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Néo-paganisme et idées d'extrême droite

Publié le 17/01/2022

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21 avril 2002 LA « RÉCUPÉRATION » par Jean-Marie Le Pen, au soir du 21 avril, de textes de Jean Paul II et de l'Evangile ( « N'ayez pas peur... Entrez dans l'espérance » ), ajoutée au culte de Jeanne d'Arc, « victime de l'alliance infâme des juges, des prêtres, des soldats étrangers » (Jean-Marie Le Pen, 1er mai 1997), et à la célébration de messes par des prêtres intégristes lors de manifestations du FN ne doivent pas faire illusion : il n'y a rien de plus étranger à la tradition chrétienne humaniste, à l'enseignement des papes et des Eglises de la Réforme que les thèses du Front national. Dès le lendemain du premier tour, les évêques et responsables protestants se sont mobilisés pour dénoncer l'imposture. Un courant catholique traditionaliste n'a jamais fait son deuil de la condamnation par Rome (1926) de Charles Maurras, son culte de la race, du chef, de l'ordre et de la nation, ou de l'échec de Vichy. C'est ce même courant qui puise, dans les idées de la contre- Révolution, de la contre-Réforme, de la contre-modernité, les éléments d'une rancune tenace contre la République « dévoyée » et la laïcité. Mais, en dépit d'une présence ostentatoire dans des églises conquises de force (Saint-Nicolas-du-Chardonnet à Paris) ou lors de pèlerinages nostalgiques de la chrétienté médiévale (Chartres), ces courants et réseaux n'ont plus qu'une existence marginale. Des ponts existent avec les « apparatchiks » de Jean-Marie Le Pen ou Bruno Mégret (Chrétienté-Solidarité, Elus catholiques et patriotes) mais, depuis le schisme avec Rome consommé en 1988 par Mgr Lefebvre, ce courant traditionaliste est dévoré par les dérives sectaires et les querelles intestines. L'examen du vote catholique est formel. Les politologues comme René Rémond ont établi une constante chez l'électeur catholique : plus celui-ci est un pratiquant régulier, intégré dans son Eglise, moins il a de chances de voter pour le Front national. Si l'électorat catholique « dans son ensemble » se distingue peu du corps électoral national, le taux des votes Le Pen est inversement proportionnel à celui de la pratique. Autrement dit, plus est forte l'inscription dans une tradition chrétienne, moins joue le vote Le Pen. A cet égard, au grand dam d'un Jean Madiran, idéologue du FN qui se plaignait, dans un livre de 1999, de l' « injustice » des évêques, l'enseignement de l'Eglise de France n'a pas varié depuis la bruyante mise en garde du cardinal Decourtray, exprimée en chaire dès 1985 : les thèses du Front national sont incompatibles avec l'Evangile et les valeurs chrétiennes. Alors faut-il brandir le spectre d'une néo-paganisation, dont l'expression politique serait l'exaltation de la préférence nationale, du culte du chef, du clan, de la nature et de la force, l'inégalité revendiquée des races, des peuples et des conditions, autant d'idées qui étaient répandues hier dans des cercles intellectuels (le Grece, le Club de l'Horloge) proches de l'extrême droite et très éloignés du christianisme ? Tous les sociologues de la religion et de la laïcité observent pourtant des phénomènes surprenants comme la montée des croyances dans l'astrologie ou la réincarnation (à laquelle adhère, selon les enquêtes, un Français sur cinq, notamment chez les plus jeunes), comme le succès des pratiques divinatoires (consultation des horoscopes, des voyants, des magnétiseurs) ou d'émissions télévisées ayant trait aux phénomènes surnaturels (OVNI, nouvelles planètes, etc.). Selon eux, l'ébranlement des certitudes religieuses, médicales, politiques alimente le terreau de l'« irrationnel », la montée des inquiétudes, des peurs alimentaires ou écologiques, et toute cette religiosité diffuse, déconnectée des Eglises, exploitée par les sectes et à forte connotation païenne, puisque l'un des traits dominants y est la soumission à la fatalité ( fatum ). Autrement dit, une forme de « réenchantement du monde » serait à l'oeuvre dans des pratiques crédules ou idolâtriques, où la mystique du chef, le ralliement à des formules péremptoires, le refus de tout métissage culturel et religieux, l'exaltation du « sacrifice » et de l' « ascèse » feraient seuls office d'engagement. HENRI TINCQ Le Monde du 4 mai 2002

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