Okinawa, la guerre sauvage du Pacifique
Publié le 17/01/2022
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On les incite à quitter l'Etat et à fuir vers l'intérieur.
Mais le Nevada, l'Idaho, le Kansas, l'Arkansas imitent à leur tour laCalifornie, jusqu'à ce que le président Roosevelt décide, en février 1942, leur déportation et leur internement dans les camps.
Enquarante-huit heures, ils doivent tout abandonner, maisons, mobiliers, terres, fortune.
Pourtant ils manifestent une fidélitéexemplaire au drapeau américain et vont jusqu'à chanter, le samedi soir, devant leurs baraques d'internés, America is beautiful.Ceux d'entre eux qui sont mobilisés se comportent en bons soldats sur les champs de bataille européens, certains même en héros.Mais après trois ans de détention, ils ne retrouveront pas leurs biens et longtemps encore garderont au coeur le souvenir de lahonte infligée.
L'espionnite, le Japon n'y échappe évidemment pas.
Ce sont les résidents étrangers qui en sont les victimes, surtout lorsque lesavions du colonel Doolittle se permettent pour la première fois, en avril 1942, de passer au dessus de Tokyo.
Mais c'est sur les terres conquises par l'armée impériale que s'exprime dans toute sa violence le sentiment d'orgueil racial d'unpeuple qui rêve depuis longtemps de vaincre l'Occident blanc et de le remplacer dans la domination de l'Asie.
En débarquant à Singapour, forteresse vaincue de l'empire colonial anglais, le général Yamashita et son état-major piétinent untapis de prisonniers britanniques et australiens contraints à s'allonger sur le sol.
L'un des officiers, le colonel Tsuji, est l'auteurd'une brochure destinée aux troupes envoyées sous les tropiques : " Lorsque vous aurez mis le pied sur le territoire ennemi, y est-il écrit, vous comprendrez la signification de l'oppression que nous inflige le blanc.
L'argent tiré du sang des asiatiques assure àcette minorité blanche un mode de vie luxueux...Lorsque vous tomberez sur l'ennemi, dites-vous que vous rencontrez l'assassin devotre père que vous allez venger..
" Cette déclaration de solidarité panasiatique ne manque pas de cynisme après les atrocitéscommises en Mandchourie et en Chine par l'occupant nippon sur les autochtones, mais elle justifie l'humiliation organisée etspectaculaire des anciens maîtres blancs, contraints de faire des courbettes, de balayer les rues, ou de subir coups et avanies sousles yeux de leurs anciens sujets.
Cobayes humains
La vindicte des vainqueurs et souvent plus brutale : les défenseurs américains de Corregidor, épuisés par la bataille, sontaffamés pendant une semaine, jetés dans des cales à bestiaux avant de défiler à Manille.
70 000 Américains et Philippins capturésà Bataan sont poussés vers un camp sur une centaine de kilomètres, à coups de gourdins.
Blessés et malades sont parfoisachevés à la hache ou enterrés vivants.
7 000 périssent.
Dans la jungle de Birmanie, près de la célèbre rivière Kwaï, 15 000Européens et 70 000 Asiatiques affectés à la construction d'un chemin de fer stratégique meurent d'épuisement, de soif ou defaim.
A Bornéo, à Java, des Hollandais sont mutilés, massacrés, leurs femmes violées.
En Indochine, des Français qui résistent aucoup de force du 9 mars 1945 sont décapités, d'autres internés dans des camps de la mort lente.
Partout encore, la gendarmeriemilitaire, la Kempeitai, se rend célèbre par ses tortures et ses cages de bois.
Quoi qu'ait écrit le colonel Tsuji, " Chinois et peuplesdu Sud " ne sont pas épargnés, surtout des Philippins, accusés de connivence avec les Américains, et des Chinois de Singapour,nombreux à être exécutés, avec ou sans raison.
Esprit de sacrifice, code d'honneur, orgueil d'une nation insulaire trop longtemps isolée, volonté de puissance et de revancheraciale, peuvent expliquer la fureur de vaincre et aussi de mourir des Japonais au combat.
Mais expliquent-ils aussi cette plongéeencore plus profonde dans les ténèbres de la sauvagerie humaine effectuée par les quelque 3 000 membres, militaires et civils,d'un certain régiment 731, dont les atrocités ont été récemment révélées par des témoignages tardifs et officiellement reconnus ?
Cette unité, stationnée à Harbin, en Mandchourie occupée, avait pour tâche de faire des recherches en vue d'une guerrebactériologique et chimique, jugée par son initiateur, le chirurgien général Ishii, plus efficace et moins coûteuse que la guerreclassique.
On y travaillait sur des cobayes humains, chinois, coréens, mongols, russes, américains et aussi anglais lorsqu'undétachement a été affecté en Birmanie.
On leur inoculait diverses maladies, telles que peste, choléra, typhus, syphilis, afin d'enétudier les effets, ou on leur faisait subir des expériences telles que le gel, l'inanition, l'exposition prolongée aux rayons X.
Ce n'est qu'en 1982 qu'un livre paru au Japon a secoué l'opinion par ses révélations.
Les autorités américaines d'après guerre ysont accusées d'avoir assuré l'impunité aux " savants " du régiment 731 afin de pouvoir " bénéficier de leurs découvertes "; Dansun débat au Parlement, le gouvernement japonais a reconnu l'existence de cette unité, sans confirmer ce contrat liant les anciensennemis dans une même complicité ténébreuse et permettant aux macabres expérimentateurs de vaquer à leurs occupations,d'exercer dans des hôpitaux, et même d'occuper des chaires universitaires.
PHILIPPE FRANCHINILe Monde du 19 mai 1985.
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