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Rome est tombée

Publié le 17/01/2022

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4 juin 1944 - " It's a long way to Rome... ", disaient les affiches de la propagande allemande sur les murs de l'Europe occupée, à la fin de l'hiver 1944. Un escargot aux couleurs anglaises et américaines remontait la côte tyrrhénienne d'une Italie stylisée. Un graphique indiquait que du 6 septembre 1943 au 1er avril 1944, les forces alliées avaient progressé vers Rome deux fois plus lentement que le gastéropode (80 centimètres à la minute). Ce que cette ironie avait de fondé touchait-il les Européens ? Pensaient-ils que l'Italie pouvait être un théâtre d'opérations décisif, si loin de Berlin ? Qui affirmerait aujourd'hui, en réveillant son souvenir, que la conquête de Rome s'annonçait au printemps 1944 comme une date-clé de la guerre ? Si depuis vingt-sept siècles Rome a été la capitale le plus souvent convoitée par un vainqueur qualifié de ce fait de " barbare ", la conquête du 4 juin 1944 a exigé des armées, des moyens et des délais sans commune mesure avec aucune des conquêtes antérieures : environ huit cent mille hommes des deux cotés s'affrontant pendant dix mois sur toute la largeur de la péninsule. Combattants qui ne se battent pas chez eux et ne savent de Rome qu'un mythe plus ou moins clair. Churchill avait déclaré à la conférence de Téhéran " Qui tient Rome tient en main les titres de propriété de l'Italie. " Il visait, on ne peut plus clairement, le contrôle politique de la Péninsule remise sous le pouvoir d'un régime antifasciste, dans la vielle ligne de pensée qui faisait de l'Italie un discret protectorat britannique. Vouloir Rome, c'était aussi pour Churchill en faire le gage symbolique de sa stratégie méditerranéenne : elle supposait que la conquête de l'Italie déboucherait vers Vienne et Prague, visant le coeur de l'Europe centrale avant les armées soviétiques. Roosevelt, approuvé par Staline, y opposa son dessein : le " second front " serait ouvert au nord de l'Europe, sur la route la plus directe vers Berlin. Le projet Overlord. La stabilisation du front allié au nord de Naples, à l'automne 1943, coïncida avec (et peut-être provoqua) le relatif repli de Churchill, effectuant à cette époque, à Moscou, le partage des zones d'influence dans le Sud-Est européen. Staline reconnaissait l'Italie aux Occidentaux. Rome prise ou non, ce théâtre d'opérations n'intéressait pas plus Staline que de Gaulle pour des raisons différentes, ils insistaient tous deux sur le débarquement en France. Pour Eisenhower, commandant en chef allié, ce front n'eut, très tôt qu'un rôle : fixer le maximum de troupes du Reich. Comme pour Kesselring, commandant les forces allemandes, qui de novembre jusqu'au milieu de mai 1944, bloqua sur place les Alliées. Rome n'était plus au printemps 1944 qu'un noeud de communications vital pour la retraite allemande, et dont Kesselring faisait payer très cher l'accès aux Alliées. Il fallut quatre assauts et beaucoup de bombardements pour venir à bout du Mont Cassin. Entre les Abruzzes et la mer, la Ve armée américaine, commandé par le général Mark Clark, déployait treize divisions (sept américaines, deux anglaises, quatre françaises). L'offensive commença le 11 mai. La marche sur Rome, qui dura trois semaines, au rythme qu'imposaient les résistances des verrous allemands, fut possible après que le corps de montagne français eut crevé le front allemand. Dans la journée du 4 juin, avec un certaine confusion, les détachements alliées entraient dans la ville, des commandos canadiens et américains occupant immédiatement les ponts. Les colonnes de la Wehrmacht se repliaient, fourbues, dans un ordre relatif, sans nulle part chercher à prolonger les résistances. Contournant Rome par l'est et le nord, en franchissant le Tibre, le général de Monsabert, avec sa 3e division de tirailleurs algériens, venait s'installer au débouché de la Nomentana, sur le Monte Sacro. Le 5, Clark put faire son entrée solennelle à Rome, ce trophée incomparable pour un général. Du coté des Français, l'objectif Rome n'avait eu d'autre intérêt que de permettre leur rentrée dans la guerre sur une grande échelle. Ils n'en demeuraient pas moins en position subalterne. L'essentiel, pour le gouvernement d'Alger, allait se jouer en France, où les divisions françaises d'Italie allaient débarquer avec les Américains. Juin et les autres chefs alliés en Italie s'entêtèrent : la prise de Rome leur semblait l' " occasion exceptionnelle " pour bousculer sans désemparer les troupes allemandes en déroute et foncer vers les Alpes en vue de cette " invasion danubienne " qui renouvellerait les grandes campagnes de Napoléon. Maître de la décision, le comité des chefs d'état-major alliés la renvoya au début de juillet, laissant à Kesselring le temps de rétablir sa situation sur les Appenins. Finalement, l'insistance d'Eisenhower l'emporta : le débarquement prévu en Provence aurait lieu le 15 août, pour lui donner le port en eau profonde dont il avait besoin dans son offensive à l'ouest de l'Allemagne. A Rome l'occupation allemande, commencée le 8 septembre 1943, s'était faite très pesante avec l'aide de la police fasciste. L'attentat de la via Rasella, en mars 1944 provoqué par les " groupes d'action partisans ", avait déclenché le massacre des trois cent trente-cinq otages des Fosses Ardéatines. Ravagée autant par la famine que par le marché noir, la communauté des Romains était éclatée, déplacée à l'intérieur même de l'enceinte. Quatre mille juifs étaient cachés dans les couvents et institutions religieuses. Les opposants politiques au fascisme ne dormaient pas chez eux. Les principaux dirigeants des partis d'avant 1922 formaient le Comité de libération nationale, réfugié à Saint-Jean de Latran, sous la protection du pape, à trois cents mètres des cellules de la Gestapo, via Tasso. Représentaient-il vraiment le destin de l'Italie ? La légalité, en cet instant, était à Bari entre les mains du roi Victor-Emmanuel III et du cabinet Badoglio, réformé en avril. L'Italie résistante était dans le nord, à Milan, à Turin, dans les vallées des Alpes, où les maquis, surgis des formations militaires démobilisées, avaient tenu tout l'hiver. La prise de Rome marqua pour les Italiens le moment où glissa le fondement même du pouvoir. Victor-Emmanuel III, tenant sa promesse, céda le sien le 5 juin à son fils, le prince de Piémont devenu lieutenant-général du royaume. Le cabinet Badoglio, remanié en avril pour incorporer tous les partis, était responsable devant lui. Mais le 8 juin dans un petit salon du Grand Hôtel, le Comité de libération nationale se constitua en gouvernement : le conservateur Ivanoe Bonomi en fut le chef. Y figuraient notamment Croce, De Gasperi, Saragat, Togliatti. Pas question de proclamer la République : les forces alliées avaient consigne de réprimer par la force une telle tentation. Umberto, à l'étonnement d'une partie des membres du CLN, accepta ce transfert de Badoglio à Bonomi, consentant en fait aux dirigeants du CLN un rôle qui amputait les pouvoirs constitutionnels du souverain. Le processus s'amorça ainsi, qui conduira à la République deux ans plus tard. Cette transition paisible tout comme l'absence de soulèvement des partisans dans Rome occupée furent très largement dues à la stratégie de Palmiro Togliatti, secrétaire général du parti communiste. Son retour en Italie, le 27 mars, son affirmation d'un soutien total à la monarchie et au cabinet Badoglio, ses consignes de prévention contre toute illusion révolutionnaire et républicaine nourrie par les partisans du Nord, relevaient d'un marchandage global négocié, sur l'initiative italienne, avec l'URSS. Reste la Rome de Pie XII, celle qui s'arrête ou commence à la démarcation symbolique des dalles de grès sur la place Saint-Pierre. Depuis des mois, le pape a mené une bataille diplomatique pour obtenir que Rome soit proclamée " ville ouverte ", que les forces allemandes n'y stationnent pas, que les Alliés ne bombardent pas. De fait, si un tel statut n'a jamais été réalisé, les belligérants ont pris des ménagements. Le 2 juin au soir, quand il a encore le choix entre le repli ou l'accrochage dans Rome, Kesselring, faute d'un accord avec les Alliés par l'entremise du Vatican pour maintenir la ville hors de la zone des combats, décide l'évacuation.

« A Rome l'occupation allemande, commencée le 8 septembre 1943, s'était faite très pesante avec l'aide de la police fasciste.L'attentat de la via Rasella, en mars 1944 provoqué par les " groupes d'action partisans ", avait déclenché le massacre des troiscent trente-cinq otages des Fosses Ardéatines.

Ravagée autant par la famine que par le marché noir, la communauté des Romainsétait éclatée, déplacée à l'intérieur même de l'enceinte.

Quatre mille juifs étaient cachés dans les couvents et institutions religieuses.Les opposants politiques au fascisme ne dormaient pas chez eux.

Les principaux dirigeants des partis d'avant 1922 formaient leComité de libération nationale, réfugié à Saint-Jean de Latran, sous la protection du pape, à trois cents mètres des cellules de laGestapo, via Tasso. Représentaient-il vraiment le destin de l'Italie ? La légalité, en cet instant, était à Bari entre les mains du roi Victor-Emmanuel IIIet du cabinet Badoglio, réformé en avril.

L'Italie résistante était dans le nord, à Milan, à Turin, dans les vallées des Alpes, où lesmaquis, surgis des formations militaires démobilisées, avaient tenu tout l'hiver.

La prise de Rome marqua pour les Italiens lemoment où glissa le fondement même du pouvoir.

Victor-Emmanuel III, tenant sa promesse, céda le sien le 5 juin à son fils, leprince de Piémont devenu lieutenant-général du royaume.

Le cabinet Badoglio, remanié en avril pour incorporer tous les partis,était responsable devant lui. Mais le 8 juin dans un petit salon du Grand Hôtel, le Comité de libération nationale se constitua en gouvernement : leconservateur Ivanoe Bonomi en fut le chef.

Y figuraient notamment Croce, De Gasperi, Saragat, Togliatti.

Pas question deproclamer la République : les forces alliées avaient consigne de réprimer par la force une telle tentation. Umberto, à l'étonnement d'une partie des membres du CLN, accepta ce transfert de Badoglio à Bonomi, consentant en fait auxdirigeants du CLN un rôle qui amputait les pouvoirs constitutionnels du souverain.

Le processus s'amorça ainsi, qui conduira à laRépublique deux ans plus tard. Cette transition paisible tout comme l'absence de soulèvement des partisans dans Rome occupée furent très largement dues à lastratégie de Palmiro Togliatti, secrétaire général du parti communiste.

Son retour en Italie, le 27 mars, son affirmation d'un soutientotal à la monarchie et au cabinet Badoglio, ses consignes de prévention contre toute illusion révolutionnaire et républicainenourrie par les partisans du Nord, relevaient d'un marchandage global négocié, sur l'initiative italienne, avec l'URSS. Reste la Rome de Pie XII, celle qui s'arrête ou commence à la démarcation symbolique des dalles de grès sur la place Saint-Pierre. Depuis des mois, le pape a mené une bataille diplomatique pour obtenir que Rome soit proclamée " ville ouverte ", que lesforces allemandes n'y stationnent pas, que les Alliés ne bombardent pas.

De fait, si un tel statut n'a jamais été réalisé, lesbelligérants ont pris des ménagements.

Le 2 juin au soir, quand il a encore le choix entre le repli ou l'accrochage dans Rome,Kesselring, faute d'un accord avec les Alliés par l'entremise du Vatican pour maintenir la ville hors de la zone des combats,décide l'évacuation. JACQUES NOBECOURTLe Monde du 10 juin 1984 CD-ROM L'Histoire au jour le jour © 2002, coédition Le Monde, Emme et IDM - Tous droits réservés. »

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