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Suétone, Vie des douze Césars (extrait)

Publié le 13/04/2013

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Dans la Vie des douze Césars rédigée vers 121 apr. J.-C., l’historien latin Suétone expose, selon une architecture toujours identique, la biographie des douze premiers empereurs romains. Nourries d’archives officielles introduisant une méthode historique, ces « vies « font prédominer une analyse en forme de catalogue de renseignements plutôt qu’un récit vivant. Pourtant, celui des frasques de Néron, évoquant froidement toute la sombre figure de l’empereur, dresse un portrait terrible des abjections qu’il a commises.

Portrait de Néron par Suétone

 

L’emportement, la débauche, le luxe, l’avarice, la cruauté furent des vices où il se livra d’abord par degrés, secrètement, et comme égaré par sa jeunesse ; mais, même alors, personne ne douta que ces vices ne fussent le fait de la nature, et non pas de l’âge. Dès la chute du jour, il prenait un bonnet ou une casquette, courait les cabarets et vagabondait par les rues en manière de jeu, mais de jeu non inoffensif : en effet, il frappait d’ordinaire les gens qui revenaient de dîner, les blessait quand ils lui résistaient et les plongeait dans les égouts ; il allait jusqu’à enfoncer les portes des petites boutiques et à les mettre au pillage ; et il avait établi chez lui une sorte de marché, où il vendait par lot son butin à l’encan pour en dissiper le produit. Souvent, dans des rixes de la sorte, il risqua de perdre les yeux et la vie ; un sénateur, dont il avait insulté la femme, pensa le faire expirer sous ses coups ; aussi à la suite de cette aventure ne s’exposa-t-il jamais en public, à pareille heure, sans être suivi de loin et en secret par des tribuns. Pendant le jour aussi, il se faisait porter clandestinement au théâtre dans une chaise à porteur, et, du haut de l’avant-scène, il encourageait et regardait les querelles entre pantomimes ; et, quand on en était venu aux mains et qu’on se battait à coups de pieds et de morceaux de bancs, il en jetait aussi beaucoup sur le peuple, et blessa même une fois un préteur à la tête.

 

 

Mais peu à peu, ses vices grandissant, il laissa là plaisanteries et mystères, et, sans prendre soin de dissimuler, il donna libre cours à de plus grands excès. Il prolongeait ses repas depuis le milieu du jour jusqu’au milieu de la nuit, et réparait ses forces en prenant souvent des bains chauds, ou, l’été, rafraîchis avec de la neige. Il dînait parfois aussi dans un lieu public, soit dans la Naumachie qu’il faisait fermer, soit dans le Champ-de-Mars, soit dans le cirque Maxime, où il avait pour le servir les prostituées de toute la Ville et les joueuses de flûte. Toutes les fois qu’il descendait le Tibre jusqu’à Ostie, ou côtoyait le golfe de Baies, on plaçait et on disposait le long du littoral ou des rives des boutiques et des tavernes confortables où des matrones, jouant le rôle de marchandes, l’invitaient de toutes parts à aborder. Il s’invitait à dîner chez des amis, et il en coûta à l’un d’eux quatre cent mille sesterces pour des friandises au miel, et à un autre beaucoup plus encore pour des effluves de rose.

 

 

Sans parler de ses rapports avec des hommes libres et de ses débauches avec des femmes mariées, il fit violence à une vierge vestale, Rubria. Il s’en fallut de peu qu’il n’épousât en justes noces l’affranchie Acté, après avoir suborné des personnages consulaires pour jurer qu’elle était issue de race royale. Il s’efforça même, lui ayant fait couper les testicules, de transformer en femme, un jeune garçon, Sporus : on le lui amena en grande pompe avec la dot et le voile couleur de flamme, en observant tous les rites du mariage, et il le traita en épouse. C’est ce qui fit dire, non sans esprit, à quelqu’un « que le genre humain se fût bien trouvé, si le père de Néron, Domitius, avait eu une pareille épouse. « Il para ce Sporus des ornements des impératrices, le fit porter en litière et l’accompagna dans les assemblées et dans les marchés de la Grèce, et bientôt à Rome, dans les sigillaires, le couvrant sans cesse de baisers. Qu’il ait désiré coucher avec sa mère et que les ennemis de celle-ci l’en aient détourné, de peur que cette femme fière et incapable de se contenir ne se prévalût encore de ce genre de faveur, c’est ce dont personne ne douta, surtout après qu’il eut admis parmi ses concubines une courtisane, qui ressemblait beaucoup, dit-on, à Agrippine. On assure même que, toutes les fois qu’il allait en litière avec sa mère, il satisfaisait ses désirs incestueux, ainsi que le révélaient les taches de ses vêtements.

 

 

Source : Suétone, Vie des douze Césars, Paris, Garnier-Flammarion, 1931.

 

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