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Terreur et chaos au Timor-Oriental livré aux milices pro-indonésiennes

Publié le 17/01/2022

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30 août 1999 "Priez pour nous", s'est contenté de dire un religieux joint au téléphone à Dili. Livrée au chaos et à la terreur, la population du Timor-Oriental serait désormais menacée d'expulsion : "Une opération de déplacement forcé des populations est en cours. Les forces armées indonésiennes et les milices les transportent par camions vers le Timor-Occidental", a déclaré à l'agence Reuters, lundi 6 septembre, le porte- parole des Nations unies à Dili. Auparavant, des miliciens pro-indonésiens ont mis le feu au siège du diocèse de la capitale. On compterait plus de vingt-cinq victimes parmi les deux cents réfugiés qui s'y trouvaient. Des volutes de fumées s'élevaient au-dessus de Dili. Dix mille personnes se sont réfugiées au commissariat central de la police, près de l'aéroport. Lundi, les miliciens ont attaqué la résidence de Mgr Carlos Belo, évêque de Dili, Prix Nobel de la paix, ainsi que le siège voisin du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), où des milliers de personnes sont réfugiées. Mille cinq cents civils se sont aussi abrités au siège, sans protection, de l'ONU. Des coups de feu et quelques explosions sont entendues, de nuit comme de jour, dans la ville sillonnée par des miliciens armés et entièrement libres de leurs mouvements. Des informations font déjà état de dizaines de morts à Dili alors qu'on ignore à peu près tout de la situation dans le reste de l'ancien territoire portugais. Un "cauchemar", a résumé Ana Gomes, la représentante du Portugal en Indonésie. Dimanche, des miliciens auraient mis le feu à la façade de l'Hôtel Mahkota peu après son évacuation par plus d'une centaine de journalistes et du personnel de l'ONU. Plusieurs dizaines d'habitations auraient été incendiées dans d'autres quartiers. "Meurtres gratuits" Des milliers de gens se sont réfugiés sur les collines, rejoignant d'autres milliers qui y campaient depuis plusieurs jours. D'autres ont tenté de prendre la route du Timor- Occidental, la moitié indonésienne de l'île, où dix mille réfugiés étaient déjà arrivés dimanche et où des dispositions ont été prises pour accueillir cent mille personnes. Des gens ont pris d'assaut les bateaux et ferries dans le port de Dili, parfois sous les tirs de miliciens. Lundi, des C-130 de l'armée australienne ont atterri pour évacuer vers Darwin le personnel jugé "non-essentiel" de l'ONU, soit 204 personnes, et l'un des deux convois qui les menaient à l'aéroport de Comoro a été la cible de coups de feu. Deux cent trente-huit représentants de l'ONU demeurent sur place, dont 149 dans cinq centres en dehors de Dili. Dans l'impunité totale, des miliciens, dont beaucoup sont venus d'autres bourgs du territoire, ont terrorisé la population de la capitale et commencé à s'adonner au pillage. L'ONU a été contrainte d'abandonner au moins sept de ses bureaux en dehors de Dili. La police, qui a souvent sympathisé avec les miliciens, n'assure nulle part la sécurité des populations. "Escalade de la violence, meurtres gratuits et scènes de destruction", a résumé le Comité international de la Croix-Rouge de Genève. Totale coopération" La situation a commencé à dégénérer samedi, quelques heures seulement après l'annonce des résultats du référendum organisé par l'ONU le 30 août et au cours duquel 78,5 % des électeurs ont voté pour l'indépendance. Des miliciens se sont répandus dans la ville et les cordons de sécurité de la police se sont peu à peu évanouis, y compris autour du siège de l'ONU, qui jouxte une école pleine de réfugiés attaquée dimanche. Les militaires ne sont intervenus que pour assurer la sécurité de l'aéroport, où une délégation ministérielle indonésienne présidée par le général Wiranto, chargé de la défense et patron de l'armée, a reçu, pendant quatre heures, dans le salon d'honneur, des Timorais pro-indonésiens ainsi que le chef de la mission de l'ONU, Ian Martin. Le général Wiranto a évoqué le renforcement des quelque onze mille policiers et douze mille militaires déjà présents sur le territoire. Lundi, le général a annoncé l'envoi de "renforts de troupes" qui "devront ramener au calme les deux parties qui se combattent après le référendum". Le ministre des affaires étrangères, Ali Alatas, a parlé des "nombreuses fraudes" dont le scrutin aurait été entaché, selon des Timorais pro-indonésiens. Ceux-ci ont annoncé officiellement qu'ils ne reconnaissaient pas le résultat d'un vote "ni honnête, ni impartial, ni transparent". Les conditions sanitaires et alimentaires des personnes "déplacées", dont le nombre est évalué à vingt- cinq mille par le CICR, sont jugées graves, avec risques de famine dans les collines où elles campent. José Ramos-Horta, indépendantiste timorais et Prix Nobel de la Paix, a dénoncé à New York la menace d'une "catastrophe humanitaire imminente et d'une ampleur inouïe". L'ONU a réaffirmé, lundi, sa volonté de maintenir une présence au Timor-Oriental. Taur Matau Rauk, chef de la petite guérilla indépendantiste, a menacé de reprendre la lutte armée "d'ici peu" tout en admettant se heurter à de sérieux problèmes de logistique. Personne, en définitive, ne peut prévoir les suites d'un brutal et sanglant dérapage. "Tout le monde voit la totale coopération sur le terrain entre l'armée, la police et les milices", a jugé, pour sa part, Ana Gomes, malgré les démentis catégoriques de Djakarta. "Les miliciens nous entourent, ils tirent en l'air, nous n'avons aucune protection", a rapporté au téléphone une religieuse responsable d'une école de Dili bondée de réfugiés. JEAN-CLAUDE POMONTI Le Monde du 7 septembre 1999

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