Pourquoi J.-J. Rousseau a-t-il violemment attaqué la comédie du « Misanthrope ?

Vous avez d'abord, bien entendu, à rappeler la nature de ces attaques. Rousseau reproche à Molière d'avoir rendu le vice sympathique, dans la personne de Philinte, et la vertu ridicule, dans la personne d'Alceste. Rousseau décide, en effet, que les politesses de Philinte, son souci d'être aimable à tout prix, sont une hypocrisie détestable, tandis que le dessein d'Alceste de toujours dire ce qu'il pense est le témoignage de la plus haute vertu. Nous pensons au contraire qu'Alceste est fort sympathique, mais que son dessein est irréalisable et qu'il rendrait la vie sociale impossible. Pourquoi Rousseau a-t-il soutenu, avec tant d'ardeur sincère, ce qui nous semble un paradoxe? C'est qu'il se plaît à voir dans Alceste son propre portrait : comme Alceste, il déteste la vie mondaine qui est la forme la plus raffinée et la plus corrompue de cette civilisation où il trouve l'origine de tous nos maux ; comme Alceste, il a la prétention de dire aux hommes leurs vérités sans souci des hypocrisies de la politesse. Mais, s'il déteste la vie mondaine, ce n'est pas seulement par conviction philosophique et morale; c'est aussi parce qu'il est timide et se sent, ou se croit gauche dans les salons; parce qu'il est tout d'une pièce, peu capable de nuancer et d'adapter ce qu'il pense pour plaire et pour ménager. Par contre, il n'est jamais mieux à son aise que dans ces « déserts », ces « endroits écartés » où Alceste se retire lorsque ses amours avec Célimène sont rompues.