Oussama Ben Laden par Robert Fisk
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
«
New York et à Washington, ces mots prennent un sens plus fort.
Durant quelques minutes, la puissance américaine est devenueune ombre.
Ben Laden m'a toujours semblé rechercher une célébrité qu'il n'a jamais trouvée - jusqu'à ce que les Américains et Time lequalifient de « parrain du terrorisme international », et jusqu'à ce que les Etats-Unis offrent une récompense de 5 millions dedollars pour sa tête (somme d'une faiblesse insultante pour un millionnaire comme lui, a-t-il peut-être pensé).
Lors de notredernière rencontre dans la nuit glaciale en Afghanistan, Ben Laden s'est emparé des journaux en arabe qui étaient dans mon sacet s'est précipité dans un coin de la tente pour les lire pendant vingt minutes, sans tenir compte ni de ses combattants ni de sonhôte occidental.
Bien que saoudien - il avait déjà été déchu de sa nationalité -, il ne savait même pas que le ministre des affairesétrangères iranien venait de faire une visite officielle à Riyad.
Il n'écoute donc pas la radio, me suis-je demandé ? Est-ce bien là le« parrain du terrorisme international » ?
Ben Laden m'avait parlé longtemps auparavant de la décision immédiate qu'il avait prise en apprenant que l'armée soviétiqueavait envahi l'Afghanistan.
Il avait apporté le matériel de construction de sa société à des chefs tribaux en révolte pour combattrece qu'il considérait comme une armée corruptrice et hérétique pillant l'Afghanistan islamiste.
Il finança le voyage de milliersd'Arabes moudjahidins en Afghanistan pour qu'ils se battent à ses côtés.
Ils vinrent d'Egypte, du Golfe, de Syrie, de Jordanie, duMaghreb.
Beaucoup furent taillés en pièces par des mines ou déchiquetés par les mitrailleuses des hélicoptères Hind soviétiquesqui attaquaient les guérilleros d'Afghanistan.
Sur le plateau montagneux où j'ai passé la nuit, il y avait derrière ma tente un grosabri anti-aérien de 7,5 mètres de haut sur 7,5 mètres de large, taillé dans le roc de la paroi, et qui s'étendait peut- être sur 30mètres dans l'obscurité.
Le matériel de construction de Ben Laden avait servi à creuser ce trou géant dans le rocher.
Aujourd'hui,ses hommes sont partis dans les nombreux camps d'entraînement construits à l'origine par la CIA - ce qui explique, naturellement,pourquoi les Américains savent où lancer leurs missiles Cruise.
Les camps ont été créés par les Américains.
Lors de notre première rencontre, au Soudan en 1994, j'ai convaincu Ben Laden - contre son gré - de me parler de cetteépoque.
Il m'a raconté que, pendant une attaque contre une base offensive russe proche de Jalalabad, dans la province deNangahar, un obus de mortier était tombé à ses pieds.
Dans les fractions de seconde de rationalité qui en ont suivi la chute, il aéprouvé - c'est ce qu'il m'a dit - un grand calme, une impression d'acceptation sereine qu'il a attribuée à Dieu.
L'obus (à la grandeconsternation des Américains aujourd'hui) n'a pas explosé.
Quelques années plus tard, à Moscou, j'ai rencontré un ancien officierde renseignements soviétique qui avait passé quelques mois en Afghanistan pour tenter d'organiser la liquidation de Ben Laden -tout comme les Américains tentent de le faire aujourd'hui.
D'après lui, il avait échoué parce que les hommes de Ben Laden ne selaissaient pas acheter.
Personne ne voulait le trahir.
« C'était un homme dangereux, le plus dangereux pour nous », me dit ceRusse.
Ben Laden m'a répété qu'il n'avait jamais accepté la moindre balle provenant de l'Occident, qu'il n'avait jamais rencontréd'agent américain ou britannique.
CEPENDANT, ses bulldozers et ses engins creusaient des routes dans les montagnes pour que ses moudjahidins lancent leursmissiles antiaériens Blowpipe, fabriqués en Grande-Bretagne, assez haut pour atteindre les Mig soviétiques.
L'un de ses partisansarmés m'a emmené plus tard sur la « piste Ben Laden », odyssée terrifiante de deux heures dans la pluie et le verglas au bord deravins effrayants, tandis que le pare-brise s'embuait à mesure que nous montions dans la montagne glaciale.
« Quand on a foidans le djihad (la guerre sainte), c'est facile », m'a expliqué le terroriste en se battant avec le volant quand des pierres jaillissaientde sous les roues et s'enfonçaient dans les nuages pour tomber dans les vallées.
« Toyota est bon pour le djihad », a-t-il dit enriant.
C'est la seule plaisanterie que j'aie entendue de la bouche d'un des hommes de Ben Laden.
De temps en temps - c'était en 1997 -, des lumières clignotaient à notre adresse loin dans l'obscurité.
« Nos frères nous fontsavoir qu'ils nous ont vus », dit le terroriste.
Il nous a fallu encore deux heures pour atteindre le camp de Ben Laden ; la Toyotadérapait en arrière vers les falaises escarpées, les phares illuminaient des cascades gelées au-dessus de nous.
La réponse de Ben Laden à Washington prétendant qu'il était le plus grand « terroriste » mondial - et je lui ai affirmé que lesAméricains le pensaient vraiment - était toujours la même.
A cette époque, on l'accusait principalement d'attaques contre lesforces américaines dans le Golfe.
« Si libérer mon pays est considéré comme du «terrorisme», a- t-il répondu, c'est un grandhonneur pour moi.
» Il a dit qu'il n'y avait pas de différence entre les gouvernements américain et israélien, entre les arméesaméricaine et israélienne.
Il avait toutefois de l'estime pour l'Europe - et la France en particulier - parce qu'elle prenait sesdistances vis-à-vis des Américains.
Il n'a pas fait de commentaires sur la politique française en Afrique du Nord, pas plus qu'il n'amentionné l'Algérie, même si j'ai eu l'impression que le mot planait au-dessus de nous comme un fantôme pendant quelquesminutes.
Parmi les combattants assis à côté de moi se trouvaient des Algériens.
En 1996, Ben Laden m'a averti : toutes les forcesoccidentales dans le Golfe, y compris les troupes françaises et britanniques, étaient en danger.
En 1997, il a fait comprendre queses menaces n'étaient plus dirigées contre Paris et Londres..
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