Ne peut-on que désirer être heureux ?
Publié le 22/02/2012
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INTRODUCTION : Que peut-on désirer, raisonnablement, dans la vie, sinon d'être heureux ? Tout le monde recherche le bonheur, par les moyens les plus variés, mais tout le monde s'accorde à dire que le bonheur est la plus belle chose que l'on puisse désirer. Bien sûr, "tant qu'on a la santé", tout va bien. Mais une vie en bonne santé, mais sans plaisir, qui en voudrait ? Ainsi, même la santé est une condition du bonheur. Pourtant, nous ne sommes jamais assurés du bonheur. Il arrive que ce soit seulement après coup que nous réalisions que nous étions heureux (lorsque nous vivons une période difficile), ou encore que nous ne sachions pas comment retenir ce bonheur qui nous arrive, et qui nous coule entre les doigts, et annonce déjà sa fin. En sorte que nul ne sait s'il est heureux, avant la fin de sa vie. cf. Sophocle : pour savoir si un homme a été heureux dans sa vie, il faut attendre qu'il soit mort. Mais il ne peut plus alors nous le dire. On ne peut que désirer être heureux, car personne ne veut son malheur. Mais n'y a-t-il pas une tyrannie du bonheur, qui risque de nous rendre malheureux en nous forçant à chercher un état que nous n'atteignons peut-être jamais ? Personne ne peut être contraint à devenir heureux, mais on ne voit pas non plus ce que l'on pourrait désirer d'autre dans la vie. Ne peut-on que désirer être heureux ? 1) On ne peut pas désirer autre chose qu'être heureux. Il est absurde de désirer son malheur.
a) Le bonheur est l'état de plénitude de la vie, la fin de la vie humaine, car toute chose est en vue d'un bien --> eudémonisme d'Aristote. La vie heureuse est la vie raisonnable, contemplative. b) Tout le monde veut être heureux, quelle que soit la chose qu'il désire. Derrière tout désir particulier, il y a le désir universel du bonheur lui-même. Donc, fondamentalement, le désir est en vue du bonheur. Quand bien même, dans les faits, on ne parviendrait pas à être heureux. Ou quand bien même on semblerait ne chercher que son malheur. Pascal --> tout le monde recherche le bonheur, y compris celui qui va se pendre. Celui qui se suicide estime encore que mourir est la meilleure chose pour lui.
Conclusion : le bonheur est la seule chose que l'on désire, universellement et inconditionnellement. Le désir recherche le bonheur. En ce sens, le désir vise une plénitude. 2) Mais parvient-on jamais à être heureux ? Qui peut se dire véritablement heureux ? Le bonheur est peut-être un désir qui ne s'accomplit jamais.
a) Shakespeare, Le marchand de Venise : "peut-être n'y a-t-il de bonheur que médiocre ?" Critique de la médiocrité du bonheur. cf. Flaubert. Le bonheur est un idéal bourgeois. Il est plat, commun, dépourvu de grandeur. N'avons-nous pas mieux à désirer dans la vie que cet état de grosse satisfaction un peu bête ?... b) Si le désir vise le bonheur, le désir devrait cesser lorsqu'il atteint le bonheur. Mais cela ne se produit jamais. Le désir humain est insatiable. cf. Schopenhauer, Le Monde... §27 : le désir humain balance sans cesse de la souffrance à l'ennui. Souffrance quand le désir cherche son objet, dont le manque le fait souffrir ; ennui quand il obtient ce qu'il veut, et que, rassasié, il n'a plus rien à désirer.
Le désir, en tant qu'il désire ce qu'il n'a pas, est marqué par le manque. Comment pourrait-il atteindre le bonheur, qui est plénitude ? En réalité, il n'obtient que des satisfactions provisoires, qui le comblent un moment, avant que le besoin ne le domine à nouveau. N'avoir rien à désirer est en ce sens non le bonheur, mais une souffrance accrue. c) Critique du bonheur. Qui peut jamais définir ce qu'est le bonheur ? Il est relatif aux critères de chacun. L'un estimera qu'être heureux, c'est être riche. Ou en bonne santé. Ou d'être célèbre... Le bonheur est donc bien un idéal de l'imagination. cf. Kant. Le désir humain a peut-être une visée plus haute, qui dépasse la satisfaction de tendances (dites "pathologiques" par Kant). Le désir d'agir moralement, selon ce que la raison exige de moi, me constitue comme universel, mais ne m'assure pas du bonheur. Si je dois agir pour aider quelqu'un, je dois le faire quoi qu'il m'en coûte, et indépendamment de la satisfaction que ce geste me procure. Conclusion : Le bonheur est peut-être un objet des plus illusoires, un objet de désir par excellence, c'est à dire un objet aussi fortement désiré qu'indéfinissable. La recherche du bonheur risque surtout de nous abêtit, de nous faire souffrir, de nous détourner d'agir pour autrui. Le bonheur n'est pas un objet, et lorsque le désir le recherche, il nous conduit plutôt au malheur. 3) Désirer être heureux, ce n'est pas désirer obtenir un état comme on désire un objet. Le bonheur n'est pas un objet, mais la plénitude du désir. a) Nous avons supposé jusqu'ici que le désir visait le bonheur, comme si le bonheur était un objet, comme une voiture, la richesse, une femme... Dans ce cas, le désir manque à son objet (qu'il veut pourtant sans cesse) et, ne l'obtenant jamais, il nous rend immanquablement malheureux. Mais le bonheur ne se réduit pas à la satisfaction d'avoir obtenu ce qu'on voulait. Le bonheur n'est pas, à proprement parler, un besoin. On peut dire, en effet, que l'homme a besoin d'être heureux dans la vie. Mais il est plus juste de dire que le bonheur est justement la cessation du besoin. cf. l'ascèse chez Epicure, qui vise justement à s'en tenir aux plaisirs naturels et nécessaires, donc à nous délivrer de la dépendance aux plaisirs. Le bonheur est la liberté du désir, qui sait ne pas s'attacher aux choses.
b) On dit souvent que tout le plaisir est dans l'attente de l'objet désiré. cf. les cadeaux de Noël : on est un peu déçu au moment de les ouvrir, alors qu'auparavant, on pouvait librement fantasmer sur cet objet caché dans l'emballage. Mais la possession de l'objet volatilise le fantasme. Il est donc faux de distinguer le désir d'être heureux du bonheur lui-même. cf. Rousseau, Rêveries... V et cette ascèse de Jean-Jacques pour trouver la plénitude de la vie dans la nature, en rusant avec le besoin pour le fuir et goûter enfin le rythme de l'eau et de sa vie... c) On peut donc reprendre deux paradoxes sur le bonheur, dégagés par Alain (cf. Propos sur le bonheur). 1) D'une part, pour désirer être heureux, il faut déjà l'être. Il n'y a qu'un être entièrement malheureux qui ne chercherait même plus le bonheur. Mais est-ce seulement possible ? Et ne serait-ce pas encore une façon rusée de chercher le bonheur ?... 2) Ce n'est pas en cherchant le bonheur qu'on le trouvera. Car le bonheur n'est pas un objet. Donc il y a deux façons de rater son bonheur : c'est de le chercher (car alors c'est qu'il nous manque et c'est une pensée triste) et c'est de ne pas le chercher (car le bonheur n'est, en somme, rien d'autre que la recherche du bonheur). Conclusion : Le désir n'est pas, en son fond, désir d'un objet, mais puissance d'exister. Le désir ne manque de rien. Parvenir à être heureux, c'est justement parvenir à soustraire le désir au besoin. CONCLUSION : D'une part, en droit, on ne peut que désirer être heureux. Mais rien ne nous assure que, en fait, nous puissions vraiment l'être. Il est nécessaire de chercher le bonheur pour le trouver, car, à la limite, le bonheur est la recherche elle-même. Mais cela ne suffit pas, car le bonheur semble un don qui nous est accordé, une grâce qui nous parvient au moment où nous ne nous y attendons pas. Il est éphémère, étonnant, magique. Dans le bonheur, le désir s'efforce donc de désirer tout en acceptant de renoncer à lui-même. "Il est très difficile de trouver le bonheur en soi-même, et impossible de le découvrir ailleurs" (Chamfort).
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