Un arsenal répressif contre la presse et les « prêches subversifs » en Algérie
Publié le 17/01/2022
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16 mai 2001
Les journalistes algériens auront eu beau se mobiliser, rien n'y a fait : le projet de révision du Code pénal prévoyant, d'une part, d'alourdir les peines pour diffamation contre les corps constitués, d'autre part de sanctionner les prêches jugés « subversifs » dans les mosquées, a été adopté, mercredi soir 16 mai, par le Parlement algérien, lors d'une séance houleuse.
L'auteur du projet, Ahmed Ouyahia, actuellement ministre de la justice, s'est appuyé comme prévu sur la majorité au Parlement des deux partis proches du pouvoir, le Front de libération nationale (FLN) et le Rassemblement national démocratique (RND). Les amendements réformant le Code pénal ont été adoptés par 207 voix pour et 118 contre.
La défection inattendue et remarquée des autres partis de la coalition gouvernementale, comme les deux partis islamistes, le Mouvement de la société pour la paix (MSP) et Ennahda (Renaissance,) qui ont voté contre, n'a pas suffi à éviter les fameux « amendements Dilem » sur la presse, du nom d'un célèbre caricaturiste redouté par le pouvoir (voir les dessins ci-contre).
Parmi ces amendements, l'article 144 bis prévoit désormais des peines de trois mois à douze mois de prison et des amendes variant entre 50 000 dinars et 250 000 dinars (5 000 francs à 25 000 francs) contre quiconque porte « attente au président de la République en termes contenant l'injure, l'insulte et la diffamation, soit par l'écrit, soit par le dessin » et cela quel que soit le moyen utilisé : « diffusion sonore, image, support électronique, informatique et autres ».
L'article 87 bis 10 prévoit une peine de trois ans à cinq ans de prison contre toute personne se livrant à des prêches « susceptibles de porter atteinte à la cohésion de la société » (lire ci-dessous).
INCIDENT SÉRIEUX
Les journalistes ne se faisaient pas trop d'illusions sur l'attitude de l'Assemblée nationale. Aussi, l'opposition manifestée par les islamistes, membres de la coalition gouvernementale, a été une surprise inespérée. Les critiques récurrentes à l'encontre du président Bouteflika, accusé d'avoir des visées « totalitaires », ont brusquement pris du poids. Auteurs d'une pétition nationale contre ce qu'ils appellent des « lois scélérates », les journalistes ne sont pas les seules cibles d'un texte qui bride toutes les formes d'expression, sous prétexte de protéger le président et les corps constitués de la diffamation.
Ce dispositif répressif a été voulu et décidé par le chef de l'Etat, irrité d'être constamment - et méchamment - croqué par une nouvelle génération de caricaturistes algériens. M. Bouteflika est également convaincu que la presse algérienne est, en grande partie, responsable de la « mauvaise image internationale de l'Algérie ».
Le chef de l'Etat s'était publiquement indigné, l'année dernière, de la « légèreté » des peines prévues en cas d'outrage et d'attaques contre les institutions. La presse algérienne avait pris ces propos pour une déclaration de guerre, et une promesse de lui « tordre le cou ». Les appréhensions des journalistes se trouvent aujourd'hui largement justifiées, même si la commission juridique de l'Assemblée a quelque peu atténué le projet initial.
En ce qui concerne les prêches dans les mosquées, les peines se voient alourdies. L'examen des dispositions sur ce sujet a d'ailleurs donné lieu à un incident sérieux, lors de la séance de mercredi. Un député du RND, saisissant le moment où un député islamiste intervenait pour défendre un amendement, s'est tourné vers les journalistes pour leur signifier haut et fort qu'il s'agissait d' « un égorgeur ». La colère des députés islamistes a failli tourner au pugilat et les excuses du député du RND n'ont guère apaisé la tension dans l'hémicycle.
HARCÈLEMENT JUDICIAIRE
La presse était, jeudi matin, violemment critique à l'égard du FLN et du RND dont « les députés, sans honte aucune et sans courage, ont décidé hier, répondant au voeu du président de la République, de bâillonner le peuple », selon l'expression du journal El Watan.
Pour sa part, Le Matin estimait que « le système politique algérien, bâti sur l'allégeance, la rapine et la rente, interdit aux députés du RND et du FLN d'avoir un honneur à défendre. (...) Ces hommes-là ne sont pas des élus du peuple mais d'indigents fonctionnaires désignés par le pouvoir occulte, qui ne doivent rien à la démocratie et qui ne voient, en conséquence, aucune raison de lui être redevables ».
Se défendant de vouloir bénéficier d' « un droit à la diffamation », les journalistes algériens considèrent qu'en l'absence d'une définition précise de cette notion, et surtout d'une justice indépendante, la voie est désormais ouverte à une pratique étouffante de harcèlement judiciaire. Cela pourrait générer des réflexes redoublés d'autocensure et entraîner à terme la banqueroute de titres qui, à quelques exceptions près, n'ont pas de solide assise financière.
Le nouveau texte donne en effet au parquet, dépendant du gouvernement, le pouvoir de déclencher les poursuites judiciaires de manière « automatique », c'est-à-dire sans nécessiter le dépôt préalable d'une plainte.
« DROIT DE VIE ET DE MORT »
C'est ainsi que les représentants du parquet, « dont les dérives par le passé sont de notoriété publique, auront droit de vie et de mort sur les journalistes. Ils auront à apprécier tant l'information que le commentaire et, par extension, l'opinion. Les nouvelles dispositions ouvrent donc grande la porte à l'arbitraire », écrivait récemment Fayçal Metaoui du journal El Watan.
Répondant aux multiples critiques contre son projet, Ahmed Ouyahia s'était défendu de vouloir porter atteinte à la liberté d'expression. Pour le ministre, il s'agissait d'un texte « préventif mais pas répressif ». « Nous ne sommes pas assez fous pour nous attaquer à la liberté d'expression, avait-il fait valoir, alors que nous nous ouvrons sur le monde en nous préparant à ratifier l'accord d'association avec l'Union européenne. »
Le texte doit à présent passer devant le Conseil de la nation (le Sénat), mais son adoption ne devrait être qu'une formalité sur la route de ce qu'un député de l'opposition a appelé l' « extinction finale de la vie politique ».
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