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Presse et démocratie Alexis de TOCQUEVILLE

Publié le 24/03/2020

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Presse et démocratie

Alexis de TOCQUEVILLE

1805 - 1859

De la démocratie en Amérique (1835)

Pour juger de la différence qui existe sur ce point1 entre les Anglo-Américains et nous, je n’ai qu’à jeter les yeux sur les journaux des deux peuples. En France, les annonces commerciales ne tiennent qu’un espace fort restreint, les nouvelles mêmes sont peu nombreuses ; la partie vitale d’un journal, c’est celle où se trouvent les discussions politiques. En Amérique, les trois quarts de l’immense journal qui est placé sous vos yeux sont remplis par des annonces, le reste est occupé le plus souvent par des nouvelles politiques ou de simples anecdotes ; de loin en loin seulement, on aperçoit dans un coin ignoré l’une de ces discussions brûlantes qui sont parmi nous la pâture journalière des lecteurs.

Toute puissance augmente l’action de ses forces à mesure quelle en centralise la direction; c’est là une loi générale de la nature que l’examen démontre à l’observateur, et qu’un instinct plus sûr encore a toujours fait connaître aux moindres despotes.

En France, la presse réunit deux espèces de centralisations distinctes.

Presque tout son pouvoir est concentré dans un même lieu, et pour ainsi dire dans les mêmes mains, car ses organes sont en très petit nombre.

Ainsi constitué au milieu d’une nation sceptique, le pouvoir de la presse doit être presque sans bornes. C’est un ennemi avec qui un gouvernement peut faire des trêves plus ou moins longues, mais en face duquel il lui est difficile de vivre longtemps.

Ni l’une ni l’autre des deux espèces de centralisations dont je viens de parler n’existent en Amérique.

Les Etats-Unis n’ont point de capitale : les lumières comme la puissance sont disséminées dans toutes les parties de cette vaste contrée ; les rayons de l’intelligence humaine, au lieu de partir d’un centre commun, s’y croisent donc en tous sens ; les Américains n’ont placé nulle part la direction générale de la pensée, non plus que celle des affaires.

Ceci tient à des circonstances locales qui ne dépendent point des hommes ; mais voici qui vient des lois :

Aux États-Unis, il n’y a pas de patentes pour les imprimeurs, de

tocqueville

« CULTURE ET MODERNITÉ 1 timbre ni d'enregistrement pour les journaux; enfin la règle des cau­ tionnements est inconnue.

35 Il résulte de là que la création d'un journal est une entreprise simple et facile [ ...

].

Aux États-Unis, il n'y a presque pas de bourgade qui n'ait son jour­ nal.

On conçoit sans peine que, parmi tant de combattants, on ne peut établir ni discipline, ni unité d'action: aussi voit-on chacun lever sa 4o bannière.

Ce n'est pas que tous les journaux politiques de l'Union se soient rangés pour ou contre l'administration; mais ils l'attaquent et la défendent par cent moyens divers.

Les journaux ne peuvent donc pas établir aux États-Unis de ces grands courants d'opinions qui soulèvent ou débordent les plus puissantes digues.

Cette division des forces de la 45 presse produit encore cl' autres effets non moins remarquables: la créa­ tion d'un journal étant chose facile, tout le monde peut s'en occuper; d'un autre côté, la concurrence fait qu'un journal ne peut espérer de très grands profits; ce qui empêche les hautes capacités industrielles de se mêler de ces sortes cl' entreprises.

Les journaux fussent-ils cl' ailleurs la 50 source des richesses, comme ils sont excessivement nombreux, les écri­ vains de talent ne pourraient suffire à les diriger.

Les journalistes, aux États-Unis, ont donc en général une position peu élevée, leur éducation n'est qu' ébauchée, et la tournure de leurs idées est souvent vulgaire.

Or, en toutes choses la majorité fait loi; elle établit de certaines allures aux- 55 quelles chacun ensuite se conforme; l'ensemble de ces habitudes com­ munes s'appelle un esprit: il y al' esprit du barreau, l'esprit de cour.

Les­ prit du journaliste, en France, est de discuter d'une manière violente, mais élevée, et souvent éloquente, les grands intérêts de l'État; s'il n'en est pas toujours ainsi, c'est que toute règle a ses exceptions.

:Cesprit du 60 journaliste, en Amérique, est de s'attaquer grossièrement, sans apprêt et sans art, aux passions de ceux auxquels il s'adresse, de laisser là les prin­ cipes pour saisir les hommes; de suivre ceux-ci dans leur vie privée, et de mettre à nu leurs faiblesses et leurs vices.

1.

Tocqueville se place ici sur le plan politique.

eEn quoi la presse américaine diffère-t-elle de la presse française? ' , l • Quels sont les effets d'une presse libre, en Amérique, du point de vue social et poli- , ~jque? ,.

A quels indices décèle-t-on la subjectivité de Tocqueville, de la ligne 51 à la fin? l?>, ~.~~~,:_eme~t de.~~~: voir 23 -24.

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