Méfaits de la presse Honoré de BALZAC - Texte seul
Publié le 24/03/2020
Extrait du document
Méfaits de la presse
Honoré de BALZAC
• • • •
1799 - 1850
Illusions perdues (1837-1843)
La scène se passe dans les années 1822. Un dîner réunit plusieurs journalistes : Claude Vignon, Etienne Lousteau, Emile Blondet ainsi que le directeur du journal, Finot... (Ce sont quelques-uns des personnages du roman Illusions perdues).
— L’influence et le pouvoir du journal n’est qu’à son aurore, dit Finot, le journalisme est dans l’enfance, il grandira. Tout, dans dix ans d’ici, sera soumis à la publicité. La pensée éclairera tout, elle...
— Elle flétrira tout, dit Blondet en interrompant Finot.
5 — C’est un mot, dit Claude Vignon.
- Elle fera des rois, dit Lousteau.
— Et défera les monarchies, dit le diplomate.
— Aussi, dit Blondet, si la Presse n’existait point, faudrait-il ne pas l’inventer; mais la voilà, nous en vivons.
10 - Vous en mourrez, dit le diplomate. Ne voyez-vous pas que la
supériorité des masses, en supposant que vous les éclairiez, rendra la grandeur de l’individu plus difficile ; qu’en semant le raisonnement au cœur des basses classes, vous récolterez la révolte, et que vous en serez les premières victimes. Que casse-t-on à Paris quand il y a une émeute ?
15 — Les réverbères, dit Nathan; mais nous sommes trop modestes
pour avoir des craintes, nous ne serons que fêlés.
— Vous êtes un peuple trop spirituel pour permettre à quelque gouvernement que ce soit de se développer, dit le ministre. Sans cela vous recommenceriez avec vos plumes la conquête de l’Europe que 20 votre épée n’a pas su garder.
— Les journaux sont un mal, dit Claude Vignon, On pouvait utiliser ce mal, mais le gouvernement veut le combattre. Une lutte s’ensuivra. Qui succombera ? voilà la question.
— Le gouvernement, dit Blondet, je me tue à le crier. En France, 25 l’esprit est plus fort que tout, et les journaux ont, de plus que l’esprit de tous les hommes spirituels, l’hypocrisie de Tartufe.
— Blondet ! Blondet, dit Finot, tu vas trop loin : il y a des abonnés ici.
- Tu es propriétaire d’un de ces entrepôts de venin, tu dois avoir
«
CULTURE ET MODERNITÉ
peur; mais moi je me moque de toutes vos boutiques, quoique j'en vive!
30 - Blondet a raison, dit Claude Vignon.
Le Journal au lieu d'être
un sacerdoce est devenu un moyen pour les partis; de moyen, il s'est
fait commerce; et comme tous
les commerces, il est sans foi ni loi.
Tout journal est, comme
le dit Blondet, une boutique où l'on vend au
public des paroles de la couleur
dont il les veut.
S'il existait un journal
35 des bossus, il prouverait soir et matin la beauté, la bonté, la nécessité
des bossus.
Un journal n'est plus fait pour éclairer, mais pour flatter les
opinions.
Ainsi, tous les journaux seront dans un temps donné, lâches,
hypocrites, infâmes, menteurs, assassins;
ils tueront les idées, les sys
tèmes, les hommes, et fleuriront par cela même.
Ils auront le bénéfice
40 de tous les êtres de raison: le mal sera fait sans que personne en soit
coupable.
Je serai moi Vignon, vous serez toi Lousteau, toi Blondet, toi
Pinot, des Aristide, des Platon, des Caton, des hommes de Plutarque;
nous serons tous innocents, nous pourrons nous laver
les mains de
toute infamie.
Napoléon a donné la raison de
ce phénomène moral ou
45 immoral, comme il vous plaira, dans un mot sublime que lui ont dicté
ses études sur la Convention : Les crimes collectifi n'engagent personne.
Le
journal peut se permettre la conduite la plus atroce, personne ne s'en
croit sali personnellement.
Mais
le pouvoir fera des lois répressives, dit Du Bruel, il en pré-
50 pare.
Bah! que
peut la loi contre l'esprit français, dit Nathan, le plus
subtil de tous
les dissolvants.
-
Les idées ne peuvent être neutralisées que par des idées, reprit
Vignon.
La terreur, le despotisme peuvent seuls étouffer
le génie fran-
55 çais dont la langue se prête admirablement à l'allusion, à la double
entente.
Plus la loi sera répressive, plus l'esprit éclatera, comme la vapeur
dans une machine
à soupape.
;;Après avoir classé les antithèses de l'ensemble du texte, montrez qu'elles illustrent
~eux façons opposées de concevoir le rôle du journal.
• .Quels soht
les indices qui, dans ce passage, permettent de supposer l'attitude de
Balzac à l'égard de la presse? 1 • Quels procédés, dans le style et la structure narrative, confèrent à ce passage le
· ~ynamisme et la vérité de la vie?
•.
Dans un développement organisé, faites-vous le défenseur de la liberté de la presse.
~ Groupement de textes: voir 22 -24.
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48.
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