Renaissance, musique de la
Publié le 09/02/2013
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1 | PRÉSENTATION |
Renaissance, musique de la, musique européenne élaborée pendant la Renaissance. Dans le domaine musical, cette période va de 1400 à 1600 environ.
2 | DE LA MUSIQUE MÉDIÉVALE À LA MUSIQUE DE LA RENAISSANCE |
En 1477, le théoricien Johannes Tinctoris mentionna l'apparition d'un nouvel art musical qui avait pour « source et origine « l'œuvre de compositeurs, l'Anglais John Dunstable et le Bourguignon Guillaume Dufay. Martin Le Franc, dans son poème le Champion des dames (1440-1442), évoqua également le nouveau style adopté par Dufay et son contemporain, Gilles Binchois, à la suite de Dunstable, et le qualifia de « contenance angloise «, qui se distinguait par un emploi plus doux des accords, ce qui suppose l'assouplissement des techniques « mathématiques « caractéristiques de la musique ancienne du haut Moyen Âge. Si Dunstable et Dufay exploitèrent les procédés de construction médiévaux, tous les deux composèrent des motets isorythmiques. Ils le firent dans de nouveaux cadres acoustiques, définis par une harmonie fondée sur les accords parfaits, dans des tonalités clairement définies et afin d'obtenir de nouveaux effets expressifs.
Pour la génération de compositeurs qui fit suite à Dufay, notamment les Flamands Johannes Ockeghem et Jacob Obrecht, les principes de construction médiévaux du type cantus firmus (dans lequel on entend une mélodie de plain-chant préexistante dans la partie ténor lente) ne furent plus qu'une des nombreuses techniques de composition possibles. Le style le plus idiomatique de la musique de la Renaissance fut la polyphonie imitative, dans laquelle toutes les voix progressent à la même vitesse et se développent suivant le même motif grâce à la technique imitative plus tard appelée fugue. La Missa « Pange lingua « de Josquin des Prés, sans doute le plus grand compositeur de la première Renaissance, employa le plain-chant, non comme un cantus firmus en notes de valeur longue, mais comme source d'idées mélodiques que toutes les autres voix reprennent et imitent. Cette nouvelle manière de concevoir et de contrôler l'espace musical fut adoptée avec enthousiasme par la génération suivante et atteignit son plein épanouissement dans la musique sacrée de Giovanni Pierluigi da Palestrina. Sa Missa de Beata Virgine (publiée en 1570), fondée sur le plain-chant, reprit cette technique. Elle continua à être employée aux XVIIe et XVIIIe siècles, bien qu'avec le temps on en vint progressivement à la considérer comme archaïque.
3 | Y-A-TIL UNE MUSIQUE DE LA RENAISSANCE ? |
La question de savoir dans quelle mesure les nouveaux styles polyphoniques des XVe et XVIe siècles appartiennent au grand mouvement de renaissance artistique de la période reste discutée. Tout dépend de la définition que l'on donne au phénomène de la Renaissance, tant dans sa durée (1300-1600 ou 1400-v. 1540 ?) que dans son étendue géographique (phénomène italien ou paneuropéen ?). La problématique géographique est importante pour la musique. La Renaissance musicale fut surtout l'œuvre de compositeurs formés en Bourgogne, dans le nord de la France et en Flandre ; même si certains (comme Dufay et Josquin) émigrèrent en Italie, leurs œuvres sont d'une autre veine que l'art italien, qui est pour beaucoup d'historiens le cœur de la Renaissance au sens large. Bien qu'il soit tentant d'établir des parallèles entre la nouvelle profondeur et le contrôle de l'espace musical apparent dans la polyphonie imitative, d'une part, et le développement de la notion de perspective dans la peinture de l'époque, d'autre part, ou entre les nouvelles capacités expressives de ce style et les aspects plus humains et plus directement émotionnels des arts de la Renaissance en règle générale, on ne retrouve pas en musique la caractéristique de la Renaissance que beaucoup jugent primordiale : le retour conscient aux modèles classiques et leur réinterprétation.
4 | LA RÉFÉRENCE ANTIQUE |
La raison en est simple : aucun exemple de musique grecque ou romaine n'avait survécu ; l'imitation directe était donc impossible. Il est certain que les musiciens de la Renaissance connaissaient le pouvoir fabuleux accordé à la musique dans la mythologie classique — Orphée devint à cette époque une figure emblématique — et qu'ils avaient accès aux textes grecs (Platon, Aristoxène) et romains (Cicéron, Quintilien) qui traitent à la fois de théorie musicale et des formidables pouvoirs éthiques et rhétoriques de la musique. Certains théoriciens du XVIe siècle (en particulier, le Romain Nicola Vicentino et le Florentin Vincenzo Galilei) cherchèrent même à recréer les anciens modes et genres grecs, ce qui leur permit d'élaborer de nouvelles théories concernant le chromatisme et les systèmes d'accord des instruments (voir orchestration). Nous avons des témoignages de styles de jeu improvisés (dans l'entourage de Marsile Ficin à Florence à la fin du XVe siècle), liés à l'élan humaniste. Mais ce n'était le plus souvent que des expériences sans lendemain. Pour la plupart des musiciens, l'Antiquité fut tout au plus un idéal lointain auquel ils aspirèrent.
5 | MUSIQUE SACRÉE ET MUSIQUE PROFANE |
Le jeu complexe des interactions entre la composition et l'interprétation, ainsi que le rôle de l'improvisation interdisent de fonder un exposé traitant de la musique Renaissance sur des critères uniquement stylistiques. Il est bon de s'intéresser particulièrement aux nouvelles fonctions que remplissait la musique et aux nouveaux contextes dans lesquels elle apparaissait. L'Église continua à utiliser la musique tant pour la liturgie quotidienne que pour la messe et les prières. Au XVIe siècle, la tendance à introduire la musique dans la célébration du culte fut si forte qu'elle résista à presque tous les mouvements de la Réforme et de la Contre-Réforme, et cela, malgré l'Église qui, depuis saint Augustin au moins, craignait qu'elle ne conduisit à des excès de sensualité et à la distraction spirituelle.
Mais c'est dans la musique profane que la société de la Renaissance fit montre d'exigences nouvelles qui élargirent le domaine des musiciens de l'époque. Le rôle cérémoniel traditionnel de la musique fut accentuée par la politique d'apparat qui fut celle des cours de la Renaissance. Aucune d'entre elles ne pouvait faire l'économie d'une troupe de chanteurs professionnels et d'instrumentistes, comme le montrent bien ces grandioses divertissements théâtraux qu'étaient les intermedios. Et le courtisan, qui fit alors sa première apparition sur la scène historique, se dut d'être un amateur éclairé, ce qui garantit ainsi à la musique vocale et à la musique de danse une place de choix dans les divertissements aristocratiques, comme en témoigne le Livre du courtisan, (1513-1518, publié en 1528) de Baldassare Castiglione.
Ces arts organisèrent et exposèrent la cohésion sociale qui distingua l'élite. Dans le même temps, les classes marchandes, qui étaient alors en pleine ascension, offrirent un nouveau débouché à la musique vocale et instrumentale, qui devint ainsi plus populaire.
6 | SUCCÈS DES MUSICIENS |
Cette évolution eut un effet considérable sur le nombre d'emplois offert aux musiciens de talent et sur leur statut dans le monde de l'art. Ils furent en mesure de revendiquer un statut et d'obtenir des avantages, notamment financiers (parfois énormes), qui leur permirent de s'élever au-dessus du statut d'artisans. Des compositeurs comme Josquin des Prés ou, plus tard, Adrian Willaert (chef de musique de la basilique Saint-Marc, à Venise, entre 1527 et 1562) devinrent des « dieux de la musique «. L'étude des biographies des musiciens et des autres artistes de cette période montre d'ailleurs un accroissement frappant de leur mobilité. Compositeurs et interprètes se servirent des courants d'échanges commerciaux et des alliances politiques pour leurs carrières personnelles. Luca Marenzio, madrigaliste renommé, quitta l'Italie pour la Pologne avec d'autres compositeurs, tandis qu'un certain nombre de compositeurs espagnols et portugais allaient s'installer dans le Nouveau Monde.
7 | NAISSANCE DE L'ÉDITION MUSICALE |
En outre, l'invention de l'impression des partitions musicales, due à Ottaviano Petrucci vers 1500, et les améliorations techniques postérieures comme l'impression en un seul passage, mise au point à Paris par Pierre Attaingnant au milieu des années 1520, permirent de diffuser la musique. On vit naître l'édition musicale dans les grandes imprimeries de Paris, de Venise (Antonio Gardano et Girolamo Scotto), d'Anvers (la dynastie Phalèse), puis de Londres (Thomas East). L'imprimerie, en permettant une transmission fiable des textes originaux à une échelle inconnue de la tradition manuscrite, bouleversa la pensée musicale de l'époque.
8 | LES GENRES MUSICAUX |
Son effet sur la musique est évident, qu'il s'agisse de l'apparition du langage musical international que devint alors la polyphonie imitative, dont Josquin était l'initiateur, ou de celle des genres autour desquels s'articula l'activité des musiciens de cette époque : messes pour la liturgie, motets pour la liturgie et la prière, chansons sur des textes en langues vernaculaires (madrigaux italiens et anglais, chansons françaises, lieder (voir Chant) germaniques et villancico espagnol), pièces pour un ou plusieurs instruments (luth, clavecin, flûte à bec, viole), qu'il s'agisse de formes « abstraites « (le ricercar organisé en imitation ou la canzona, arrangement instrumental de chansons) ou de danses. Il existait d'étonnantes passerelles entre ces genres, comme en témoigne la « messe parodiée « qui utilise un matériel sacré préexistant, pour un usage profane. Mais dans le même mouvement, chacun de ces genres, et les styles qui leur étaient associés, suivait son histoire propre et évoluait par des voies différentes, bien que reliées entre elles, au fur et à mesure que les compositeurs exploitaient les possibilités de l'imprimerie, à la fois pour s'approprier les œuvres passées et en concevoir de nouvelles.
L'uniformisation et la codification des styles et des genres fut le prix de cette démocratisation. Mais certains compositeurs qui n'avaient pas su commercialiser ainsi leurs œuvres, trouvèrent refuge auprès d'un mécène désireux de tirer parti d'un style musical original destiné à un cénacle de spécialistes. Par exemple, la musica reservata, destinée à un milieu particulier (comme le très expressif Lagrime di San Pietro, écrit pour le duc de Bavière par Roland de Lassus), ou la musica segreta, créée par les interprètes virtuoses de la cour du duc Alphonse II d'Este à Ferrare, dépassèrent de loin les normes de la musique courante, et en furent d'autant plus appréciées.
9 | PARTICULARITÉS RÉGIONALES |
Des variations significatives reflètent des contextes régionaux particuliers. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, la polyphonie sereine et équilibrée de la Contre-Réforme qu'illustre le compositeur Romain Palestrina s'oppose à la sensualité mystique de l'Espagnol Tomás Luis de Victoria et à la pompe cérémonielle des œuvres d'Andrea et de Giovanni Gabrieli. Au nord des Alpes, les différences sont plus accusées encore. En Angleterre, William Byrd était en relation avec au moins un Italien, Alfonso Ferrabosco l'Ancien, et, en Allemagne, Heinrich Schütz fit des études à Venise avec Giovanni Gabrieli puis avec Claudio Monteverdi. Mais leurs styles respectifs — le motet graduel de Byrd In tempore paschali, ou le madrigal de Schütz Ride la primavera — gardent une saveur locale. En France, la polyphonie reçut un traitement particulier avec les chansons profanes du style « parisien «, gai et détaché, initié par Clément Jannequin, dont on peut citer la Bataille de Marignan, le Chant des oiseaux ou les très évocateurs Cris de Paris, et Claudin de Sermisy (1490-1562). En fait, l'Angleterre, quelque peu isolée (pour des raisons géographiques et religieuses) des grandes tendances du continent, connut un développement particulier tout au long du XVIe siècle, comme le montre la musique sonore de Thomas Tallis, professeur de Byrd. La Renaissance élisabéthaine fut un phénomène tardif, déterminé par des circonstances particulières et qui donna naissance à des genres et à des styles typiquement anglais : l'anthem métrique (comme When David heard, de Thomas Weelkes), le madrigal anglais (comme The Silver Swan, d'Orlando Gibbons), l'air pour voix et luth (comme Come Again, Sweet Love Thou Doth Invite, de John Dowland).
10 | NAISSANCE DU MANIÉRISME |
Au moment où la Renaissance anglaise atteignait son plein épanouissement, les arts prirent, en Italie, une nouvelle direction. D'une part, les pressions révisionnistes du concile de Trente et la Contre-Réforme, par laquelle l'Église catholique cherchait à répondre au défi protestant, firent porter aux nues l'architecture sévère des œuvres de Palestrina. D'autre part, le désir de plus en plus vif de rendre la musique capable d'exprimer et de provoquer les passions de l'âme rendit caduc l'équilibre classique caractéristique du style Renaissance. Le chromatisme intensément érotique des madrigaux de la fin du XVIe siècle — comme en témoignent les œuvres de Carlo Gesualdo, telles que Dolcissima mia vita — avait indubitablement des références humanistes, mais révéla surtout que ce style avait atteint l'extrême limite de son développement. Que l'on considère ces tendances maniéristes (en musique comme dans d'autres arts) comme l'annonciation d'un nouveau style ou comme un symptôme de décadence de la Renaissance, une évolution avait lieu.
L'apparition, d'abord à Florence, d'un nouveau style de chant, déclamatoire, expressif et dramatique, soutenu par une basse continue, porta un nouveau coup à la polyphonie imitative de la Renaissance. Il fut illustré par les chansons pour soliste de Giulio Caccini Le Nuove Musiche (1602) et par le premier opéra complet qui soit parvenu jusqu'à nous, Euridice (1600), de Jacopo Peri. Les Florentins cherchèrent à réformer le style contrapuntique que l'on jugeait incapable par définition d'exprimer et de provoquer des émotions, et justifièrent cette tentative en invoquant le modèle de la tragédie grecque. Ironie du sort — typique de cette période complexe —, cette attitude essentiellement renaissante de se référer aux classiques conduisit directement à la destruction du style Renaissance et à l'apparition des techniques dites baroques.
11 | CLAUDIO MONTEVERDI |
Cependant, si l'on prend en compte les styles d'improvisation et d'interprétation (chant pour voix seule, associations spécifiques de voix et d'instruments, ornementations improvisées d'une grande virtuosité, etc.), la nouvelle musique florentine et le récitatif d'opéra furent bel et bien les héritiers du passé récent et ancien, comme le montre l'œuvre de Claudio Monteverdi, qui fut peut-être le plus grand compositeur de ce temps. L'introït de ses Vêpres, Deus in adjutorium, composé en 1610, semble entièrement baroque par sa splendeur sonore, par la force de ses rythmes forts et par le mélange vibrant des voix et des instruments. Cependant, les techniques (l'organisation en cantus firmus, surtout) et les pratiques d'interprétation de la Renaissance y ont leur part. La première morale que l'on peut en retirer est qu'un style musical, comme toute autre forme d'art, ne change pas en un jour. La seconde est que nous n'avons pas encore épuisé les trésors complexes de la musique d'une des périodes les plus fascinantes de l'histoire de l'art occidental. Voir Musique, histoire de la ; Chant.
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