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Pendant cinq ans, Enron a masqué l'échec de son modèle

Publié le 17/01/2022

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2 décembre 2001 « Je suis terriblement inquiète de nous voir exploser dans une vague de scandales comptables... Nous sommes une société tellement malhonnête. » Ces deux phrases sont extraites d'une lettre, alors anonyme, envoyée le 15 août 2001 par Shennon Watkins, vice-présidente d'Enron, à Kenneth Lay, fondateur et numéro un du groupe d'énergie texan. La veille, le directeur général, Jeff Skilling, avait démissionné. Moins de quatre mois plus tard, la maison Enron s'effondrait, la plus grande faillite de l'histoire des Etats-Unis. Un scénario difficilement imaginable pour la septième entreprise américaine, image de la réussite et de la modernité. Un modèle, désigné six années de suite comme « la société la plus innovante » par le magazine Fortune. Son chiffre d'affaires avait été multiplié par trois entre 1998 et 2000 et son cours de Bourse par dix en dix ans. « Nous ferons mieux lors de la prochaine décennie », promettait encore Kenneth Lay le 24 octobre. Enron était engagé dans de gigantesques projets énergétiques au Brésil, en Inde, au Mozambique... « La première entreprise du monde », était-il écrit au mur dans l'entrée de son siège, à Houston. Son influence politique était considérable au Texas et à la Maison Blanche, surtout depuis l'élection de George W. Bush. M. Lay est un ami de vingt ans de George Bush père, de son fils, le président actuel, et du vice-président Dick Cheney. Il jouait au golf avec Bill Clinton. Le gouvernement est truffé d'anciens employés et consultants du groupe texan. Trente-cinq membres de l'administration Bush possédaient des actions Enron. Près de 190 parlementaires dont 71 sénateurs ont bénéficié de ses largesses. Pour le monde des affaires, M. Lay était un visionnaire, « le messie de l'énergie » selon l'hebdomadaire The Economist. Il a inventé l'entreprise du « XXIe siècle » et un nouveau métier, avec le mariage révolutionnaire du gaz, de l'électricité, des marchés financiers et de l'Internet. Enron n'est pas seulement devenu le numéro un mondial du négoce de l'énergie, mais aussi un groupe de télécommunications, un investisseur, un producteur de papier et de bois et un assureur. La société avait des contrats avec plus de 28 500 clients. fuite en avant Voilà pour l'apparence. L'envers du décor, soigneusement dissimulé, est tout autre. Le métier d'Enron était peut-être innovant, mais surtout très risqué et peu rentable. La société a grandi trop vite. Les investissements à travers le monde s'avèrent la plupart du temps désastreux. Les dettes s'accumulent. Le groupe manque en permanence de cash. Pour masquer l'échec de son modèle, Enron se lance dans une véritable fuite en avant, dissimulant les dettes et les pertes par de nouvelles acquisitions et de multiples partenariats. La clé de voûte, c'est le cours de Bourse. Tout est fait pour le faire monter, et pouvoir ainsi continuer à emprunter et à rémunérer généreusement les dirigeants saisis de la fièvre des stock-options. Dès 1997, Enron commence à manipuler ses comptes. Le groupe vend ses intérêts dans une filiale baptisée Jedi (Joint Energy Development Investments) à Chewco Investments, un partenariat qu'il finance de façon détournée avec ses propres actions. Chewco est dirigé et détenu par Michael Kopper, l'un des cadres d'Enron qui a aujourd'hui démissionné. En cédant à Chewco sa participation dans Jedi, Enron retire de son bilan les 700 millions de dollars (808,4 millions d'euros) de dettes de son ex-filiale. Un système qui se généralise. En quelques années, le groupe construit une nébuleuse de près de 4 000 filiales et joint- ventures, une pour cinq de ses employés ! Ces entités servent à dissimuler les pertes, à emprunter de l'argent et à échapper à l'impôt sur les sociétés. Le groupe texan ne l'a pas payé lors de quatre des cinq dernières années. Pour cela, il a créé 881 filiales dans des paradis fiscaux dont 693 aux îles Caïmans. En 1999, Enron croit trouver une issue sous la forme d'une fusion avec l'allemand Veba. Les négociations secrètes échouent. Les dirigeants de Veba sont effrayés par l'ampleur de l'endettement et les « pratiques comptables agressives » du groupe texan. Le système Enron craque avec le retournement de la conjoncture au début de l'année 2001, la baisse des prix de l'énergie et la chute du titre. Les pertes et les dettes sont trop lourdes pour être absorbées et cachées. Complaisant voire complice depuis des années, le commissaire aux comptes Andersen prend peur. De nombreux dirigeants quittent le navire. Parmi eux, en mai, le vice-président J. Clifford Baxter décide de « consacrer plus de temps à sa famille » tout comme un autre vice-président, Thomas White. Ce dernier est aujourd'hui le secrétaire aux armées de l'administration Bush. M. Baxter s'est suicidé le 25 janvier. En août, c'est au tour de Jeff Skilling de partir, lui aussi « pour raisons personnelles ». Les uns et les autres n'ont apparemment pas perdu de vue leurs intérêts... 29 dirigeants et administrateurs profitent de leur connaissance de la situation réelle de l'entreprise pour vendre leurs actions Enron avant qu'elles ne valent plus rien. Ils cèdent pour 1,1 milliard de dollars de titres entre octobre 1998 et novembre 2001. A l'automne, Enron s'effondre comme un château de cartes... en six semaines. Le groupe annonce, le 16 octobre 2001, une perte de 618 millions de dollars et une réduction d'un peu plus de 1 milliard de son capital. Le directeur financier, Andrew Fastow, l'homme des partenariats, qui en a profité pour s'attribuer plus de 35 millions de dollars de commissions, démissionne huit jours plus tard. M. Lay appelle au secours la Maison Blanche. Mais il est trop tard. Illustration des difficultés de trésorerie du groupe : entre le 16 octobre et le 2 décembre, jour de sa mise en faillite, il doit emprunter 6 milliards de dollars pour survivre. Une reprise par Dynegy, concurrent texan et surtout filiale du puissant groupe pétrolier ChevronTexaco, semble le seul moyen d'éviter le pire. Mais Enron ne peut pas apporter les garanties comptables demandées. Dynegy se rend compte, au moins en partie, de l'imposture. Car tout est faux chez Enron. cinq semaines Le 8 novembre, le groupe reconnaît avoir surévalué de près de 600 millions de dollars ses bénéfices depuis 1997. Son chiffre d'affaires de 101 milliards de dollars en 2000 place la société, dans les classements américains, en compagnie de Citicorp et IBM. Mais si elle n'avait pas pris en compte la valeur totale des contrats échangés et seulement les commissions, comme le font les maisons de courtage, son chiffre d'affaires serait tombé à 6,3 milliards de dollars, le 287e du pays... Le 28 novembre, Dynegy renonce. La faillite est inévitable. Elle intervient quatre jours plus tard. Et puis plus rien ou presque. L'Amérique est alors surtout préoccupée par la guerre contre le terrorisme. Les commentateurs attribuent le dépôt de bilan à la récession et à des erreurs de gestion. Les liens entre Enron et George Bush sont à peine évoqués. Il faut cinq semaines et les premières révélations sur les pratiques comptables d'Enron et sur l'enrichissement de ses dirigeants au détriment des employés et des actionnaires pour que le scandale éclate. Le département de la justice ouvre une enquête, le 9 janvier. La plus grande faillite de l'histoire américaine devient une affaire criminelle et politique. Elle éclabousse la Maison Blanche et met à mal la crédibilité de Wall Street et des entreprises américaines. ERIC LESER Le Monde du 8 février 2002

« pour 1,1 milliard de dollars de titres entre octobre 1998 et novembre 2001. A l'automne, Enron s'effondre comme un château de cartes...

en six semaines.

Le groupe annonce, le 16 octobre 2001, uneperte de 618 millions de dollars et une réduction d'un peu plus de 1 milliard de son capital.

Le directeur financier, AndrewFastow, l'homme des partenariats, qui en a profité pour s'attribuer plus de 35 millions de dollars de commissions, démissionnehuit jours plus tard.

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Lay appelle au secours la Maison Blanche.

Mais il est trop tard.

Illustration des difficultés de trésorerie dugroupe : entre le 16 octobre et le 2 décembre, jour de sa mise en faillite, il doit emprunter 6 milliards de dollars pour survivre.Une reprise par Dynegy, concurrent texan et surtout filiale du puissant groupe pétrolier ChevronTexaco, semble le seul moyend'éviter le pire.

Mais Enron ne peut pas apporter les garanties comptables demandées.

Dynegy se rend compte, au moins enpartie, de l'imposture.

Car tout est faux chez Enron. cinq semaines Le 8 novembre, le groupe reconnaît avoir surévalué de près de 600 millions de dollars ses bénéfices depuis 1997.Son chiffre d'affaires de 101 milliards de dollars en 2000 place la société, dans les classements américains, encompagnie de Citicorp et IBM.

Mais si elle n'avait pas pris en compte la valeur totale des contrats échangés etseulement les commissions, comme le font les maisons de courtage, son chiffre d'affaires serait tombé à 6,3 milliardsde dollars, le 287e du pays...

Le 28 novembre, Dynegy renonce.

La faillite est inévitable.

Elle intervient quatre joursplus tard.

Et puis plus rien ou presque.

L'Amérique est alors surtout préoccupée par la guerre contre le terrorisme.Les commentateurs attribuent le dépôt de bilan à la récession et à des erreurs de gestion.

Les liens entre Enron etGeorge Bush sont à peine évoqués. Il faut cinq semaines et les premières révélations sur les pratiques comptables d'Enron et sur l'enrichissement de ses dirigeantsau détriment des employés et des actionnaires pour que le scandale éclate.

Le département de la justice ouvre une enquête, le 9janvier.

La plus grande faillite de l'histoire américaine devient une affaire criminelle et politique.

Elle éclabousse la Maison Blancheet met à mal la crédibilité de Wall Street et des entreprises américaines. ERIC LESER Le Monde du 8 février 2002 CD-ROM L'Histoire au jour le jour © 2002, coédition Le Monde, Emme et IDM - Tous droits réservés. »

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