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République, IIe

Publié le 11/02/2013

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1   PRÉSENTATION

République, IIe, régime politique de la France du 25 février 1848 au 2 décembre 1852.

Souvent comparée à la Révolution française, dont elle serait en quelque sorte un condensé au xixe siècle, la IIe République a fait, en effet, chuter une monarchie (la monarchie de Juillet) et préparé un empire (le Second Empire). Elle a été immédiatement un objet d’études prisé, notamment pour Alexis de Tocqueville, dans ses Souvenirs, et Karl Marx, dans les Luttes des classes en France (1848-1850). Victor Hugo et Gustave Flaubert en tirent trois grandes descriptions littéraires, respectivement dans les Châtiments, Souvenirs personnels, 1848-1850 et dans l’Éducation sentimentale.

La IIe République comprend trois principales phases. La première enveloppe la période révolutionnaire, de l’insurrection de février à la crise de juin 1848. La deuxième correspond au temps de la République bourgeoise et modérée, dont l’histoire est interrompue par le coup d’État napoléonien de 1851. Enfin, les derniers mois de la IIe République ouvrent la voie au Second Empire, institué fin 1852.

2   L’ILLUSION LYRIQUE OU L’ÉCHEC D’UNE RÉPUBLIQUE ROMANTIQUE
2.1   L’élan révolutionnaire

La crise politique menant à l’insurrection révolutionnaire des 22-25 février 1848 se développe sur l’humus d’un malaise économique et social qui mine la monarchie de Juillet depuis le début des années 1840 (voir Révolution française de février 1848).

La crise de subsistance des années 1845-1846 — la dernière en date, en France —, avec ses récoltes déficitaires, son augmentation des prix et ses émeutes rurales et ouvrières, plonge le pays dans une intense confusion sociale. En dépit de la bonne récolte de 1847, le retour à la stabilité tarde. Les masses et une partie importante de la petite et moyenne bourgeoisie se rapprochent alors d’un idéal républicain en rupture avec la monarchie. Le mécontentement politique qui s’ensuit s’exprime dans la « campagne des Banquets « (juillet 1847-février 1848). Celle-ci réunit l’opposition au régime de Louis-Philippe autour d’un thème clef : la réforme électorale, synonyme d’une meilleure représentativité des élus et d’une démocratisation de la vie politique. Au cours de banquets (substituts des réunions interdites), les toasts qu’on porte à la réforme électorale, au suffrage universel et à la République suppléent alors les discours politiques prohibés.

La Révolution elle-même a pour cause immédiate une manifestation de protestation contre l’interdiction du dernier banquet, prévu le 22 février 1848, afin de protester contre le refus du ministère Guizot d’avaliser une réforme électorale. Le 14 février, François Guizot interdit le banquet à venir. Le 21, craignant d’être débordés par un large mouvement de protestation populaire, ses organisateurs tentent de l’annuler. Mais il est trop tard. Du 22 au 25 février, le peuple parisien prend le pouvoir. Le 24, le roi Louis-Philippe abdique et un gouvernement provisoire est immédiatement formé.

2.2   Les modérés en position de force

Le gouvernement provisoire naît d’une négociation entre deux organisations politiques constituées le 25 février 1848 : l’une au Palais-Bourbon, modérée, composée de députés républicains non socialistes ; l’autre à l’Hôtel de ville, républicaine, formée de personnalités civiles. Les onze membres du gouvernement provisoire reflètent cette hétérogénéité : du côté du National d’Armand Marrast (lui-même membre du gouvernement), les anciens députés Lamartine, Ledru-Rollin, Dupont de l’Eure, François Arago, Adolphe Crémieux, Marie, Garnier-Pagès ; du côté de la Réforme de Ferdinand Flocon (également membre du gouvernement), le théoricien socialiste Louis Blanc et l’« ouvrier « Albert. En dépit des espoirs du peuple insurgé, cette faible représentation socialiste prouve que le gouvernement est d’emblée dominé par des hommes de pouvoir acquis à un changement plus réformateur que révolutionnaire. En somme, si l’hétérogène unanimité du groupe l’emporte symboliquement (un « chef d’État à onze têtes « selon les termes de l’historien Maurice Agulhon), les hommes de la gauche républicaine n’y sont pas en position de force.

La composition du gouvernement provisoire ne présuppose donc pas un désir de rupture révolutionnaire, évidence confortée par la combinaison du ministère façonné par le gouvernement : Louis Blanc et Albert n’y disposent d’aucun maroquin ; en revanche, les postes clefs sont contrôlés par les anciens députés (Lamartine aux Affaires étrangères et chef du gouvernement, Ledru-Rollin à l’Intérieur). En outre, des ministres modérés ne siégeant pas au gouvernement sont appelés en renfort : Sadi Carnot à l’Instruction publique, Bethmont au Commerce, le général Bedeau à la Guerre, le colonel Charras et Victor Schoelcher respectivement secrétaires d’État à la Guerre et à la Marine.

2.3   Les mesures du gouvernement provisoire

Si les décisions du gouvernement introduisent une rupture politique avec la monarchie de Juillet, le maintien du drapeau tricolore contre le drapeau rouge (ayant les préférences du peuple insurgé) souligne de manière emblématique l’ancrage modéré de l’action entreprise.

Néanmoins, plusieurs décisions symboliques touchent aux thèmes de la dignité humaine et de la liberté du peuple. À l’instigation de Victor Schoelcher, l’abolition de l’esclavage est décrétée le 4 mars 1848. Sur un autre plan, le recrutement de la Garde nationale se démocratise (17 mars). Plusieurs décrets et principes rapidement édictés illustrent la volonté subséquente de démocratiser le débat et la vie politiques. Le 25 février, la peine de mort pour délit politique est abrogée. Le 2 mars, le principe du suffrage universel est adopté, offrant une réponse forte au peuple qui aspire depuis longtemps à une réforme électorale démocratique. Le 4 mars, la liberté totale de la presse et de réunion est adoptée. Le lendemain, un décret organise les futures élections à la Constituante. À ces mesures s’ajoutent des événements témoignant d’une rapide libéralisation de la vie publique : démis en janvier, Jules Michelet est réintégré au Collège de France en février ; Karl Marx, exilé, rentre à Paris courant mars.

En matière économique, le gouvernement s’affronte à la crise et à l’inquiétude des entrepreneurs qui hésitent à reprendre l’activité devant le risque d’émeutes. Pour relancer la circulation monétaire et l’activité économique, des coupures de 100 francs au cours forcé sont émises. Pour soutenir le Trésor Public et nourrir le portefeuille gouvernemental, l’impôt des « 45 centimes « est institué.

À la charnière de l’économie et du social, le gouvernement doit résoudre avec célérité la question du chômage endémique, car celui-ci porte en germes d’éventuels désordres populaires. Pour des raisons identiques, il doit légiférer sur le droit et sur les conditions du travail. Après la proclamation préliminaire du « droit au travail « (25 février 1848) et la réduction du temps de travail de 11 à 10 heures (2 mars), l’organisation des Ateliers nationaux (6 mars) se fait sous l’égide de Marie, ministre des Travaux publics. Ces Ateliers nationaux offrent du travail aux chômeurs, limitant ainsi les effets de la crise, tout en retenant les élans critiques d’un prolétariat urbain miséreux, susceptible d’adhérer aux clubs de gauche et de participer à quelque soulèvement. Le gouvernement est, en effet, échaudé dès le 28 février 1848 par une manifestation revendiquant la création d’un ministère du Travail.

2.4   De l’enthousiasme à la fin des bons sentiments…

L’ensemble de ces mesures enthousiasme la capitale et les provinces françaises où des révoltes ont accompagné la Révolution de février. Des clubs se constituent partout, surtout à Paris, attirant les désœuvrés en dépit de l’ouverture des Ateliers nationaux (100 000 clubistes environ). Alexis de Tocqueville témoigne de cette effusion : « Dès le 25 février, mille systèmes étranges sortirent de l’esprit des novateurs, et se répandirent dans l’esprit troublé de la foule «. C’est un fait que le gouvernement a permis une totale liberté de propagande, d’expression, de réunion. De ce fait, la Révolution — point théorique de jonction entre les utopies d’Étienne Cabet et de Charles Fourier, le saint-simonisme, l’égalitarisme et la liberté — abreuve le romantisme d’époque et ébranle les mentalités. Cette déstabilisation et l’état de relative béatitude qu’elle entraîne expliquent le recours à l’expression « illusion lyrique « pour désigner la période de février-mars 1848. Mais, rapidement, cette illusion se heurte à la réalité : les fractures politiques et sociales se rouvrent vite, comme le montre l’enjeu des élections d’avril 1848.

Dès mars 1848, craignant des notables des campagnes un vote conservateur qui anéantirait l’œuvre entamée, les républicains radicaux (les « démoc-soc «) se mobilisent pour obtenir un report des élections du 9 avril. Le 17 mars, sous la conduite du chef de file socialiste Auguste Blanqui, redouté pour son influence sur le peuple, une délégation obtient un report dérisoire, jusqu’au 23 avril. Le 16 avril, la rue est à nouveau en ébullition : deux manifestations, l’une de protestation, l’autre progouvernementale, se partagent le pavé parisien. De fait, deux mois après l’élan et le pacte de février, l’ombre de la lutte des classes alourdit le climat.

Le 23 avril 1848, les électeurs (masculins) se rendent aux urnes des chefs-lieux de canton. Ils y sont souvent menés par le curé, initiative préfigurant l’influence de l’Église sur la future assemblée. Les résultats donnent une majorité écrasante aux modérés du groupe « National « (en référence au journal) partagés, selon l’expression consacrée, entre les républicains de la veille (280 environ) et ceux du lendemain (un peu plus de 200). Les royalistes obtiennent, pour leur part, 300 sièges. Enfin, fédérés autour de la Réforme, clubistes, radicaux et socialistes ne comptent qu’une centaine d’élus.

Portée au succès par la France provinciale des notables, soucieuse de limiter l’impact de la Révolution de février, la République bourgeoise et modérée s’installe, prête à ramener l’ordre.

2.5   Le rétablissement de l’ordre

Le rétablissement de l’ordre intervient en deux temps : à travers la conquête de la République par les modérés, puis à travers le châtiment des insurgés de juin.

Le 4 mai 1848, les 900 « représentants du peuple « se réunissent pour la première fois afin de proclamer une République légitime et modérée. Mais l’Assemblée constituante doit aussitôt faire face aux troubles sociaux et politiques, relancés par l’âpreté de la campagne électorale. Ainsi, le 26 avril, à Rouen, une trentaine de républicains sont tués lors d’une manifestation faisant suite à la défaite du socialiste Deschamps face au modéré Sénard, très hostile au soutien public des Ateliers nationaux.

Pour les hommes de la République nouvelle, il faut museler la ferveur rouge. La désignation par la Constituante, les 9-10 mai 1848, d’une « commission exécutive « chargée de former le gouvernement marque l’ouverture de la répression contre-révolutionnaire. La commission fonctionne selon le principe d’une présidence collégiale, cinq directeurs trônant au-dessus du corps ministériel. Dans un ordre d’élection très significatif, elle comprend Arago, Garnier-Pagès, Marie, Lamartine, Ledru-Rollin. Les plus avancés des modérés, Lamartine et Ledru-Rollin, reculent dans la hiérarchie exécutive. Quant aux socialistes, ils en disparaissent : Louis Blanc et Albert se perdent dans la masse de l’Assemblée.

Le rétablissement de l’ordre commence, rendu plus impérieux par l’exaltation qui enfièvre les milieux socialistes. Le 15 mai 1848 en effet, une importante manifestation d’extrême gauche (150 000 personnes) aboutit à une tentative de coup d’État. Aussitôt, sous l’influence des républicains du lendemain, le front de l’ordre sévit : les clubs passent sous surveillance et l’existence des Ateliers nationaux est remise en cause lorsque Lamartine propose une nationalisation des chemins de fer afin de donner du travail aux chômeurs. L’éventuelle suppression du principal acquis social de février met le feu aux poudres. Puisant leurs effectifs parmi la masse des 115 000 hommes travaillant pour les Ateliers nationaux, les manifestations se multiplient, autant que les arrestations dans les milieux ouvriers. Cette crise ouverte débouche sur un nouvelle insurrection parisienne (23-24 et 25 juin 1848) après l’annonce, le 21, de la fermeture des Ateliers nationaux et de l’imminente affectation des travailleurs en province.

Soutenue par une bourgeoisie terrorisée à l’idée que la Révolution devienne incontrôlable, la répression est meurtrière : 1 500 fusillées (sur 4 500 morts) ; 4 000 des 16 000 « séditieux « arrêtés, puis emprisonnés ou condamnés à la transportation en Algérie. Les journées de juin 1848 mettent un terme brutal à l’histoire de la Révolution et à l’« Illusion lyrique « qu’elle a nourrie.

3   LA RÉPUBLIQUE BOURGEOISE ET MODÉRÉE
3.1   L’ordre et l’incertitude

Après avoir été en charge de la répression, le général Eugène Cavaignac est nommé président du Conseil, le 28 juin 1848. Sous l’emprise d’une Constituante favorable au retour à l’ordre, il constitue un gouvernement conservateur, influencé par la droite catholique. Trois mesures estivales traduisent cette orientation politique : les clubs sont interdits (juillet) ; la presse retourne sous la coupe de la censure et de l’autorisation préalable (août) ; la journée de travail repasse, non pas à 11 heures, mais à 12 (décret du 9 septembre, néanmoins jamais mis en application). Autre signe de ce retournement, le climat politique est si oppressant que Louis Blanc s’exile à Londres dès la fin août.

Le retour à l’ordre passe également par l’hégémonie conservatrice sur les élections municipales et cantonales de juillet-août : plus de 60 p. 100 des électeurs font toujours confiance à l’administration héritée de la monarchie de Juillet. Ce regain de vitalité royaliste est aussi illustrée par l’intégration de Dufaure, ancien ministre de Louis-Philippe, au gouvernement d’octobre.

Cependant, cette politique de l’« Ordre « ne réussit pas à museler toutes les oppositions. Sur le plan social, les campagnes manifestent leur colère contre les impôts trop élevés. Sur le plan politique, les bonapartistes et les républicains épargnés résistent. En effet, si l’ordre tend à régner dans la France de l’automne 1848, le reproche fait à Eugène Cavaignac de se lier trop étroitement avec les royalistes favorise le mûrissement d’une double opposition : les républicains se réorganisent et fêtent ouvertement l’anniversaire de la Ire République (22 septembre 1848) ; pour sa part, après avoir démissionné de sa députation en juin, Louis Napoléon Bonaparte (futur Napoléon III) se représente aux élections partielles du 17 septembre. Victorieux dans cinq départements, il décide de siéger. Le bonapartisme progresse.

3.2   L’esprit de la Constitution et l’élection de Bonaparte

De l’automne 1848 au printemps 1849, la République bourgeoise et modérée se délite peu à peu. Le 21 novembre 1848, la promulgation de la Constitution (du 4 novembre) prépare à la fulgurante entrée en scène de Louis-Napoléon Bonaparte.

La Constitution hérite sur plusieurs points de février 1848. Quoiqu’âprement débattu, le principe d’un État fournissant travail et assistance aux citoyens nécessiteux est acquis. Par ailleurs, la liberté de l’enseignement figure solennellement dans le préambule constitutionnel.

Sur le plan institutionnel, l’exécutif est représenté par un président élu pour quatre ans au suffrage universel. Il nomme et révoque les ministres. La Constitution institue donc un régime présidentiel sans contrôle du législatif sur l’exécutif. La philosophie de la séparation des pouvoirs prédomine. Elle est alors considérée comme condition sine qua non d’un gouvernement libre.

Libérale et démocratique, cette Constitution éclaire le puissant paradoxe légué par l’esprit quarante-huitard. Le suffrage universel commande, en effet, à la désignation de deux corps distincts : l’Assemblée d’une part (élue pour trois ans), la présidence et le gouvernement de l’autre. Ce faisant, il oppose deux pouvoirs aux compétences cloisonnées. Issus de scrutin différents et forts d’autorités respectives difficiles à harmoniser, le législatif et l’exécutif ne peuvent, a priori, qu’entrer en conflit. Cette situation, née stricto sensu de l’idéal de « l’excellence du jugement populaire « par le vote (selon les termes de l’historien Philippe Vigier), mène à une impasse politique — situation que les Français s’apprêtent à aggraver en votant massivement pour l’homme qui est le plus déterminé à confisquer l’ensemble des pouvoirs : le descendant de Napoléon Ier.

Les élections présidentielles du 10 décembre 1848 voient, en effet, le triomphe populaire de Louis Napoléon Bonaparte. Avec 5,4 millions de voix (74 p. 100), il devance Cavaignac (19 p. 100). Les scores des autres prétendants forment une portion congrue de 7 p. 100, portés sur les candidatures républicaines de Ledru-Rollin (5 p. 100), de Raspail et de Lamartine (qui n’obtient que 0,1 p. 100).

Ce résultat inattendu traduit d’abord l’hostilité du monde rural vis-à-vis de l’impôt des « 45 centimes « et vis-à-vis des ouvriers (les « partageux «), auxquels sont associées les candidatures du « bourreau de juin « (Cavaignac), des Républicains « National «, des socialistes de février 1848. Au contraire, Louis Napoléon, ancien carbonaro aux conceptions vaguement sociales, défenseur d’un pouvoir fort et héritier de la mémoire napoléonienne, a profité de toutes les rancœurs pour préparer son avènement.

3.3   L’agonie de la Constituante et le désaveu de la République modérée

Dès son serment sur la Constitution le 20 décembre 1848, Louis Napoléon entend bien détourner cette dernière pour s’arroger la totalité du pouvoir. Patient, il s’appuie à dessein sur l’ancienne opposition dynastique, celle d’Odilon Barrot (père des Banquets). Constitué par Barrot, le gouvernement a pour premier objectif d’affaiblir les républicains. En mars 1849, la condamnation des chefs de file socialistes — François Vincent Raspail, Armand Barbès, Auguste Blanqui, arrêtés et condamnés à perpétuité pour avoir mené le soulèvement du 15 mai 1848 — marque d’une pierre blanche cette détermination antirépublicaine et antisocialiste.

Les élections du 13 mai 1849 confirment le triomphe du parti de l’Ordre qui regroupe en un front commun tous les adversaires des républicains, modérés ou non. Associés dans l’Union électorale, bonapartistes, catholiques, légitimistes et orléanistes arrachent le pouvoir aux hommes de 1848 : sur 900 républicains sortants, seuls 300 députés retrouvent leur siège ; tous les membres du gouvernement du 25 février sont battus ; les républicains modérés subissent un camouflet en plafonnant à 12 p. 100 (75 élus). Le désaveu de la République bourgeoise est total. Pour leur part, les républicains avancés comptent plus de 200 députés. En ayant rompu avec l’ouvriérisme de 1848, ceux du manifeste de la Montagne (à gauche) révèlent l’existence d’un fort courant de socialisme rural, dans le Centre, le Sud-Est, le Languedoc. Le Midi rouge, par la suite si redouté par les hommes de l’Ordre, survit à la fulgurante percée des bonapartistes. Car, en dernier ressort, le trait marquant du scrutin est bien le raz-de-marée du parti de l’Ordre : 63 p. cent des 715 sièges.

3.4   L’anti-républicanisme et les atteintes au suffrage universel

Pour les montagnards, le sursaut est néanmoins de courte durée. Dès le 13 juin 1849, au prétexte d’une émeute dénonçant l’expédition italienne (la France soutient le pape Pie IX contre les républicains romains de Mazzini), l’État contraint Ledru-Rollin à l’exil et vingt montagnards sont déchus. Les chefs radicaux et socialistes prêtent facilement le flanc à l’accusation de terrorisme. Ils entretiennent la phobie d’une nouvelle révolution populaire. Sur cet alibi répulsif et avec le soutien des catholiques ultramontains (favorable aux pouvoirs temporel et spirituel du pape), le bonapartisme décapite systématiquement la Montagne pour mieux asseoir son autorité.

Le 31 octobre, l’Assemblée apprend brusquement le renvoi du second ministère Barrot et la nomination d’un cabinet n’étant désormais responsable que devant le président. Exaspéré d’être tenu en marge des affaires par Odilon Barrot, Louis Napoléon Bonaparte rompt ainsi avec une situation dont il se sentait prisonnier. Il profite, par ailleurs, du soutien des antirépublicains irréductibles, Adoplhe Thiers, Louis Mathieu Molé — les orléanistes — qui, non contents d’avoir cautionné l’antirépublicanisme, souhaitent maintenant l’affirmation d’un pouvoir fort.

Louis Napoléon peut sereinement et sans consultation préalable former un ministère expurgé des indésirables, tel Tocqueville, dénonciateur des excès antirépublicains du régime. Aussitôt et selon le vœu des orléanistes, le ministère entame l'épuration de l’administration dont les républicains sont exclus. La surveillance des milieux connus pour leurs accointances avec les idéaux républicains — notamment les instituteurs — passent sous surveillance par décret (janvier 1850). Toujours en vue de limiter le pouvoir de l’enseignement laïque, vivier républicain, la loi Falloux du 15 mars 1850 place l’université sous le contrôle concordataire de l’État et de l’Église et donne droit à cette dernière de créer des « universités libres «. Mais cette revanche contre l’esprit des Lumières et de la Révolution favorise la reconstitution d’un front laïque, qui imprime de façon durable une culture anticléricale chez les républicains.

Paradoxalement, la situation profite aux républicains, qui exploitent la difficile conjoncture économique pour rallier la masse des miséreux, citadins et ruraux confondus. Enseignés des erreurs de 1848-1849, ils travaillent le peuple avec une habile propagande. Plusieurs victoires lors d’élections partielles du printemps 1850, comme celle de l’écrivain Eugène Sue à Paris, soulignent cette nouvelle vitalité.

Pour donner un coup d’arrêt à cette régénération, Louis Napoléon dispose d’une carte maîtresse, la phobie de l’insurrection qui terrifie la bourgeoisie et la majeure partie de l’Assemblée. Le 31 mai 1850, en dépit des philippiques montagnardes, une loi restreignant l’accès au suffrage universel est votée par une confortable majorité ; le droit de vote est désormais soumis à une obligation de résidence fixe de trois ans, ce qui porte un coup d’arrêt aux candidatures parachutées (ayant notamment permis aux « rouges « de remporter des élections intermédiaires). Favorisant la bourgeoisie, les nouvelles modalités d’accès au vote restreignent le collège électoral de 9,6 millions à 6,8 millions électeurs.

3.5   La consolidation du bonapartisme

Le pouvoir bonapartiste ne cesse plus, dès lors, de se fortifier et la stratégie napoléonienne de prise du pouvoir de s’affirmer. Une nouvelle loi restreignant encore la liberté de la presse (8 juin 1850) et la prorogation de la loi de 1848 sur les clubs (16 juillet 1850) alourdissent le dispositif antirépublicain. Surveillés, censurés, condamnés, les rouges ne peuvent plus s’offrir un sursaut électoral. La plupart d’entre eux se réfugient alors dans la clandestinité.

Le débat politique n’oppose plus que les orléanistes partisans de l’Ordre et les thuriféraires de Louis Napoléon Bonaparte, adeptes d’un retour à l’Empire. Quant aux partisans du retour à la loi initiale sur le suffrage universel, ils sont paralysés par Louis Napoléon qui leur promet une éventuelle abrogation du texte du 31 mai 1850.

En position de force, les bonapartistes fondent la « Société du 10 décembre « (en hommage à l’élection du président), qui se charge de la propagande en acclamant Louis Napoléon lors de ses nombreux déplacements provinciaux. Ce courant bénéficie de la désorganisation des rangs royalistes depuis la mort de Louis-Philippe (26 août 1850). Pour Louis Napoléon, il reste à tenir l’armée pour espérer une restauration.

Le 3 janvier 1851, pour avoir reproché à des gradés d’avoir crié « Vive l’Empereur « lors d’une revue, le général Changarnier est destitué de son poste de ministre de la Guerre, ce qui engendre immédiatement un tollé ; néanmoins confirmée, cette destitution laisse le champ libre à Louis Napoléon pour un coup de force même si, pour l’heure, il préfère se limiter à constituer un ministère encore plus autonome vis-à-vis de l’Assemblée : le 24 janvier, Leroy de Saint-Arnaud obtient le portefeuille de la Guerre et donne à la troupe des consignes de stricte obéissance.

Ajoutée à la propagande active auprès de l’armée à partir du printemps 1851, cette tactique annonce ostensiblement la préparation d’un coup d’État. La crainte d’une telle issue trouble les députés, des montagnards aux légitimistes. Mais, en novembre 1851, ils n’obtiennent pas le vote d’une proposition de loi visant à faire protéger le Palais-Bourbon.

3.6   Une France désorientée

Après le traumatisme de 1848, le pays a espéré un retour au calme et, sous la férule napoléonienne, le retour à la stabilité économique.

La France connaît en effet une reprise industrielle et commerciale que stimule chacun des à-coups politiques scandant l’accentuation du pouvoir bonapartiste. Mais elle a ses limites. Ainsi la reprise de l’équipement du réseau ferré est marquée par la construction de plus de 1 500 km de voies entre 1848 et 1852, même si certains projets sont abandonnés. Dans un autre domaine, les petites industries, telle la production d’étoffes en milieu rural, connaissent un déclin définitif qui a partie liée avec le marasme sous lequel ploie le monde agricole. Cette crise agricole plonge une partie importante d’une France encore majoritairement rurale dans un grand désarroi — désarroi compliqué par l’épreuve du choléra en 1849 et, plus profondément, par la mutation des mentalités.

La détresse populaire est moins prononcée dans les villes. Plus encadrées et souffrant moins de la pénurie monétaire, les masses ouvrières posent un problème moins urgent. D’ailleurs, quoique la Montagne recrute dans ces milieux ses plus fidèles partisans, les mouvements sociaux sont peu nombreux. L’organisation des sociétés de secours mutuel et des coopératives ouvrières adoucissent le sort des citadins.

Comme le souligne l’historien Philippe Vigier, « l’effondrement dans le sang et dans la peur, des rêves caressés au lendemain de février, la condamnation par les faits de l’idéal de fraternité qui avait caractérisé l’esprit de 1848 [provoquent donc] un très grave traumatisme dans l’esprit des Français «. De ce traumatisme naît une mutation capitale des mentalités. L’échec de l’utopie révolutionnaire se heurte à un flagrant désir de retour au réalisme. Ainsi le romantisme cède progressivement la place au positivisme. Certes, l’idéalisme républicain continue de donner naissance à des œuvres remarquables, chez Victor Hugo ou Jules Michelet. Mais le romantisme éperdu — celui de Lamartine présentant la révolution comme un acte de grâce collective (Histoire de la révolution de 1848, 1849) — ou l’idéalisme socialiste teinté de lyrisme — celui de Louis Blanc célébrant l’acte révolutionnaire comme un « formidable enfantement «, un événement « sorti des entrailles de la terre « (Histoire de la Révolution française, 1847) — réveillent plus de suspicion que d’enthousiasme.

C’est donc à une France en mutation et désorientée que Louis Napoléon Bonaparte impose la restauration impériale.

4   LA MARCHE VERS L’EMPIRE
4.1   Le coup d’État du 2 décembre 1851

Repoussé à plusieurs reprises, le coup d’État a lieu le 2 décembre 1851. Baptisé « Rubicon « dans les dossiers secrets du président (en référence à Jules César), il se joue lors d’une date doublement commémorative et à forte charge symbolique. Le 2 décembre renvoie en effet au sacre de Napoléon Ier (1804) et à sa plus fameuse victoire, Austerlitz (1805). Louis Napoléon fait, une fois de plus, la preuve d’une stratégie lucide, réfléchie, cherchant à capitaliser les sympathies à partir de la légende napoléonienne pour apparaître comme l’homme du recours, légitimé par ses racines et son vœu de rétablissement de l’ordre.

Mais la stratégie napoléonienne se nourrit surtout à deux mamelles, la démagogie et l’intimidation. Côté démagogie, le coup d’État commence à l’imprimerie nationale. Dans la nuit du 1er au 2 décembre, Louis Napoléon y fait imprimer des affiches annonçant la dissolution de l’Assemblée législative et surtout le rétablissement tant attendu du suffrage universel. Mais la démagogie a ses limites. Au nom de l’intimidation et d’une procédure préventive brutale, il fait arrêter les éventuels opposants. Au petit matin du 2 décembre, une vague d’arrestations surprend les meneurs d’une supposée résistance : ce sont des députés tels Adolphe Thiers, Cavaignac, Changarnier ; le républicain Bedeau (ancien ministre de la Guerre du gouvernement provisoire de février 1848) ; quatre-vingts chefs présumés de sociétés ouvrières ou susceptibles de devenir des « meneurs de barricades « ; enfin des républicains influents de la Montagne, particulièrement les chefs du clandestin Comité central de résistance (Nadaud, Greppo et Miot).

En réaction à ces mesures arbitraires et de chantage latent (tout opposant risque la prison), l’Assemblée résiste, même si l’épuisante séance nocturne des 2-3 décembre 1851, aboutissant au vote de la déchéance du président à l’unanimité des 200 députés présents, est vaine. Quelques élus tentent alors de soulever le peuple (Hugo, Schoelcher, Baudin). Toutefois cette résistance, numériquement faible, est rapidement et systématiquement écrasée à partir du 4 décembre, date à laquelle l’armée mitraille les badauds soupçonnés de bienveillance envers les insurgés. À travers le régime de la peur renaissante, Louis Napoléon triomphe à Paris. Il lui faut dorénavant soumettre la province ; le 10 décembre, les poches de résistance des campagnes « rouges « (soulevées depuis le 4) sont anéanties avec le soutien des notables.

4.2   Une stratégie répressive et plébiscitaire

La répression des séditieux se poursuit de décembre à mars 1852 par de gigantesques rafles de suspects qui mettent un point final à la répression antirépublicaine de 1849-1851. Les arrestations préventives se multiplient. Dans les campagnes, la légende noire du châtiment infligé prend corps, s’abreuvant au martyrat des zones de résistance aiguë (Creuse, Basses-Alpes).

À partir de février 1852, les commissions mixtes (magistrats et militaires) sont chargées d’instruire le procès de 26 884 prévenus : 11 000 procédures aboutissent à des condamnations arbitraires au bagne (Cayenne, Algérie) ; 70 députés républicains (dont Schoelcher et Hugo) et cinq orléanistes (dont Thiers) s’exilent en vertu des décrets de janvier 1852 sur l’« expulsion des représentants hostiles au coup d’État «. Quelques cas de conscience témoignent d’un léger radoucissement de la répression (la féministe Pauline Roland et Thiers sont autorisés à rentrer en France l’année même). Mais cette politique arbitraire témoigne d’un total mépris du droit ; elle porte en germe l’impossible réconciliation entre l’Empire et les milieux intellectuels républicains. Ceux-ci considèrent, en effet, que la légitimité de l’État passe par un respect du « bien du peuple « et du « droit du peuple « (point de vue de Jules Michelet dans son Histoire de la Révolution française, 1847-1853).

L’instauration du régime préparant le retour à l’Empire passe également par le plébiscite des 21-22 décembre 1851. La campagne électorale est axée sur un sujet porteur : Louis Napoléon est présenté en sauveur et en pacificateur de la nation, ayant à la fois déjoué le complot républicain et anéanti la révolution rurale. Le spectre révolutionnaire jette les notables dans les bras du Sauveur. Le collège électoral, revenu à 9,6 millions d’électeurs, remporte une majorité écrasante de 7,1 millions de voix au « maintien de l’autorité de Napoléon «, lui « donnant les pouvoirs nécessaires pour établir une constitution «. L’abstention (1,5 million), très liée à l’attentisme des régions légitimistes et orléanistes (à l’Ouest), distance nettement le « non « (0,6 million). Le triomphe du « oui « permet à Louis Napoléon d’être, selon sa propre expression lors du discours du 31 décembre 1851, absous. Du reste, les bastions anti-napoléoniens confirment l’enracinement géographique et sociologique de la résistance au coup d’État et le divorce de régions entières avec le futur empereur (notamment le Sud et le Sud-Est).

4.3   La transition par la dictature

La stratégie napoléonienne vise à instaurer un régime transitoire et dictatorial permettant le retour à l’Empire. Au-delà de la répression physique, elle requiert le musellement institutionnel du pays.

En décembre 1851, Louis Napoléon entreprend de détruire symboliquement les attributs du parlementarisme et de la République : démolition du perchoir de l’Assemblée, ajout de l’aigle impérial sur le drapeau français, délaïcisation du Panthéon. Le 3 janvier 1852, son effigie remplace celle de la République en Cérès sur les timbres-poste.

Parachevant l’œuvre putschiste, la Constitution promulguée le 14 janvier 1852 le fait « prince-président «, élu pour dix ans, rééligible, disposant de toute l’autorité exécutive et d’un fort pouvoir législatif. Elle réinstaure le bicamérisme, même si le Sénat est composé de dignitaires choisis par le prince-président. Quant au corps législatif, il est ramené de 750 à 300 députés. Tronquées par le scrutin uninominal et le système de la candidature officielle, les élections du 29 février 1852 ne permettent qu’à huit opposants d’être élus à la Chambre. On en revient ainsi à une Chambre de type censitaire, acquise au dictateur.

L’effondrement de la représentativité démocratique est conforté par la sape des institutions héritées de la République et du libéralisme. En particulier, le 17 février, le décret sur la presse donne un pouvoir immodéré aux services de censure et force les journalistes à s’en protéger par l’autocensure.

4.4   La renaissance économique

Louis Napoléon ayant réussi, selon l’analyse de François Furet, à jouer la légitimité contre la loi, puis la souveraineté nationale contre la représentativité, il veut conforter sa victoire à travers une politique sociale et économique interventionniste, lui permettant de canaliser, de contrôler les classes laborieuses et dangereuses.

Sur ce plan, le printemps 1852 marque l’entrée dans une phase de réconciliation avec la nation, selon le vœu sincère du prince-président. L’entreprise de charme passe d’abord par l’abrogation de l’État de siège (28 mars). La paix retrouvée doit permettre la relance et l’expansion. Parallèlement, des mesures à forte charge symbolique sont prises. La nationalisation des biens de la famille d’Orléans, en janvier, donne naissance à un fameux calembour de Dupin : « C’est le premier vol de l’aigle… «. Mais, à compter de mars, elle permet surtout d’attribuer 30 millions de francs au programme de logements sociaux, aux œuvres de charité, aux caisses des sociétés de secours mutuel.

Louis Napoléon cherche, en outre, un biais pour relancer l’activité industrielle et financière. Il s’entoure de riches entrepreneurs et banquiers. Abandonnant leur méfiance vis-à-vis des innovations industrielles, ces derniers se lancent, tels les Pereire, les Rothschild et les Schneider. Ce regain d’audace permet le redressement de la Bourse et la reprise du crédit à l’investissement. La politique industrielle est centrée sur la relance du grand chantier ferroviaire, ce qui stimule les secteurs charbonnier et métallurgique, et favorise à moyen terme les échanges.

Pendant à la recherche d’une pacification du monde ouvrier par la relance industrielle, une action est entreprise pour extirper l’agriculture de sa souffrance. En dépit de l’aide à la fondation du Crédit foncier de France, l’instinct agronomique du futur Empire se révèle moins sûr que son désir de contrecarrer les campagnes séditieuses. En témoigne le rattachement du ministère de l’Agriculture à celui de l’Intérieur en septembre 1852, tandis que le Conseil général de l’Agriculture ou les fermes-écoles tombent en désuétude. La renaissance agricole, plus lente et moins forte que la régénération industrielle, tient surtout à la métamorphose structurelle et démographique des campagnes.

Du reste, le printemps et l’été 1852 renouent avec la croissance, annonçant une phase d’expansion comme la France n’en a pas connu depuis des années. Ce tournant conjoncturel aide à l’affermissement final du pouvoir napoléonien.

4.5   Le baptême de l’Empire

L’automne 1852 correspond à la liquidation de la République. Du 26 septembre au 9 octobre, Louis Napoléon fait un voyage triomphal en Provence, en Languedoc et en Gironde. Le 29 septembre, le préfet de la Gironde, le baron Haussmann, prépare une arrivée et une réception fastueuses. Le prince-président y prononce un discours clef rendant désormais évidente la Restauration impériale. « Aujourd’hui la France m’entoure de ses sympathies, parce que je ne suis pas de la famille des idéologues. Pour faire le bien du pays, il n’est pas besoin d’appliquer des nouveaux systèmes ; mais de donner, avant tout, confiance dans le présent, sécurité dans l’avenir. Voilà pourquoi la France semble vouloir revenir à l’Empire […]. L’Empire, c’est la paix […] car la France la désire, et lorsque la France est satisfaite, le monde est tranquille «.

Le mot « Empire « est lâché. Le discours progressiste et catholique qui s’ensuit est accueilli par des vivats. À son retour à Paris, Louis Napoléon se trouve en position de force lorsque le Sénat propose la révision constitutionnelle (7 novembre 1852). Le 20 novembre, le plébiscite proposant le retour à l’Empire donne 7,8 millions de « oui «. Louis Napoléon choisit la date anniversaire du 2 décembre pour son sacre. La IIe République est morte, le règne de l’empereur s’ouvre (voir Second Empire). Il dure jusqu’à la défaite de Sedan, le 2 septembre 1871, deux jours avant la fondation d’une nouvelle République.

5   LA MÉMOIRE ET LE LEGS DE LA IIE RÉPUBLIQUE

Dans l’immédiat, la IIe République bourgeoise et sa désagrégation débouchent sur une ère impériale où progressisme social et progressisme économique ne riment pas avec démocratie politique. Cette dichotomie, indépassable pour les plus conservateurs, pèse lourd dans le débat sur la pérennisation de la République suivante.

Le grand legs de la IIe République est le principal instrument de la légitimation républicaine, le suffrage universel. Il est, certes, détourné de façon plébiscitaire par Louis Napoléon, mais il s’inscrit alors définitivement dans la charte tacite de toute démocratie républicaine. En outre, en dépit de l’utilisation qu’il en fait, le recours de Louis Napoléon au suffrage universel marque une vraie rupture avec la monarchie de Juillet. Aussi, la restauration impériale de 1852 n’est-elle pas un retour en arrière et, de ce point de vue, la IIe République constitue, en dépit de ses traumatismes internes, une charnière dans l’histoire politique de la France.

Parallèlement à cette question de la représentativité de l’État et de la représentation du peuple, les années 1848-1852 ont un rôle fondamental de révélateur de la « campagne «. Le peuple rural et la province font, pour la première fois, leur entrée sur la scène politique. Cette irruption marque la naissance d’une tradition politique (un Midi teinté en rouge). En outre, elle ouvre les mentalités à un élargissement de la notion de nation, induisant dès lors une évolution cruciale du rapport à l’idéal patriotique que Napoléon III instrumentalise et renforce durant tout son règne.

Par l’ensemble de ces traits, 1848 et la IIe République estampillent la mémoire républicaine au fer rouge. Milieux ouvriers et paysans protègent, dès lors, ce patrimoine et ses martyrs. À la base des travaux de Karl Marx sur la « lutte des classes «, 1848 devient un référent essentiel de la mémoire républicaine, singulièrement de la mémoire du socialisme et du communisme.

C’est de là, enfin, qu’il faut déduire une dernière conséquence de 1848. Cette mémoire républicaine renvoie d’une part, à l’idéalisme de la République de février-mars 1848 (qui met en avant les mots d’ordre de liberté, d’égalité, de justice sociale), d’autre part, au réalisme coercitif de la république bourgeoise et modérée de juin 1848-décembre 1850 (qui défend l’ordre contre le désordre et subordonne la justice sociale et le droit à la limitation de la liberté politique). Ainsi, la IIe République nourrit deux types de cultures républicaines qui, selon l’historien Maurice Agulhon, sont à la source des deux principales traditions politiques républicaines de la France contemporaine, la gauche et la droite. Ce n’est pas là la moindre de ses conséquences.

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