Nouvelle-Calédonie Depuis 1988, la recherche d'un avenir commun aux Kanaks et aux Caldoches
Publié le 17/01/2022
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21 avril 1998 - D'une phrase lapidaire, le président du FLNKS, Roch Wamytan, a résumé, mardi 21 avril, à Nouméa, dix ans d'une histoire absurde et meurtrière. Il venait, quelques instants plus tôt, de signer un nouvel accord de paix avec les anti-indépendantistes : " C'est le dixième anniversaire de l'attaque de la gendarmerie d'Ouvéa. Nous signons à une date symbolique car nous espérons que cet acte sera le point de départ de cette ère nouvelle que nous souhaitons tous pour nos populations et l'avenir du pays. "
Le 22 avril 1988, en effet, des militants indépendantistes attaquent la brigade de gendarmerie de Fayaoué, sur la petite île d'Ouvéa, à l'est de la Grande Terre. Quatre gendarmes sont tués, deux sont blessés et vingt-sept autres sont pris en otage. C'est la suite stupide, mais inéluctable, de la tension croissante des années 80, au cours desquelles plusieurs responsables du mouvement indépendantiste ont payé de leur vie leur volonté de résistance à la puissance coloniale. Le 5 mai de la même année, entre les deux tours de l'élection présidentielle, l'armée donne l'assaut à la grotte où sont détenus les otages. Deux gendarmes sont tués, ainsi que dix-neuf militants indépendantistes kanaks. Bien qu'en concurrence directe dans un scrutin décisif, le chef de l'Etat, François Mitterrand, et son premier ministre de l'époque, Jacques Chirac, sont tombés d'accord pour faire prévaloir, quoi qu'il en coûte, l'ordre républicain.
" Non " majoritaire à Nouméa
A près la réélection de François Mitterrand, dès le 15 mai 1988, une mission de conciliation, dirigée par Christian Blanc, est chargée par le nouveau premier ministre, Michel Rocard, de " rétablir le dialogue " . Le 26 juin, un accord est conclu à l'hôtel Matignon entre Jacques Lafleur, député (RPR) et président du Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR), et Jean-Marie Tjibaou, président du Front de libération nationale kanak socialiste (FLNKS). Le 6 novembre de la même année, près de 80 % des Français - du moins ceux qui sont allés voter - approuvent l'accord de paix. Mais le taux d'abstention atteint le niveau record de 63 %. Plus grave encore, le " non " est majoritaire à Nouméa, où se concentre l'essentiel de la population d'origine européenne.
Il n'empêche... Les accords de Matignon sont mis en oeuvre. Les élus indépendantistes gèrent deux provinces sur trois, celle du Nord et celle des Iles. M. Lafleur garde son potentat du Sud. A Paris, les gouvernements passent, mais l'aide financière de l'Etat demeure imposante. Dès avant le retour, en 1993, de la droite au pouvoir, les gouvernements successifs choisissent de " laisser du temps au temps " . Le premier, Jacques Lafleur réagit. Dès 1991, le patron de la communauté caldoche se porte à la recherche d'une " solution consensuelle " . L'idée est généreuse : elle vise à proposer aux différentes communautés du territoire de s'entendre sur un destin commun. Elle est aussi précautionneuse : M. Lafleur prévoit alors un " pacte trentenaire " , durant lequel le Caillou resterait partie prenante de la République.
En avril 1996, le président du RPCR est tellement pressé d'aboutir qu'il livre à l'un de ses collègues de l'Assemblée nationale, Alain Peyrefitte, l'un des nombreux documents de travail que ne cessent de s'échanger, dans les couloirs du Congrès du territoire, à Nouméa, les élus des deux camps. Ce document prévoit le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans un " ensemble français " . La délégation indépendantiste présente à Paris éclate.
Quelques semaines plus tard, une nouvelle génération de dirigeants, plus radicale, est installée à la tête de l'Union calédonienne, la principale et la plus ancienne composante du FLNKS. Liée, par des liens personnels ou professionnels, à la Société minière du Sud-Pacifique (SMSP), cette équipe n'aura de cesse de faire prévaloir un " préalable minier " avant la reprise des négociations politiques. Le but consiste à permettre à la SMSP, en association avec le numéro 2 mondial du nickel, le groupe canadien Falconbridge, de construire dans le nord du territoire, au titre du rééquilibrage économique prévu par les accords de Matignon, une énorme usine de traitement du nickel. Des mois durant, des dizaines d'avocats d'affaires assistent les " petits " responsables de la SMSP : le PDG, André Dang, d'origine indochinoise - " l'officier Vietcong " , comme peste M. Lafleur -, et Raphaël Pidjot, le directeur général, un Kanak.
Le conflit du nickel
Le groupe minier Eramet, majoritairement contrôlé par l'Etat, organise la résistance. Il contrôle la seule usine de transformation du nickel du Caillou et n'a nulle envie de voir un concurrent s'installer à proximité immédiate. Le gouvernement d'Alain Juppé échoue à faire prévaloir son point de vue au sein du groupe. Il faut attendre la nomination, le 9 juillet 1997, d'un médiateur, Philippe Essig, par Lionel Jospin, pour que le conflit se dénoue en quelques mois.
Dès lors que cette étape est définitivement franchie en début d'année, la voie est de nouveau ouverte pour la reprise du dialogue politique. Dix ans après le drame d'Ouvéa, un gouvernement de gauche peut à nouveau se prévaloir d'avoir réussi à rassembler les Calédoniens sur un même projet.
JEAN-LOUIS SAUX
Le Monde du 23 avril 1998
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