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Pierre de Ronsard - LES ÉLÉGIES : L'Orphée

Publié le 19/03/2010

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ronsard

Que je serois heureux si jamais Hymenée  Ne meust en mariage une femme donnée !  Le regret de ma femme est cause que les pleurs  M'accompaignent les yeux et le cœur de douleurs.  Un jour qu'elle fuyoit l'amoureux Aristée,  Le long d'une prairie, en un val escartée,  Elle fut d'un Serpent qui vers elle accourut,  Morse dans le talon, dont la pauvre mourut.  Apres que le troupeau des Nymfes l'eut gemie,  Clochante elle descend toute palle et blesmie  Là-bas dans les Enfers : et moy sous un rocher  Voyant le Soleil poindre et le voyant coucher,  Sans cesse je pleurois, soulageant sur ma Lyre,  Bien que ce fust en vain, mon amoureux martyre.  À la fin, désireux de retrouver mon bien,  Desesperé je saute au creux Tenarien,  J'entray dans le bocage effroyable de crainte :  Je vy les Manes vains qui ne volent qu'en feinte,  Et le cruel Pluton, des hommes redouté,  Et sa femme impiteuse assise à son costé,  Dure fiere rebelle impudente inhumaine,  Dont le cœur n'est flechi par la priere humaine :  Vers Pluton je m'adresse, et rempli de souci,  Ayant la Lyre au poing, je le supplie ainsi :  Ô Prince qui par sort es Roy de ce bas monde  Où descend tout cela que Nature feconde  A conceu de mortel ! ô Prince l'héritier  De tout le bien qui croist dedans le monde entier,  Je ne viens pas ici pour enchaisner Cerbere,  Ni pour voir les cheveux de l'horrible Megere :  Ma femme qu'un Serpent a morse dans le pié,  Me fait venir vers toy pour y trouver pitié.  J'ay longtemps differé un si fascheux voyage,  Mais Amour a veincu mes pieds et mon courage :  C'est un Dieu qui là haut est bien cognu de tous,  Et je croy qu'ici bas il l'est aussi de vous,  Et comme nous au cœur avez receu sa playe,  Si la fable qu'on dit de Proserpine est vraye.  Pource je te suppli par ces lieux pleins d'effroy,  Par ce profond Chaos, par ce silence coy,  Par ces images vains, redonne-moy ma femme,  Et refile à sa vie une nouvelle trame :  Toute chose t'est deue, et le cruel trespas  Aussi bien à la fin nous ameine çà bas :  Nous tendons tous ici : à ta grand' Court planiere,  Qui reçoit un chacun, est la nostre derniere,  “ Et ne se faut challoir mourir en quelque endroit :  ” Car pour venir à toy le chemin est tout droit.  Donques, ô puissant Roy, si onques Proserpine  Par une douce amour t'eschaufa la poitrine,  Redonne moy ma femme : apres qu'elle aura fait  Le cours determiné de son âge parfait,  À toy s'en reviendra : ma requeste n'est grande,  Sans plus un usufruit pour present je demande.  Ou bien si les rochers t'environnent le cœur,  Et si fier tu ne veux alleger ma langueur,  Si tu es comme on dit un Prince inexorable,  Je veux mourir ici sur ce bord miserable :  Je ne veux retourner sans ma femme, et tu peux  Ici te resjouir de la mort de tous deux.    Faisant telle oraison, les ames sont venues  Ainsi que gresillons, greslettes et menues,  Pepier à l'entour de mon Luth qui sonnoit  Et de son chant piteux les Manes estonnoit.  La Parque que jamais pleurer on n'avoit veue,  Escoutant ma chanson à pleurer fut esmeue :  Tantale n'eut souci de sa punition,  Sisyphe de son roc, de sa roue Ixion :  En repos fut la cruche et la main des Belides,  Et dit-on que long temps des fieres  Eumenides La face en larmoyant de pitié se pallit,  Tant ma douce chanson le cœur leur amollit !  Pluton, qui eut pitié d'un mary si fidelle,  Me redonna ma femme à condition telle  De ne retourner point en arriere mes yeux,  Tant que j'eusse reveu la clairté de nos Cieux.    Un sentier est là bas tout obscur et tout sombre,  Entremeslé de peur et de frayeur et d'ombre :  Par ce chemin je sors, et ja presque j'avois  Passé le port d'Enfer, les rives et le bois,  Quand, las ! veincu d'amour, je regarde en arriere,  Et mal-caut je jettay sur elle ma lumiere,  Faute assez pardonnable en amour, si Pluton  Sçavoit helas ! que c'est que de faire pardon.    Là mon labeur fut vain s'escoulant en risée,  Là du cruel Tyran la pache fut brisée :  Je voulois l'embrasser, quand sa piteuse vois  Comme venant de loin, j'entendi par trois fois :  Quel malheureux destin nous perd tous deux ensemble ?  Quelle fureur d'amour nostre amour des-assemble ?  Pour m'estre trop piteux tu m'as esté cruel,  Adieu mon cher espoux d'un adieu eternel :  Le destin me r'appelle en ma place ancienne,  Et mes yeux vont nouant dedans l'eau Stygienne.  Or adieu, mon ami ! je re-meurs derechef,  Une nuict ombrageuse environne mon chef.    Par trois fois retourné, je la voulu reprendre,  Et l'ombre par trois fois ne me voulut attendre,  Se desrobant de moy, et s'en-vola devant,  Comme un loger festu s'en-vole par le vent.  Helas, qu'eussé-je fait ? de quelle autre priere  Eussé-je pu flechir Proserpine si fiere ?  Ma pauvre femme estoit desja de l'autre bord !  Et le nocher d'Enfer ne m'offroit plus le port.   

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« Escoutant ma chanson à pleurer fut esmeue :Tantale n'eut souci de sa punition,Sisyphe de son roc, de sa roue Ixion :En repos fut la cruche et la main des Belides,Et dit-on que long temps des fieresEumenides La face en larmoyant de pitié se pallit,Tant ma douce chanson le cœur leur amollit !Pluton, qui eut pitié d'un mary si fidelle,Me redonna ma femme à condition telleDe ne retourner point en arriere mes yeux,Tant que j'eusse reveu la clairté de nos Cieux. Un sentier est là bas tout obscur et tout sombre,Entremeslé de peur et de frayeur et d'ombre :Par ce chemin je sors, et ja presque j'avoisPassé le port d'Enfer, les rives et le bois,Quand, las ! veincu d'amour, je regarde en arriere,Et mal-caut je jettay sur elle ma lumiere,Faute assez pardonnable en amour, si PlutonSçavoit helas ! que c'est que de faire pardon. Là mon labeur fut vain s'escoulant en risée,Là du cruel Tyran la pache fut brisée :Je voulois l'embrasser, quand sa piteuse voisComme venant de loin, j'entendi par trois fois :Quel malheureux destin nous perd tous deux ensemble ?Quelle fureur d'amour nostre amour des-assemble ?Pour m'estre trop piteux tu m'as esté cruel,Adieu mon cher espoux d'un adieu eternel :Le destin me r'appelle en ma place ancienne,Et mes yeux vont nouant dedans l'eau Stygienne.Or adieu, mon ami ! je re-meurs derechef,Une nuict ombrageuse environne mon chef. Par trois fois retourné, je la voulu reprendre,Et l'ombre par trois fois ne me voulut attendre,Se desrobant de moy, et s'en-vola devant,Comme un loger festu s'en-vole par le vent.Helas, qu'eussé-je fait ? de quelle autre priereEussé-je pu flechir Proserpine si fiere ?Ma pauvre femme estoit desja de l'autre bord !Et le nocher d'Enfer ne m'offroit plus le port.. »

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