Devoir de Philosophie

Thierry, Récits des temps mérovingiens (extrait)

Publié le 13/04/2013

Extrait du document

temps

Après avoir été publiés à partir de 1833 par la prestigieuse Revue des Deux Mondes, puis en un seul livre en 1840, les Récits des temps mérovingiens d’Augustin Thierry ont été salués par Michelet et Chateaubriand, qui déclare : « C’est un chef-d’œuvre de narration… Jamais on n’a mieux fait sentir une de ces époques historiques de la mort et du renouvellement d’une société. « À partir de sources écrites — notamment l’Histoire des Francs de Grégoire de Tours, rédigée au VIe siècle — Thierry élabore sept récits à la manière d’Homère qui s’inscrivent dans le courant romantique de la première moitié du XIXe siècle. Cherchant à unir l’art et la science, il dresse avec un talent consommé de la narration historique le portrait des dynasties mérovingiennes du VIe siècle. Restituant le langage des protagonistes, il amène le lecteur au plus près des luttes fratricides qui opposent les descendants de Clovis, dont il prend le parti de conserver les noms barbares étranges, gages de dépaysement. Si cette manière d’aborder l’histoire est par trop datée, elle vaut encore aujourd’hui par le charme romanesque qui s’en dégage.

Récits des temps mérovingiens d’Augustin Thierry

 

Premier récit

 

 

[…] Entre tous les fils de Chlother, Hilperik est celui auquel les récits contemporains attribuent le plus grand nombre de reines, c’est-à-dire de femmes épousées d’après la loi des Franks, par l’anneau et par le denier. L’une de ces reines, Audowere, avait à son service une jeune fille nommée Fredegonde, d’origine franke, et d’une beauté si remarquable que le roi, dès qu’il l’eut vue, se prit d’amour pour elle. Cet amour, quelque flatteur qu’il fût, n’était pas sans danger pour une servante que sa situation mettait à la merci de la jalousie et de la vengeance de sa maîtresse. Mais Fredegonde ne s’en effraya point ; aussi rusée qu’ambitieuse, elle entreprit d’amener, sans se compromettre, des motifs légaux de séparation entre le roi et la reine Audowere. […]

 

 

Deuxième récit

 

 

[…] Jugeant sa position presque désespérée, le roi attendait l’événement dans une sorte d’impassibilité ; mais la reine, moins lente d’esprit, s’ingéniait de mille manières, faisait des projets d’évasion, et observait autour d’elle pour épier la moindre lueur d’espérance. Parmi les hommes qui étaient venus à Tournai partager la fortune de leur prince, elle en remarqua deux dont le visage ou les discours indiquaient un sentiment profond de sympathie et de dévouement : c’étaient deux jeunes gens nés au pays de Térouanne, Franks d’origine et disposés par caractère à ce fanatisme de loyauté qui fut le point d’honneur des vassaux du moyen âge. Fredegonde mit en usage, pour gagner l’esprit de ces hommes, toute son adresse et tous les prestiges de son rang : elle les fit venir auprès d’elle, leur parla de ses malheurs et de son peu d’espoir, joignit à ses propos gracieux des boissons enivrantes ; et, quand elle crut les avoir en quelque sorte fascinés, elle leur proposa d’aller à Vitry assassiner le roi Sigdebert. Les jeunes soldats promirent de faire tout ce que la reine leur commanderait : et alors elle donna de sa propre main à chacun d’eux un long couteau à gaine, ou, comme disaient les Franks, un skramasax, dont elle avait, par surcroît de précautions, empoisonné la lame. « Allez, leur dit-elle, et si vous revenez vivants, je vous comblerai d’honneurs, vous et votre postérité ; si vous succombez, je distribuerai pour vous des aumônes à tous les lieux saints. «

 

 

Les deux jeunes gens sortirent de Tournai, et, se donnant pour déserteurs, ils traversèrent les lignes des Austrasiens et prirent la route qui conduisait au domaine royal de Vitry. Quand ils y arrivèrent, toutes les salles retentissaient encore de la joie des fêtes et des banquets. Ils dirent qu’ils étaient du royaume de Neustrie, qu’ils venaient pour saluer le roi Sighebert et pour lui parler. Dans ces jours de royauté nouvelle, Sighebert était tenu de se montrer affable et de donner audience à quiconque venait réclamer de lui protection ou justice. Les Neustriens sollicitèrent un moment d’entretien à l’écart, ce qui leur fut accordé sans peine ; le couteau que chacun d’eux portait à la ceinture n’excita pas le moindre soupçon, c’était une partie du costume germanique. Pendant que le roi les écoutait avec bienveillance, ayant l’un à sa droite et l’autre à sa gauche, ils tirèrent à la fois leur skramasax, et lui en portèrent en même temps deux coups à travers les côtes. Sighebert poussa un cri et tomba mort. […]

 

 

Septième récit

 

 

[…] Fredegonde n’avait plus à craindre qu’un fils de Hilperik et d’une autre femme qu’elle, n’héritât du royaume ; sa sécurité à cet égard était complète, mais ses fureurs n’étaient pas à bout. La mère de Chlodowig, l’épouse qu’elle avait fait répudier, Audowere, vivait encore dans un monastère de la ville du Mans ; cette femme avait à lui demander compte de sa propre infortune et de la mort de deux fils, le premier traqué par elle comme une bête fauve et contraint au suicide1, le second assassiné. Soit que Fredegonde crût possible qu’au fond de son cloître, Audowere nourrît des projets et trouvât des moyens de vengeance, soit que sa haine contre elle n’eût d’autre cause que le mal qu’elle-même lui avait fait, cette haine était au comble ; un nouveau crime suivit de près le meurtre de Chlodowig. […]

 

 

1. Merowig ; voyez Troisième récit.

 

 

Source : Thierry (Augustin), Récits des temps mérovingiens, Paris, Les Presses d’aujourd’hui, 1981.

 

Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

Liens utiles