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Traité de Versailles: la paix manquée

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

28 juin 1919 - La galerie des Glaces à Versailles, encombrée de tables et de chaises, a peine à contenir les représentants des vingt-sept Etats alliés victorieux, les délégations militaires, généraux nombreux, soldats perdus dans la masse (une trentaine de " poilus " ont des places réservées) et le Tout-Paris politique et mondain ( " les belles dames de la noblesse républicaine ", selon le mot du général Mordacq, collaborateur de Clemenceau). Le spectacle de la signature du traité de paix entre l'Allemagne et ses vainqueurs dans cette galerie où, près d'un demi-siècle auparavant, avait été proclamé l'empire allemand par des princes et des politiques en tenue militaire a valeur de symbole. La foule a envahi la place du château et les allées du parc afin d'acclamer les trois héros du jour, le président des Etats-Unis d'Amérique Woodrow Wilson, le premier ministre de sa Majesté britannique David Lloyd George, le président du conseil français Georges Clemenceau. Que peuvent-ils penser lorsque la délégation allemande pénètre dans la galerie des Glaces pour apposer sa signature sur un énorme document de plusieurs centaines de pages ? Celui-ci, saisi en août 1940 par un commando nazi dans le château de Langeais où il avait été mis à l'abri en septembre 1939 et expédié en Allemagne, sera détruit dans des conditions restées inconnues à ce jour. Les deux ministres allemands signataires, Hermann Muller, social-démocrate, ministre des affaires étrangères, et Johannes Bell, centre catholique (Zentrum), ministre des transports, impressionnés, émus, conspués par la foule, signent ce que l'ensemble de la presse allemande appelle déjà un " Diktat ". Pour l'immense majorité du peuple allemand, une paix " honteuse ", indigne de la valeur militaire allemande, vient d'être imposée par des Alliés qui, forts de leur puissance militaire, ont refusé de négocier avec le plus faible. Du point de vue allemand, ce traité n'est pas un compromis négocié tel qu'on en avait toujours signé à la fin des guerres précédentes. Il manifeste la dureté du vainqueur débordant de " haine ". Devant le refus persistant des Alliés de toute modification significative, le cabinet allemand, présidé par le socialiste Scheidemann, avait d'ailleurs préféré démissionner plutôt que d'accepter les conditions de paix il avait fallu toute l'éloquence d'un leader du Zentrum, Erzberger, pour que la majorité de gauche et du centre de la toute jeune République de Weimar finisse par se résigner. L'Assemblée allemande acceptait donc de signer le 22 juin (237 pour, 158 contre). Un nouveau gouvernement, dirigé par un autre social-démocrate, Bauer, devait porter le poids de cette honte, car toute la droite allemande et surtout l'état-major impérial allaient rejeter dès ce moment et dans les années futures la responsabilité de la défaite sur ces hommes politiques : " L'armée allemande a été poignardée dans le dos... Les forces saines de l'armée ne sont nullement responsables ", affirme hautement le général Hindenburg. Cette paix était-elle si terrible, si irréaliste ? Les principales clauses du traité étaient d'ordre territorial, complétées par des exigences économiques et militaires, justifiées par des attendus juridiques et moraux. A l'ouest, l'Allemagne perdait l'Alsace-Lorraine au profit de la France et des districts remis à la Belgique au nord, le Schleswig septentrional était récupéré par le Danemark à l'est, la toute jeune Pologne recevait la Posnanie, une partie de la Prusse-Orientale, dominait la ville libre de Dantzig en l'enserrant, et elle pouvait escompter s'imposer en Haute-Silésie si le plébiscite prévu pour 1921 tournait à son avantage. Pendant quinze ans, la Sarre était détachée de l'Allemagne, avant qu'un autre plébiscite n'en fixe le destin définitif. L'Allemagne s'engageait à respecter l'indépendance de l'Autriche, devenue un petit pays de langue allemande, s'interdisant bien sûr toute future réunion (Anschluss), même contre le voeu des habitants. Enfin elle perdait toutes ses colonies. Les sanctions économiques étaient graves. Les charbonnages de la Sarre et de la Haute-Silésie devenaient propriété des vainqueurs français et polonais une partie de la flotte marchande, des machines et du bétail devaient être immédiatement livrés au titre des dommages de guerre. Sans que le montant exact en fût déjà déterminé, l'Allemagne s'engageait à payer des réparations, ce qui obligerait les Allemands à effectuer des versements pendant de nombreuses années, peut-être pendant deux générations. L'armée allemande sera réduite à 100 000 hommes à partir de mars 1920. Elle ne pourra disposer ni d'artillerie lourde, ni de chars, ni d'aviation, ni de sous-marins elle ne pourra se fonder sur la conscription. Cette petite armée ne pourra jamais s'installer sur la rive gauche du Rhin et dans une bande de 50 kilomètres de profondeur sur la rive droite, zones qui resteront occupées par les Alliés pendant quinze ans, en garantie de l'exécution du traité. Enfin et peut-être surtout, l'article 231, destiné à une grande célébrité, stipulait que l'Allemagne (avec ses alliés) se reconnaissait responsable de toutes les pertes et de tous les dommages subis par les vainqueurs " en conséquence de la guerre qui a été imposée par l'agression de l'Allemagne et de ses alliés ". Ainsi les vainqueurs obligeaient les vaincus à se reconnaître comme des " fauteurs de guerre ", ce qui, là encore, constituait une innovation majeure dans le règlement des conflits. Moralement, cette disposition était insupportable pour les Allemands, qui se sentaient condamnés au tribunal de l'Histoire par le sort des armes. Le traité de Versailles était-il " juste ", était-il " solide ", c'est-à-dire capable d'assurer la paix pour une longue durée ? Sur la " justice " du traité, point n'est besoin de disserter longuement. Pendant plus de quatre années, des peuples avaient lutté dans des conditions difficiles. Les mentalités collectives en portaient une trace durable : comment faire entendre raison, c'est-à-dire magnanimité, aux Français qui avaient perdu 1 390 000 hommes sur les champs de bataille ? Comment leur faire admettre que les " Boches " ne remboursent point, franc par franc, sou par sou, les champs dévastés du Nord et de l'Est, les mines noyées, les industries détruites ? Compromis boiteux La solidité du système versaillais offre davantage matière à discussions. Celles-ci furent vives, violentes même, dès 1919. Que reprochait-on par exemple à Clemenceau, négociateur quasi solitaire des traités ? Le président de la République, Raymond Poincaré, qui, dans son journal intime, le 6 avril 1919, traite Clemenceau de " fou dont la France a fait un dieu ", le maréchal Foch, commandant en chef des armées alliées, qui déclare à Poincaré, ravi, le 15 avril 1919, que Clemenceau est " vieilli, nerveux, débile " et " qu'il cède sur tout ", considéraient que le traité de Versailles ne garantissait pas la sécurité de la France face à une Allemagne déjà soupçonnée de vouloir sa revanche, comme la France après 1871. Pour eux, il aurait fallu une occupation de la rive gauche du Rhin pendant une très longue durée car " la ligne du Rhin " est la seule défense réaliste de la France selon eux, le système de garantie par des alliances avec les puissances anglo-saxonnes était aléatoire. La Ligue des nations, bientôt Société des nations, inventée par Wilson et à laquelle Clemenceau lui-même ne croyait guère, serait sans pouvoir réel de coercition, donc dépourvue d'efficacité. Si l'on en juge par les événements survenus ensuite, on devrait logiquement leur donner raison. Dès mars 1920, le Sénat américain a refusé la ratification du traité, et donc les Etats-Unis ne siègent pas à la Société des nations en 1933, lorsque Hitler fait sortir l'Allemagne de la SDN, et en 1936, avec la remilitarisation de la rive gauche du Rhin, le traité de Versailles est devenu caduc. Clemenceau avait-il péché par optimisme ou par une trop grande confiance à l'égard des alliés anglo-américains ? En vérité, le compromis de Versailles entre les Alliés peut apparaître comme boiteux avec le recul du temps parce qu'il mêlait une grande rigueur dans certaines clauses territoriales ou économiques et une grande faiblesse dans les garanties d'exécution : " Les quatre ont agit comme s'ils ne comprenaient pas la nécessité de mettre en harmonie les clauses de contrainte et les moyens d'exécution ". En outre, une importante contradiction existait entre les principes et les réalités du traité les vainqueurs prétendaient fonder leur action sur des bases universelles (droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, respect des nationalités, diplomatie ouverte, menée devant et pour les peuples) or que de clauses ignorant les plébiscites (cas de l'Alsace-Lorraine), les exactes lignes de partage entre nationalités! Une Société des nations sans l'Allemagne, les Etats-Unis ni l'URSS avait-elle quelque chance de s'imposer ? Alors, les auteurs de ce traité, des idéalistes ? Wilson, grand inspirateur de la SDN, un esprit fumeux, loin des réalités de la vie internationale ? En fait, les hommes d'Etat qui ont préparé la paix de Versailles étaient prisonniers de leur environnement, du temps court, alors qu'ils avaient à oeuvrer pour le temps long. Le puissant mouvement des nationalités en Europe, faisant éclater les grands empires, avait abouti à un morcellement de plus en plus marqué de l'Europe, avant que cette " véritable guerre civile européenne " accouche de nouveaux Etats. Un deuxième mouvement de longue durée était également enclenché : les grandes puissances économiques en Europe s'affrontaient de plus en plus pour la conquête des marchés, en Europe et hors d'Europe les impérialismes, sur lesquels se penchaient alors les théoriciens marxistes ou non, débouchaient sur des conflits, telle la course commerciale entre Allemagne et Grande-Bretagne ou les rivalités financières franco-allemandes dans les Balkans. Et que fallait-il penser alors de cette révolution totale, survenue en Russie, au nom d'une idéologie communiste : était-ce un mouvement universel, novateur, capable de transformer la société pour la rendre plus juste, ou un mouvement de révolte propre aux pays sous-développés pour vaincre la misère au prix de la dictature, donc solution inadaptée aux Etats européens déjà développés ? A court terme, la révolution bolchevique faisait peur : elle agitait les esprits partout en Europe, donnait un modèle à ceux, très nombreux, qui, au sortir de la guerre, voulaient vivre mieux grâce à une action révolutionnaire. Si le traité de Versailles ne réglait aucunement le sort de la Russie aux prises avec une terrible guerre civile, le déroulement de cette guerre civile avait constamment préoccupé les négociateurs du traité. Fallait-il, en écrasant l'Allemagne et ses alliés, en faire des proies faciles pour le bolchevisme ? La France pouvait-elle conserver une forte armée alors que, dès le 1er mai 1919, les manifestants étaient ardents et nombreux, que des mutineries en mer Noire, à Toulouse (la presse tait l'événement sur le moment), manifestaient la lassitude des " poilus " ? Pour être rigoureux, il faut être puissant la France seule ne l'était pas, la Grande-Bretagne et même les Etats-Unis ne voulaient pas d'une puissance hégémonique en Europe la Russie était hors jeu quoique inquiétante. Du coup, on châtiait l'Allemagne, mais sans lui ôter tous les moyens de sa puissance. En somme, c'était encore le poids relatif des armées qu'il fallait soupeser pour anticiper le futur. Les auteurs de la paix de Versailles réglaient le sort du monde avec les méthodes du dix-neuvième siècle, alors que la guerre de 1914-1918 était le premier choc d'un monde nouveau, celui du vingtième siècle.

« disposition était insupportable pour les Allemands, qui se sentaient condamnés au tribunal de l'Histoire par le sort des armes. Le traité de Versailles était-il " juste ", était-il " solide ", c'est-à-dire capable d'assurer la paix pour une longue durée ? Sur la" justice " du traité, point n'est besoin de disserter longuement.

Pendant plus de quatre années, des peuples avaient lutté dans desconditions difficiles. Les mentalités collectives en portaient une trace durable : comment faire entendre raison, c'est-à-dire magnanimité, auxFrançais qui avaient perdu 1 390 000 hommes sur les champs de bataille ? Comment leur faire admettre que les " Boches " neremboursent point, franc par franc, sou par sou, les champs dévastés du Nord et de l'Est, les mines noyées, les industriesdétruites ? Compromis boiteux La solidité du système versaillais offre davantage matière à discussions.

Celles-ci furent vives, violentes même, dès 1919. Que reprochait-on par exemple à Clemenceau, négociateur quasi solitaire des traités ? Le président de la République,Raymond Poincaré, qui, dans son journal intime, le 6 avril 1919, traite Clemenceau de " fou dont la France a fait un dieu ", lemaréchal Foch, commandant en chef des armées alliées, qui déclare à Poincaré, ravi, le 15 avril 1919, que Clemenceau est" vieilli, nerveux, débile " et " qu'il cède sur tout ", considéraient que le traité de Versailles ne garantissait pas la sécurité de laFrance face à une Allemagne déjà soupçonnée de vouloir sa revanche, comme la France après 1871.

Pour eux, il aurait fallu uneoccupation de la rive gauche du Rhin pendant une très longue durée car " la ligne du Rhin " est la seule défense réaliste de laFrance selon eux, le système de garantie par des alliances avec les puissances anglo-saxonnes était aléatoire. La Ligue des nations, bientôt Société des nations, inventée par Wilson et à laquelle Clemenceau lui-même ne croyait guère,serait sans pouvoir réel de coercition, donc dépourvue d'efficacité.

Si l'on en juge par les événements survenus ensuite, on devraitlogiquement leur donner raison.

Dès mars 1920, le Sénat américain a refusé la ratification du traité, et donc les Etats-Unis nesiègent pas à la Société des nations en 1933, lorsque Hitler fait sortir l'Allemagne de la SDN, et en 1936, avec la remilitarisationde la rive gauche du Rhin, le traité de Versailles est devenu caduc.

Clemenceau avait-il péché par optimisme ou par une tropgrande confiance à l'égard des alliés anglo-américains ? En vérité, le compromis de Versailles entre les Alliés peut apparaître comme boiteux avec le recul du temps parce qu'il mêlaitune grande rigueur dans certaines clauses territoriales ou économiques et une grande faiblesse dans les garanties d'exécution :" Les quatre ont agit comme s'ils ne comprenaient pas la nécessité de mettre en harmonie les clauses de contrainte et les moyensd'exécution ". En outre, une importante contradiction existait entre les principes et les réalités du traité les vainqueurs prétendaient fonder leuraction sur des bases universelles (droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, respect des nationalités, diplomatie ouverte, menéedevant et pour les peuples) or que de clauses ignorant les plébiscites (cas de l'Alsace-Lorraine), les exactes lignes de partageentre nationalités! Une Société des nations sans l'Allemagne, les Etats-Unis ni l'URSS avait-elle quelque chance de s'imposer ? Alors, les auteurs de ce traité, des idéalistes ? Wilson, grand inspirateur de la SDN, un esprit fumeux, loin des réalités de la vieinternationale ? En fait, les hommes d'Etat qui ont préparé la paix de Versailles étaient prisonniers de leur environnement, du temps court, alorsqu'ils avaient à oeuvrer pour le temps long.

Le puissant mouvement des nationalités en Europe, faisant éclater les grands empires,avait abouti à un morcellement de plus en plus marqué de l'Europe, avant que cette " véritable guerre civile européenne "accouche de nouveaux Etats. Un deuxième mouvement de longue durée était également enclenché : les grandes puissances économiques en Europes'affrontaient de plus en plus pour la conquête des marchés, en Europe et hors d'Europe les impérialismes, sur lesquels sepenchaient alors les théoriciens marxistes ou non, débouchaient sur des conflits, telle la course commerciale entre Allemagne etGrande-Bretagne ou les rivalités financières franco-allemandes dans les Balkans. Et que fallait-il penser alors de cette révolution totale, survenue en Russie, au nom d'une idéologie communiste : était-ce unmouvement universel, novateur, capable de transformer la société pour la rendre plus juste, ou un mouvement de révolte propreaux pays sous-développés pour vaincre la misère au prix de la dictature, donc solution inadaptée aux Etats européens déjàdéveloppés ? A court terme, la révolution bolchevique faisait peur : elle agitait les esprits partout en Europe, donnait un modèle àceux, très nombreux, qui, au sortir de la guerre, voulaient vivre mieux grâce à une action révolutionnaire.

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