Notes de cours: LA CONNAISSANCE DU VIVANT
Publié le 22/02/2012
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LA CONNAISSANCE DU VIVANT.
Les phénomènes biologiques sont-ils analysables, réductibles à des éléments à partir desquels ils pourraient être compris? Il semble au contraire que, dans le domaine de la vie, le tout soit premier par rapport à ses parties, et les explique. Chaque élément n'est pas uni à d'autres en une synthèse de hasard: tous paraissent concourir à une unité qui les dépasse, et contient la raison de leur rencontre. Il n'y a de "faits" biologiques qu'en des "êtres vivants". Ici, transparaît un ordre qui n'est plus celui du mécanisme, mais qui le dominant, révèle, dans la Nature, la présence d'une finalité.
Et, le but de la science est justement de tenter d'expliquer ce dessein naturel? De rendre compte de la structure vivante et de cerner les modalités de leur évolution.
A. L'expérimentation et l'analyse:
La biologie s'efforce de modeler sa méthode sur celle des sciences de la matière, autrement dit d'utiliser la méthode expérimentale.
Il y a en elle observation: de tout temps, elle a eu recours à l'observation externe, à la vivisection, à la radioscopie, ect.
Elle veut établir des lois: il y a donc en elle induction, hypothèses, vérifications et expérimentation.
Mais, la méthode expérimentale se heurte, en biologie, à des difficultés particulières. Le phénomène vital est la propriété d'un être organisé, c'est-à-dire d'un être qui, bien que composé de parties multiples, demeure "un".
Autrement dit, les éléments d'un vivant sont solidaires et réagissent sans cesse les uns sur les autres. L'analyse et l'expérimentation seront donc ici d'une application difficile. Toute expérimentation biologique sera très délicate: chaque phénomène variant en fonction de tous les autres, il sera difficile d'établir une loi entre tel et tel. On sait que l'analyse de la matière vivante jamais n'a été réalisée. On peut dès lors si le facteur vie n'est pas irréductible. Il semble qu'avec la vie une forme s'impose aux séries physico-chimiques, et organise la matière.
B. Explication téléologique et explication déterministe.
Les phénomènes vitaux semblent impliquer la finalité. Les éléments du corps sont adaptés les uns aux autres, existent en fonction les uns des autres, et en fonction de l'organisme qu'ils constituent: l'idée du tout semble ici déterminer l'existence et l'ordre des parties, ce qui suppose une certaine finalité statique. Par ailleurs, les faits vitaux répondent à des fonctions (fonction de nutrition, de reproduction), ils convergent vers un but (tous les éléments de l'oeil convergent vers un but unique: la vision). L'idée de fonction suppose une sorte de finalité dynamique.
a) On peut donc admettre qu'en biologie, l'explication déterministe ne puisse suffire. On sait que, plusieurs séries causales étant données, l'explication déterministe rend compte de chaque série prise en particulier, mais non du fait que telle et telle séries se sont précisément rencontrées pour donner naissance à tel fait particulier, à tel être.
Si nous nous en tenons au déterminisme, cette rencontre semblera due au hasard. Or, les êtres vivants ne peuvent être, semble-t-il, considérés comme issus du hasard: la rencontre des séries causales qui les constituent ne semble pas fortuite et hasardeuse mais constante et une grande rigueur (message génétique de l'ADN).
On peut donc admettre que, pour expliquer les phénomènes vitaux, il faut avoir recours à une explication autre que l'explication déterministe, à savoir l'explication téléologique, qui met en jeu le principe de finalité: nous expliquerons ainsi les parties par le tout, les organes par leur fonction (celle-ci primant sur celle-là), nous considérerons certaines réalités comme des moyens et les expliquerons par les fins vers lesquelles elles tendent.
b) On a parfois reproché à l'explication téléologique, ou finaliste, d'amener le savant à négliger la recherche des causes efficientes. Mais, il convient de remarquer que le principe de finalité n'exclut pas le principe du déterminisme: au contraire, il le suppose. S'il n'y avait pas de lois, le moyen ne pourrait atteindre sa fin; il ne pourrait en être cause. L'explication finaliste ne s'oppose pas à l'explication déterministe, elle se superpose à elle: ce à quoi elle s'oppose, c'est au hasard (que le déterminisme laisse subsister). L'explication finaliste est seulement destinée à rendre compte de la rencontre des séries causales qui, considérées à part, gardent toute leur valeur et jouent intégralement. Ainsi, si je veux expliquer ma montre, je devrai en donner une explication déterministe (faisant intervenir l'action des rouages), et une explication finaliste (invoquant la force qui les a réunis et leur fonction). De même, en biologie, les fonctions (respiration, circulation) peuvent mettre en jeu des lois chimiques (fixation de l'oxygène sur le globule rouge), et impliquer pourtant la finalité (la présence dans le sang d'éléments capables de fixer l'oxygène).
On peut donc faire une place, en biologie, à l'explication mécaniste (permettant de déterminer les séries causales intervenant dans les fonctions organiques), et une place à l'explication téléologique (permettant d'expliquer le concours de ces séries). La finalité apparaît ainsi comme une supercausalité, groupant, en vue de fins, diverses séries causales, et leur donnant une unité.
c) La tendance des biologistes est de préférer et d'étendre le plus possible l'explication déterministe. Mais, dans quelle mesure l'élucidation téléologique peut-elle être rejetée, si le vivant est un "être", c'est-à-dire s'il a une nature propre et tend à la maintenir, ce que ne saurait comprendre le mécanisme qui, par nature, ne reconnaît à ce qu'il étudie nulle essence, ni intériorité?
On rattache souvent au mécanisme la théorie de Darwin. Pourtant, la conception darwinienne fait place à la finalité. Mais, elle en limite, autant que possible, le domaine. Darwin suppose, au point de départ, des êtres organisés. Mais, ces êtres évoluent de façon mécanique: ils sont le siège de "variations accidentelles".
Or, il y a, entre les vivants, concurrence vitale, et donc sélection naturelle: seuls les êtres les plus forts, les mieux adaptés peuvent continuer à vivre. On comprend, dès lors, que les espèces dont les variations seront utiles se maintiendront en vie; les autres disparaîtront au contraire. En d'autres termes, les variations accidentelles des vivants leur étant défavorables ou favorables, l'élimination des moins bien adaptés, résultat de la concurrence vitale, joue de telle sorte que seules subsistent les espèces qui sont le sièges de modifications favorables. La finalité apparente des espèces actuelles résulterait donc de l'accumulation de variations utiles.
Mais, la thèse de Darwin s'efforce à réduire le domaine de la finalité. Il ne faut pas en effet comme Bernardin de Saint Pierre, s'émerveiller sans cesse du finalisme vital. Les phénomènes biologiques se présentent souvent comme des réussites, issues du hasard, et, dans le spectacle qu'offre la vie, on peut, en un sens, trouver plus de désordre que d'ordre. La vie procède bien souvent en jetant les dès. Il n'en reste pas moins difficile de concevoir la vie sans la finalité (Darwin ne l'a du reste pas tenté). Il semble que les phénomènes vitaux soient organisés, et ne soient concevables que par rapport à l'unité qu'ils réalisent. L'idée du tout semble bien ici déterminer l'existence et l'ordre des parties.
d) De toute façon le biologiste, s'il veut demeurer dans les limites de la science, doit renoncer à s'interroger sur la nature intime de la finalité. C'est surtout en ce sens que l'on a dit que la recherche des causes finales nous faisait sortir du domaine de la science et que, stérile et paresseuse, elle nous plaçait devant d'insolubles problèmes. Tout se passe comme s'il y avait de la finalité; mais nous ne pouvons, de la finalité, connaître l'essence ni le mode d'action. Au reste, en ce qui concerne les lois, notre connaissance n'était guère plus claire. Nous supposions qu'elles avaient une raison, mais nous ne connaissions pas cette raison. L'affirmation de la finalité par l'esprit ne nous semble donc pas poser un problème spécifiquement différent de celui que posait l'affirmation des lois. Dans les deux cas, nous constatons la présence d'un ordre. Mais, de cet ordre, nous ne pouvons saisir la raison.
On aperçoit ainsi les limites de l'explication scientifique, et que le problème de la nature de la finalité est spécifiquement philosophique. A vouloir en effet penser la finalité, il faut reconnaître que le donné est organisé par l'esprit: la subordination apparente du présent au futur, que l'on constate dans la finalité, n'est compréhensible que si l'on admet le caractère illusoire du temps, que si l'on passe d'une finalité conçue dans son devenir à une finalité conçue dans un plan. Dès lors, la finalité se réduit à la subordination d'une multiplicité à une unité: mais c'est là le caractère même de l'esprit, qui est unité informant une multiplicité et, comme le dit Leibniz, perception. En ce sens, tout être vivant porte la marque de l'esprit: on peut y voir une "machine", c'est-à-dire un ensemble d'organes solidaires disposés en vue de fins, ou déjà, en quelque mesure, un "sujet".
La méthode génétique:
La méthode génétique fait intervenir la notion de temps, notion essentielle en biologie, la vie étant en état perpétuel d'évolution (il y a évolution de l'espèce et évolution de l'individu).
La biologie essaie donc de montrer comment, dans le temps, le multiple est sorti de l'un, comment la vie, à partir de la simple cellule, a évolué jusqu'à former les espèces actuellement observables. Ainsi, aux thèses fixistes qui, considérant les espèces animales comme immuables, tenaient pour irréductible leur diversité, s'opposent les théories transformistes, qui croient à l'évolution des espèces. Ces théories, du reste, différent lorsqu'il s'agit de déterminer les facteurs sous l'influence desquels l'évolution s'est opérée: les uns insistent sur l'influence du milieu et de l'adaptation (Lamark), d'autres sur la concurrence vitale et l'élimination des moins aptes (Darwin); le mutationnisme conçoit l'évolution comme s'opérant par changements brusques, par variations subites d'adaptation appelées mutations.
Le fixisme semble lié à la conception aristotélicienne qui voit dans le règne vivant un ensemble d'espèces, et les définit par leur essence éternelle. Avec Lamark s'introduit la notion de l'importance de l'individu: c'est lui qui subit l'influence du milieu, et s'y adapte. De même, chez Darwin, c'est l'individu qui lutte, combat, se maintient ou disparaît.
Conclusion:
En biologie, la raison fait effort afin de découvrir l'évolution des espèces et tente de se plier aux faits, de suivre le réel vivant en sa diversification: elle y éprouve la plus grande peine. Nous retrouvons ici la persévérance que fait l'esprit pour enserrer un réel toujours fuyant, toujours rebelle, et peut-être étranger à son essence.
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