Un rapport accablant sur la maladie de la « vache folle »
Publié le 17/01/2022
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26 octobre 2000
Entre la détection du premier cas de « vache folle » par un vétérinaire britannique en septembre 1985, et la publication ce jeudi 26 octobre 2000 du premier rapport global en seize volumes sur le comment et le pourquoi du développement de l'épizootie, le Royaume-Uni, sa principale victime, a abattu 4,3 millions de vaches. D'ici à la fin de 2001, la crise lui aura coûté 45 milliards de francs (4,2 milliards de livres), son secteur agricole est en ruine et soixante-dix-huit de ses sujets, pour la plupart très jeunes, sont morts d'une nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, directement liée à la consommation de boeuf infecté par l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Six autres personnes, dont trois enfants de moins de seize ans, présentent actuellement tous les signes cliniques de l'incurable maladie.
La commission d'enquête publique ordonnée par Tony Blair en décembre 1997 sous la direction d'un des plus éminents juristes du royaume, Lord Phillips of Worth Matravers, ne visait pas, théoriquement, à désigner d'éventuels boucs émissaires à la vindicte publique. L'enquête, qui aura duré plus de deux ans, avec l'étude de 3 000 dossiers divers, la prise en compte de 1 200 témoignages écrits et l'audition de 333 témoins directs, était d'abord destinée à comprendre comment et pourquoi on en est arrivé à une situation où des experts parmi les plus sérieux, évoquent aujourd'hui la possible mort de plus de cent mille personnes dans les dix ans.
Pourquoi trois années de perdues entre l'admission officielle de l'existence de la maladie en 1986 et l'interdiction gouvernementale de la vente d'abats bovins en 1989 ? La première victime humaine de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, Stephen Churchill, 19 ans, meurt en mai 1995. On a déjà, à cette époque, détecté près de 120 000 « vaches folles » dans le royaume (185 000 aujourd'hui). Pourquoi une année d'attente et neuf décès supplémentaires avant la reconnaissance officielle du lien entre ce fléau et l'ESB alors que plusieurs scientifiques de renom le suggèrent depuis longtemps ? Début 1996, l'Union européenne interdit l'exportation de boeuf anglais. Pourquoi le gouvernement de John Major conteste-t-il juridiquement, dès avril, cette mesure élémentaire de santé publique alors que son successeur travailliste, qui poursuivra le même effort auprès de Bruxelles jusqu'à la levée de l'interdit en août 1999, bannit lui-même, en décembre 1997, toute consommation de boeuf à l'os ?
« UN GRAND ÉCHEC »
Dans les années 70 et depuis quarante ans au moins, des solvants sont utilisés dans le processus de fabrication des farines animales consommées par le cheptel bovin et autre. Au début des années 80, ce solvant est supprimé et la température retenue pour « cuire » les farines est abaissée, ce qui a probablement permis à l'agent infectieux responsable de l'ESB, proche de celui de la vieille « tremblante du mouton », d'émerger chez les bovins avant de franchir la barrière des espèces. Pourquoi ? Les familles des victimes espèrent que le rapport Phillips, qui devait être présenté au Parlement dans l'après-midi du jeudi 26 octobre, mais qui est sur le bureau du gouvernement depuis le 2 octobre, répond à ces questions. Une chose est sûre : selon les rares fuites publiées, mercredi et jeudi matin, dans la presse londonienne, la responsabilité des hauts fonctionnaires et des ministres conservateurs qui se succédèrent à la tête des administrations de la santé et de l'agriculture dans les années de crise est directement mise en cause.
Culture gouvernementale du secret, confusion des genres avec, par exemple, un ministre de l'agriculture, chargé de promouvoir les intérêts commerciaux des agriculteurs, en charge de la sécurité de l'alimentation publique - c'est toujours le cas - irresponsabilité de hauts fonctionnaires et directeurs d'administrations distribuant des fonds de recherche sur la maladie à des scientifiques non reconnus, pas assez spécialisés ou déjà appointés comme consultants par des groupes agro-alimentaires, répétition ad libitum des conclusions scientifiques les moins inquiétantes pour les éleveurs tandis que les études plus préoccupantes sont tenues confidentielles, etc.
« Le scandale de la vache folle est le plus grand échec d'administration publique britannique depuis un demi-siècle », estime Erik Millstone, un politologue de l'université du Sussex. La seule consolation pour les familles des victimes sera peut-être - tout dépendra de son niveau - la constitution par le gouvernement d'un fonds spécial de compensation qui devait être annoncé jeudi. C'est peu.
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