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Roland BARTHES: L’image cinématographique - Texte seul

Publié le 24/03/2020

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barthes

Roland BARTHES

1915 - 1981 Mythologies (1957)

LE VISAGE DE GARBO

Garbo1 appartient encore à ce moment du cinéma où la saisie du visage humain jetait les foules dans le plus grand trouble, où l’on se perdait littéralement dans une image humaine comme dans un philtre, où le visage constituait une sorte d’état absolu de la chair, que l’on ne 5 pouvait ni atteindre ni abandonner. Quelques années avant, le visage de Valentino opérait des suicides ; celui de Garbo participe encore du même règne d’amour courtois, où la chair développe des sentiments mystiques de perdition.

C’est sans doute un admirable visage-objet; dans La Reine Christine, film que l’on a revu ces années-ci à Paris, le fard a l’épaisseur neigeuse d’un masque ; ce n’est pas un visage peint, c’est un visage plâtré, défendu par la surface de la couleur et non par ses lignes ; dans toute cette neige à la fois fragile et compacte, les yeux seuls, noirs comme une pulpe bizarre, mais nullement expressifs, sont deux meurtrissures un 15 peu tremblantes. Même dans l’extrême beauté, ce visage non pas dessiné, mais plutôt sculpté dans le lisse et le friable, c’est-à-dire à la fois parfait et éphémère, rejoint la face farineuse de Chariot, ses yeux de végétal sombre, son visage de totem.

Or, la tentation du masque total (le masque antique, par exemple)  implique peut-être moins le thème du secret (ce qui est le cas des demi-masques italiens) que celui d’un archétype2 du visage humain.

Mythologies, «Points», Ed. du Seuil (extrait).

1. Greta Garbo (1905-1990): actrice de cinéma, surnommée la divine. - 2. Modèle primitif et idéal.

• Comment est rendue la magie du cinéma dans ce passage ?

• La description: étudiez les images et les comparaisons.

• En quoi le visage de la star est-il ici déshumanisé?

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