Une critique de la démocratie est-elle possible, est-elle souhaitable ?
Publié le 20/07/2010
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Définitions peut : Est-il possible, est-il légitime. critiquer : Soumettre à l'analyse, faire un examen. Faire un examen appréciatif. Emettre un jugement faisant ressortir les défauts, jugement défavorable démocratie : Doctrine politique selon laquelle la souveraineté appartient à l'ensemble des citoyen. Elle est directe ou représentative selon que le peuple exerce son pouvoir sans intermédiaire ou par l'intermédiaire de représentants élus. Avertissement On peut comprendre la question de deux façons: 1. en tant que citoyen d'une démocratie, a-t-on la possibilité (= le droit) de la critiquer? 2. quels sont les défauts du système démocratique (et comment, éventuellement, y remédier)? Dans le premier cas, la copie risque d'être courte; une fois souligné que l'avantage de la démocratie est aussi de reconnaître à chacun sa liberté d'opinion et d'expression, il apparaît que cette dernière implique un droit de critique. Le tout serait alors de préciser jusqu'où celui-ci est admissible. Mais cet aspect ne met pas en cause la possibilité de la critique. Une copie plus originale montrerait alors que ce droit de critique constitue en fait une soupape de sécurité pour la démocratie, et peut même lui permettre de s'améliorer: la critique, prévue par la structure même de la démocratie, ne peut être anomique; elle joue simplement le rôle légalement dévolu à l'opposition et, du moment qu'elle ne met pas en cause (par la violence) la survie du système, elle en constitue bien un élément interne. La seconde lecture de la question, plus radicale, permet des développements plus conséquents. Introduction
On a tellement pris l'habitude de considérer que la démocratie est le meilleur des régimes politiques, ou du moins le « moins mauvais« (Churchill) que l'on risque de ne plus en voir les défauts éventuels. Ce d'autant moins que, dans l'histoire moderne, les régimes totalitaires — de quelque bord qu'ils soient — sont contestés ou renversés au nom d'une aspiration à la démocratie qui, dans le vocabulaire de l'époque, prend l'aspect d'une panacée. Qui oserait en effet critiquer le mouvement même d'un peuple vers sa libération? Qui — sinon le philosophe? **I. Avantages classiques de la démocratie* On se réfère dans cette partie aux analyses les plus canoniques de la démocratie «moderne«: ce qui peut se déduire du Contrat social (même si l'ouvrage ne constitue pas à strictement parler une théorie de la démocratie en elle-même) et Tocqueville. • La démocratie affirme que le pouvoir appartient au «peuple« (démos) souverain. {draw:frame} Renoncer à sa liberté, c'est renoncer à son humanité. Un État despotique ne règne pas sur des hommes, mais sur des esclaves, c'est-à-dire des êtres qui n'ont aucun droit et partant, aucune moralité. Une volonté qui n'est pas libre ne pourra jamais être morale : en toutes ses actions, elle sera déterminée à obéir. L'État ne peut être despotique, ni le pouvoir appartenir au tyran. Il ne peut y avoir de convention entre d'une part, une autorité absolue, et d'autre part, une obéissance sans bornes. Le tyran n'est engagé envers personne puisqu'il a droit de tout exiger, sans aucune contrepartie, et l'esclave n'a aucun droit, puisque tous ses droits sont les droits du tyran. Nul ne gagne dans un État qui n'est pas fondé sur un contrat où gouvernants et gouvernés s'engagent réciproquement. La paix et la sécurité au détriment de la liberté peuvent être une misère. "On vit tranquille aussi dans les cachots ; en est-ce assez pour s'y trouver bien ?" Si la fin de l'État est le bien commun, c'est à la volonté générale de le gouverner. Le passage de l'état de nature à l'état civil est le passage nécessaire du conflit des intérêts particuliers à leur accord. Une société ne peut exister sans un point d'accord quelconque entre les intérêts de chacun. Aussi divers et opposés que puissent être ces intérêts, ce point d'accord est politique : c'est un gouvernement de la volonté générale, et cette volonté générale est inaliénable. Le pouvoir se transmet, pas la volonté. L'État raisonnable et bien entendu se fonde donc sur le contrat social et non sur le pouvoir despotique. Il s'agit de trouver une forme d'association où la personne et ses biens soient défendus et protégés par tous, et dans laquelle chacun s'unissant aux autres reste aussi libre qu'auparavant. Ce contrat se réduit à une seule clause : "l'aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits, à toute la communauté". Son avantage est évident : puisque chacun se donne tout entier, la condition est la même pour tous. L'égalité est ainsi fondée et elle est positive, puisque personne n'a intérêt, s'il ne veut pas que l'on exige trop de lui, à exiger trop des autres. De plus, chacun se donnant à toute la communauté, nul ne se donne à personne en particulier. Les droits des citoyens sont décidés par la représentation de la volonté de tous, la réciprocité est donc absolue. Ainsi, "on gagne l'équivalent de tout ce qu'on perd, et plus de force pour conserver ce qu'on a". Volonté particulière et volonté générale Chaque individu peut avoir une volonté contraire aux autres, et surtout différente de la majorité des opinions exprimées et retenues. Chacun vise son intérêt particulier qui n'est pas directement celui de l'intérêt et du bien communs. L'individu peut estimer que ce qu'il donne à la communauté, est sans contrepartie, et qu'un manque à gagner pour la communauté pèse moins pour elle, que pour lui qui se prive personnellement. Il peut voir en l'État un simple être de raison qui lui conférerait des droits, mais à l'égard duquel il importerait peu qu'il s'acquitte de ses devoirs. L'individu a tendance à oublier que le pacte ou contrat social est un engagement réciproque qui lui confère des droits par la contrepartie de ses devoirs. Il s'ensuit que "quiconque refusera d'obéir à la volonté générale, y sera contraint par tout le corps : ce qui ne signifie autre chose qu'on le forcera d'être libre". De même, toutes les fois que la communauté est consultée pour choisir des élus qui représenteront la volonté générale et établiront des lois, il n'est pas demandé d'exprimer sa volonté particulière et ses propres intérêts, mais la volonté générale, à savoir le bien de toute la communauté. Quand un avis contraire au mien l'emporte, cela signifie que je m'étais trompé sur le contenu de la volonté générale. L'individu et sa volonté particulière doivent donc disparaître au profit de la conscience de la volonté générale. • Tous les citoyens y sont donc égaux par principe (pas d'inégalités de naissance, de race, etc.): en droits comme en devoirs. • Le «peuple« est appelé à faire connaître son avis: droit de vote pour tous (même si, historiquement, cela n'a pas été très rapide). • Les élus sont responsables devant le peuple. • D'où découle: la possibilité de la «fraternité« et le renforcement du sentiment d'appartenance nationale (en cas de conflit, l'armée est bien celle de toute la nation). II. Défauts de la démocratie • Comment garantir que les élus soient bien représentatifs de tous les courants de l'opinion? Problème technique de l'élection directe ou indirecte. Problème de la durée des mandats. • Il y a en permanence risque de perversion démagogique (puisqu'il s'agit de rassembler sur un candidat un maximum de voix). Thème déjà présent chez Platon, à la fin de La République: la démocratie signifie le règne des incompétents (puisque le démos est inculte). • critique marxiste: la démocratie masque la lutte des classes alors que, comme tout État, elle ne représente que les intérêts de la classe dominante (cf. la critique, dès La Question juive, de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen). {draw:frame} « Au fur et à mesure que le progrès de l'industrie moderne développait, élargissait, intensifiait l'antagonisme de classe entre le capital et le travail, le pouvoir d'État prenait de plus en plus le caractère d'un pouvoir public organisé aux fins d'asservissement social d'un appareil de domination d'une classe. Après chaque révolution, qui marque un progrès de la lutte des classes, le caractère purement répressif du pouvoir d'État apparaît de façon de plus en plus ouverte« [La Guerre civile en France, p. 60-61]. La conception marxiste de l'État est ici résumée dans son principe essentiel : l'État capitaliste est l'appareil de domination de la classe ouvrière par la bourgeoisie, y compris par la violence comme ce fut le cas, par exemple, durant les journées de juin 1848. Durant celles-ci, la république bourgeoise avait montré le despotisme absolu d'une classe sur les autres classes. Ainsi, l'État n'est pas extérieur ou au-dessus de la société. « Il est bien plutôt un produit de la société à un stade déterminé de son développement ; il est l'aveu que cette société s'empêtre dans une insoluble contradiction avec elle-même, s'étant scindée en oppositions inconciliables qu'elle est impuissante à conjurer. Mais pour que les antagonistes, les classes aux intérêts économiques opposés, ne se consument pas — elles et la société — en une lutte stérile, le besoin s'impose d'un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper le conflit, le maintenir dans les limites de l'"ordre" ; et ce pouvoir, né de la société, mais qui se place au-dessus d'elle et lui devient de plus en plus étranger, c'est l'État« [L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'État, p. 156]. Si l'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire des luttes des classes, pour les mêmes raisons, l'État ou les différents États qui se sont succédé dans l'histoire ont toujours été ceux de la domination d'une classe sur les autres, dans le but de maintenir — souvent par la violence [Anti-Dühring, p. 208 sq.] — l'ordre social. D'où l'idée d'une disparition de l'État dans une société sans classe, le communisme, avec quelques difficultés sur les moyens d'y parvenir. • Point de vue nietzschéen: si tout individu vaut, en démocratie, autant que son voisin, on se condamne à un affaiblissement des valeurs. C'est la « médiocratie«, la majorité ne pouvant représenter autre chose que la voix moyenne (Socrate et le christianisme comme représentants symboliques de la mentalité démocratique). • Inefficacité des démocraties contre la montée des totalitarismes historiques (Mussolini, Hitler) qui se réclament précisément d'un «sursaut« devant permettre de sortir de l'avachissement de la nation. • Problème interne: jusqu'où doit aller la liberté d'expression? La démocratie, au nom de ses propres principes, a du mal à interdire les partis extrémistes. *III. Remèdes possibles ** — Maintenir fermement la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire) de façon à garantir l'exercice libre de la justice et le contrôle de l'exécutif. — En fait, les principales difficultés de la démocratie viennent de ce qu'elle suppose une éducation politique suffisante des citoyens. Or celle-ci n'est jamais menée tout à fait à bien. C'est pourtant aussi en ce sens que « nul n'est sensé ignorer la loi« (ne serait-ce que pour se défendre). C'est cet espoir mis dans la formation politique de chacun qui justifie le passage de la connotation péjorative du terme (chez Platon) au sens positif (pour les modernes): il suffit d'éduquer le démos! (Ce qui renvoie à une idéologie des Lumières. Cf. Kant). Cela devrait lui permettre de ne plus être victime de la démagogie, et de mieux comprendre la porté réelle et les dangers des thèses extrémistes. — Confiante dans le Droit, la démocratie moderne reste imparfaite et fragile. Ne serait-ce que dans la mesure où, au sortir d'une période totalitaire, le «peuple« est impatient de goûter les avantages de la liberté civile (avantages pas seulement intellectuels, également économiques). Or le réel change moins vite que les systèmes politiques: il oppose une inertie, une lenteur dans les transformations que les discours démagogiques peuvent toujours tenter d'exploiter. **Conclusion* La démocratie n'est pas une solution de facilité ; elle exige au contraire de chaque citoyen lucidité et vigilance. Mais les critiques qu'on peut lui adresser restent moins graves que celles que l'on peut faire à d'autres systèmes, parce qu'elle a au moins l'avantage de parier sur la raison humaine en même temps que sur l'égalité: que celle-ci reste à établir, c'est peut-être ce qui confère à la démocratie sa dignité morale.
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simple être de raison qui lui conférerait des droits, mais à l'égard duquel il importerait peu qu'il s'acquitte de sesdevoirs.
L'individu a tendance à oublier que le pacte ou contrat social est un engagement réciproque qui lui confèredes droits par la contrepartie de ses devoirs.
Il s'ensuit que "quiconque refusera d'obéir à la volonté générale, y seracontraint par tout le corps : ce qui ne signifie autre chose qu'on le forcera d'être libre".
De même, toutes les foisque la communauté est consultée pour choisir des élus qui représenteront la volonté générale et établiront des lois,il n'est pas demandé d'exprimer sa volonté particulière et ses propres intérêts, mais la volonté générale, à savoir lebien de toute la communauté.
Quand un avis contraire au mien l'emporte, cela signifie que je m'étais trompé sur lecontenu de la volonté générale.
L'individu et sa volonté particulière doivent donc disparaître au profit de laconscience de la volonté générale.
• Tous les citoyens y sont donc égaux par principe (pas d'inégalités de naissance, de race, etc.): en droits commeen devoirs.• Le «peuple» est appelé à faire connaître son avis: droit de vote pour tous (même si, historiquement, cela n'a pasété très rapide).• Les élus sont responsables devant le peuple.• D'où découle: la possibilité de la «fraternité» et le renforcement du sentiment d'appartenance nationale (en cas deconflit, l'armée est bien celle de toute la nation).
II.
Défauts de la démocratie
• Comment garantir que les élus soient bien représentatifs de tous les courants de l'opinion? Problème technique del'élection directe ou indirecte.
Problème de la durée des mandats.• Il y a en permanence risque de perversion démagogique (puisqu'il s'agit de rassembler sur un candidat un maximumde voix).
Thème déjà présent chez Platon, à la fin de La République: la démocratie signifie le règne desincompétents (puisque le démos est inculte).• critique marxiste: la démocratie masque la lutte des classes alors que, comme tout État, elle ne représente queles intérêts de la classe dominante (cf.
la critique, dès La Question juive, de la Déclaration des Droits de l'Homme etdu Citoyen).{draw:frame} « Au fur et à mesure que le progrès de l'industrie moderne développait, élargissait, intensifiaitl'antagonisme de classe entre le capital et le travail, le pouvoir d'État prenait de plus en plus le caractère d'unpouvoir public organisé aux fins d'asservissement social d'un appareil de domination d'une classe.
Après chaquerévolution, qui marque un progrès de la lutte des classes, le caractère purement répressif du pouvoir d'État apparaîtde façon de plus en plus ouverte» [La Guerre civile en France, p.
60-61].
La conception marxiste de l'État est icirésumée dans son principe essentiel : l'État capitaliste est l'appareil de domination de la classe ouvrière par labourgeoisie, y compris par la violence comme ce fut le cas, par exemple, durant les journées de juin 1848.
Durantcelles-ci, la république bourgeoise avait montré le despotisme absolu d'une classe sur les autres classes.Ainsi, l'État n'est pas extérieur ou au-dessus de la société.
« Il est bien plutôt un produit de la société à un stadedéterminé de son développement ; il est l'aveu que cette société s'empêtre dans une insoluble contradiction avecelle-même, s'étant scindée en oppositions inconciliables qu'elle est impuissante à conjurer.
Mais pour que lesantagonistes, les classes aux intérêts économiques opposés, ne se consument pas — elles et la société — en unelutte stérile, le besoin s'impose d'un pouvoir qui, placé en apparence au-dessus de la société, doit estomper leconflit, le maintenir dans les limites de l'"ordre" ; et ce pouvoir, né de la société, mais qui se place au-dessus d'elleet lui devient de plus en plus étranger, c'est l'État» [L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'État, p.156].Si l'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire des luttes des classes, pour les mêmes raisons,l'État ou les différents États qui se sont succédé dans l'histoire ont toujours été ceux de la domination d'une classesur les autres, dans le but de maintenir — souvent par la violence [Anti-Dühring, p.
208 sq.] — l'ordre social.
D'oùl'idée d'une disparition de l'État dans une société sans classe, le communisme, avec quelques difficultés sur lesmoyens d'y parvenir.
• Point de vue nietzschéen: si tout individu vaut, en démocratie, autant que son voisin, on se condamne à unaffaiblissement des valeurs.
C'est la « médiocratie», la majorité ne pouvant représenter autre chose que la voixmoyenne (Socrate et le christianisme comme représentants symboliques de la mentalité démocratique).• Inefficacité des démocraties contre la montée des totalitarismes historiques (Mussolini, Hitler) qui se réclamentprécisément d'un «sursaut» devant permettre de sortir de l'avachissement de la nation.• Problème interne: jusqu'où doit aller la liberté d'expression? La démocratie, au nom de ses propres principes, a dumal à interdire les partis extrémistes.
*III.
Remèdes possibles**— Maintenir fermement la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire) de façon à garantir l'exercice librede la justice et le contrôle de l'exécutif.— En fait, les principales difficultés de la démocratie viennent de ce qu'elle suppose une éducation politiquesuffisante des citoyens.
Or celle-ci n'est jamais menée tout à fait à bien.
C'est pourtant aussi en ce sens que « nuln'est sensé ignorer la loi» (ne serait-ce que pour se défendre).C'est cet espoir mis dans la formation politique de chacun qui justifie le passage de la connotation péjorative duterme (chez Platon) au sens positif (pour les modernes): il suffit d'éduquer le démos! (Ce qui renvoie à une idéologiedes Lumières.
Cf.
Kant).
Cela devrait lui permettre de ne plus être victime de la démagogie, et de mieux comprendrela porté réelle et les dangers des thèses extrémistes..
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