conscients de leur faiblesse, inspirésd'ailleurs par la même volonté de lutter, les communistes n'ont rien tenté pour prendre une parcelle de pouvoir.

Les combats neprennent fin qu'une fois constatée l'évidence qu'ils ne peuvent plus continuer, faute de munitions, vivres, d'électricité, demédicaments, d'eau.

Mais les insurgés n'ont capitulé qu'après avoir reçu l'assurance qu'ils seraient traités en combattants, et quedes représailles ne seraient pas exercées contre la population. L'échec de l'insurrection est sans appel aucun des objectifs recherchés n'a été atteint, aucune des espérances conçues ne s'estréalisée. Cette évolution défavorable des combats, les chefs des insurgés l'avaient prévue, et ils en avaient accepté le risque.

Ils savaientque leur défaite était inéluctable s'ils ne recevaient pas, rapidement, des renforts massifs.

Mais ils comptaient sur des envois,répétés à une rapide fréquence, d'armes et de munitions, par de gros parachutages.

Leur espoir fut déçu, pour des raisons quin'étaient pas uniquement de nature militaire. Certes, il est vrai que les armées anglo-américaines étaient encore très loin, en France, que les distances à parcourir pour lesavions étaient très longues, les risques considérables, et que les premiers parachutages furent à la fois coûteux et décevants. Deuxième amère constatation : les Britanniques et les Américains, les seconds surtout, ne veulent rien entreprendre qui puissedéplaire à leur allié soviétique : parce que l'armée rouge retient à l'Est la plus grande partie des forces allemandes, et que laPologne appartient à son théâtre d'opérations parce que l'appui soviétique est jugé nécessaire pour battre le Japon et aussi, pourRoosevelt surtout, parce que le maintien de l' " étrange alliance " provoquée par Hitler est absolument indispensable pour assurerau monde une paix durable, une fois la guerre finie. Or les Polonais comptaient sur leurs alliés occidentaux pour faire, en leur faveur, pression sur les Soviétiques. Staline veut reprendre la Biélorussie et l'Ukraine occidentale, indûment enlevées à l'URSS, selon lui, par la Pologne, en 1921,et redevenues définitivement soviétiques en 1939-1940.

Et, d'autre part, il veut installer à Varsovie un gouvernement polonaisdont la fidélité lui soit assurée il se défie même des communistes polonais demeurés en Pologne, suspectés de trotskisme et denationalisme il n'accorde sa confiance qu'à ceux qu'il a pris en main à Moscou et qui attendent leur heure à Lublin, pour venirinstaller à Varsovie un régime prosoviétique, très proche de celui de l'URSS. Militairement, en septembre, l'armée rouge pouvait libérer Varsovie mais pourquoi Staline aurait-il aidé une insurrectionagonisante, avec risque de trouver des Polonais hostiles en place à Varsovie? HENRI MICHEL Le Monde du 5 août 1984 CD-ROM L'Histoire au jour le jour © 2002, coédition Le Monde, Emme et IDM - Tous droits réservés. »

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