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Québec: Le retour des indépendantistes

Publié le 22/02/2012

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12 septembre 1994 - Pour la troisième fois de leur histoire, les indépendantistes formeront le prochain gouvernement de la province de Québec. A l'issue du scrutin organisé lundi 12 septembre, le Parti québécois, dirigé par Jacques Parizeau, a remporté une majorité de sièges, en faisant élire 77 députés sur les 125 que compte l'Assemblée nationale de la province. Cette victoire, obtenue avec 44,7 % des voix, est cependant beaucoup plus courte que certains sondages ne l'avaient laissé croire. Après neuf années au pouvoir, les libéraux font bonne figure avec 47 députés et 44,3 % des suffrages, soit 0,4 % de moins que leurs adversaires, qui bénéficient de l'effet amplificateur du mode de scrutin (majoritaire, uninominal à un tour). Le parti de l'Action démocratique, fondée par des libéraux déçus et favorables à la souveraineté, a réussi à faire élire son tout jeune chef de vingt-trois ans, Mario Dumont, dans une circonscription de la région de la Gaspésie. Le parti Egalité, qui représentait la minorité anglophone, et qui avait obtenu quatre députés à la précédente élection de 1989, n'a pas réussi à conserver un seul siège. Le premier ministre sortant, Daniel Johnson, en reconnaissant la défaite de son parti, s'est engagé à rester à la tête des libéraux et à jouer pleinement son rôle de chef de l'opposition. Il a promis d'être au rendez-vous fixé par le Parti québécois, celui d'un référendum sur l'indépendance de la Belle Province promis par son rival dans les " huit ou dix prochains mois ". Au terme d'une campagne que beaucoup d'observateurs ont trouvée longue et passablement terne, les électeurs ont donc voté pour un changement de gouvernement, sans toutefois infliger une sanction trop sévère aux sortants. Jacques Parizeau, qui s'attendait à une victoire plus marquée, a prononcé devant ses partisans un discours sobre, où perçait un certain malaise, qui mettait d'abord l'accent sur le redressement économique du Québec. Il a dit souhaiter " une sorte de trêve, pour relever le Québec de l'ornière ", tout en donnant le coup d'envoi de la prochaine campagne référendaire. " En 1995, nous allons poser la question qui fait d'un peuple un pays. Dans l'intervalle et d'ici là, nous devons relever le Québec, et aborder dans la confiance ce nouveau chapitre de notre histoire. " Le Parti québécois, porté pour la première fois au pouvoir en 1976 et réélu en 1981 sous la férule de feu René Lévesque, avait renoncé cette année à organiser la traditionnelle assemblée monstre qu'il avait l'habitude de tenir au soir des élections dans un centre sportif de Montréal. De manière toute symbolique, ses membres avaient choisi de se réunir dans la ville de Québec, capitale de la province, dans une salle de spectacle de dimension plus modeste. Lucien Bouchard, chef du Bloc québécois, parti indépendantiste qui forme l'opposition au Parlement d'Ottawa depuis les élections fédérales d'octobre 1993, a été le premier à s'adresser à la foule. " Nous sommes conviés à une mobilisation de nos énergies autour de cette idée forte : le Québec doit devenir un pays normal. " Le pourcentage des voix obtenu par le Parti libéral dans l'ensemble de la province a tout lieu de réjouir les fédéralistes. Dans plusieurs circonscriptions, la lutte a été serrée et la victoire de certains députés indépendantistes acquise d'une courte tête. C'est le cas dans la circonscription montréalaise de Chambly, où Louise Beaudoin, ancienne déléguée du Québec à Paris, a battu par moins de 400 voix seulement le vice-premier ministre libéral Lucienne Robillard. Outre M. Parizeau, les principales personnalités du Parti québécois ont été élues, et notamment les " ministrables " dans le prochain gouvernement : Jean Campeau, ancien coprésident d'une commission d'enquête sur la réforme constitutionnelle canadienne Camille Laurin, ancien ministre sous le gouvernement de René Lévesque, et artisan de la loi de protection de la langue française au Québec Bernard Landry, vice-président du Parti québécois, et lui aussi ancien ministre dans le cabinet Lévesque. Du côté libéral, l'une des victoires les plus remarquées est celle d'Yvon Charbonneau, syndicaliste et ancien président de la Centrale des enseignants du Québec, passé dans le camp fédéraliste au début de l'année. Le Parti québécois a accentué sa prédominance dans les régions où il est traditionnellement fort, notamment dans le Saguenay, la région de Québec et l'Abitibi. Les libéraux ont progressé dans la région de Montréal - leur bastion - et dans celle de l'Outaouais, près de la capitale fédérale d'Ottawa, où vivent de nombreux fonctionnaires fédéraux qui seraient menacés de perdre leur emploi en cas de sécession. Le scrutin a confirmé le clivage géographique et linguistique qui caractérise la politique québécoise depuis les trente dernières années. La majorité des francophones d'ancienne souche habitant des régions éloignées de Montréal appuient le Parti québécois, alors que les anglophones et les immigrants récents, concentrés autour de la métropole, restent fidèles aux libéraux et au fédéralisme canadien. La victoire du Parti québécois ouvre la voie à ce que Jacques Parizeau appelle " la troisième période ". Après avoir rejeté par référendum, en 1992, la réforme constitutionnelle proposée par le gouvernement fédéral, et élu en 1993 une opposition séparatiste au Parlement d'Ottawa, les Québécois devraient être amenés à se prononcer en 1995 sur la séparation de leur province. Mais la stratégie du chef du Parti québécois risque d'avoir été affaiblie par les résultats serrés de ce dernier scrutin. Il reste à voir si, dans ces conditions, le Parti québécois ne souhaitera pas reporter à une meilleure occasion l'organisation du référendum. SYLVIANE TRAMIER Le Monde du 14 septembre 1994

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