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Mao, l'homme qui a refait la Chine

Publié le 17/01/2022

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1er octobre 1949 - Dans le raccourci d'une vie, l'aventure de Mao Zedong déroule le film prodigieux des révolutions de la Chine contemporaine. Par sa naissance en 1893, il plonge encore dans la vieille Chine impérialiste. Sa prime jeunesse en voit l'ébranlement avec la guerre sino-japonaise (1895), la révolte des Boxers (1900) et le partage du pays par les Occidentaux. A dix-neuf ans, il acclame la république de Sun Yat-sen. A trente-quatre ans, il commence son long combat contre la dictature de Tchiang Kaï-Chek. A cinquante-six ans, enfin, le voilà à la tête d'une Chine qu'il a conquise au communisme. " Le petit paysan qui voulait être instituteur ", tel pourrait être le premier chapitre de sa biographie. Mao naquit le 26 décembre 1893 à Chaochan, petit village au milieu des rizières du Hounan, province de la Chine centrale. Son père était un ancien soldat redevenu paysan. Il voulait faire de son garçon un paysan comme lui-même et ses deux autres fils. A l'école du village, Mao avait pris le goût de préférer les livres à la charrue. Il entra à l'école secondaire de Changsha, capitale de la province, où soufflaient alors les vents de la modernisation et du " savoir occidental ". Mao désertait la classe pour la bibliothèque municipale, où il lisait en traduction de passionnants auteurs : Darwin, Rousseau, Spencer, Stuart Mill et d'autres encore. Il a conté plus tard comment il hésita, pour faire carrière, entre l'académie de police, la savonnerie et l'institut du commerce, avant de se présenter enfin à l'école normale de Changsha, où il fut reçu brillamment : on afficha sa copie d'examen. Il y passa cinq années, de 1913 à 1918; il acheva sa mutation de paysan en intellectuel. Il partageait ses études entre la vieille culture chinoise et les idées occidentales qui agitaient profondément la Chine : libéralisme, socialisme, nationalisme. Déjà épris d'action, il fonda parmi ses camarades, un petit groupe d'avant-garde comme il en naissait beaucoup à l'époque, sous l'égide d'une revue progressiste de Pékin, la Jeunesse. La découverte du marxisme, c'est le chapitre deuxième de sa vie. La scène avait changé. A vingt-cinq ans, diplômé de son école normale, le jeune provincial, avec d'autres Hounanais, était " monté " à Pékin. La capitale en cette année 1918 bouillonnait d'idées neuves et entendait les échos des bouleversements européens : révolution russe, paix de Versailles. Mao eut de nouveau une bibliothèque comme lieu d'élection, mais cette fois-ci il en était le bibliothécaire adjoint-adjoint d'un homme qui allait être l'un des fondateurs du Parti communiste chinois. Li Ta-chao. Une deuxième influence s'exerça sur lui, celle de Chen Tu-hsiu, directeur de la revue la Jeunesse, et bientôt, lui aussi, un des fondateurs du PC. La naissance du parti eut lieu en 1921, à Changhaï, en juillet : Mao, qui avait vingt-huit ans et s'était converti au marxisme l'année d'avant, était parmi la douzaine d'hommes qui créaient en secret le nouveau parti. Ce fut bientôt l'époque où celui-ci, dans ses débuts incertains, pratiquait, avec la bénédiction des conseillers soviétiques qui arrivaient de Moscou, une politique de collaboration avec le Kouomintang (Parti du peuple et du pays) dont la vedette allait être un général ambitieux, nommé Tchiang Kaï-Chek. Revenant en 1925 dans sa province natale du Hounan, Mao y faisait une découverte, ou redécouverte : il se retrouvait une âme de paysan. L'action révolutionnaire en milieu rural commença à le passionner, à lui découvrir de vastes perspectives. En sandales, un casque colonial sur la tête, il parcourait à pied les campagnes. Il allait tirer de cette expérience un rapport fameux sur les paysans du Hounan, publié en 1927, qui faisait de lui le champion d'une révolution par la paysannerie, contre les thèses " ouvriéristes " du parti, soutenues par Moscou. Un drame cruel vint soudain donner toute sa valeur à la thèse de Mao. En avril 1927, le général Tchiang Kaï-Chek, remontant de Canton vers le Nord dans une campagne victorieuse pour unifier le pays, parvint à Changhaï, et, soudain, trahissant brutalement ses alliés communistes, il fit massacrer dans cette ville, et bientôt dans d'autres cités à travers le pays, les travailleurs organisés par le parti. Celui-ci perdait d'un seul coup ses bases urbaines et une bonne partie de ses cadres. Que faire, sinon se rabattre sur la révolution paysanne ? Mao, après avoir été désarmé pour un temps par les autorités du parti et du Komintern, devint à trente-quatre ans une sorte de chef de rebelles et de paysans dans les montagnes, aux confins du Hounan et du Kiangsi proche du sud de la Chine. Il fut élu président d'un " gouvernement des soviets chinois ". Plusieurs futurs chefs de la révolution l'avaient rejoint dont Zhu De, autour duquel naissait l'armée rouge. Le Kiangsi devint le premier laboratoire expérimental du communisme chinois. Dans cette expérience de sept années se dessina le programme qui devait mener Mao Zedong au pouvoir : guérilla appuyée sur la population, distribution des terres, front uni avec les bourgeois qui collaborent, propagande politique intense, etc. Pour Tchiang Kaï-Chek, l'abcès du Kiangsi apparaissait plus préoccupant que l'invasion de la Mandchourie par les Japonais, survenue en 1931. Tandis qu'avec ceux-ci il signait un armistice, il monta contre les " rouges " une série d'expéditions qui furent autant d'échecs. A la cinquième, cependant les communistes, assiégés dans leurs montagnes, se trouvèrent tout de même en grave péril. Mao et les siens décidèrent alors la percée et, par un plan d'une audace incroyable, la migration de tout leur peuple communiste jusqu'à l'autre bout de la Chine, au Nord-Ouest, choisi pour sa position stratégique favorable. Ce fut l'épopée de la Longue Marche, une marche d'une année entière qui ne fut qu'une longue bataille, sur un parcours de 9000 kilomètres. Mao fit une grande partie de la route à pied. Parfois il montait un poney blanc. Zhu De une mule rousse. En fin de voyage, l'épuisement était général. Cent mille avaient pris le départ: ils étaient vingt mille à l'arrivée, à l'automne de 1935. Mao et ses compagnons-dont Zhou Enlai, Liu Shaoqi et bien d'autres, déjà choisis par l'histoire-s'installèrent à Yernan dans des sortes de grottes troglodytiques taillées dans le loess par les paysans pauvres. Après tant de souffrances, c'était un moment quasi idyllique de la révolution. Un deuxième laboratoire du communisme prenait corps, la petite république communiste et rurale de la province du Shensi. Mao, qui avait perdu sa première femme-la fille d'un de ses professeurs d'autrefois, épousée à Pékin et que le Kouomintang avait exécutée,-s'était remarié avec une institutrice communiste. Il formait les cadres du parti. Il élaborait dans de nombreux écrits et rapports l'essentiel de ses thèses, sur la guerre révolutionnaire, la dictature démocratique du peuple, l'art et la littérature socialistes, etc. Edgar Snow, le journaliste américain qui le " découvrit " à Yenan en 1936, a brossé un frappant tableau de ce Mao Zedong de quarante-cinq ans, à la fois paysan, stratège militaire, politique de génie, théoricien et homme d'action. Avec la simplicité et le naturel du villageois, avec le parler tout simple éclairé d'un rire rustique, se combinaient un esprit incisif, une profonde connaissance de l'histoire de son pays, une érudition de lecteur " omnivore " couronnée par une culture de lettré chinois accompli. A Yenan, le climat était encore à la modération, à tel point que certains observateurs s'y trompaient et prenaient les communistes chinois pour de simples réformateurs agraires. C'est que le régime de Yenan, pour se consolider, voulait rassurer, et cherchait aussi à faire l'union des Chinois devant le péril japonais grandissant. De Mandchourie, en effet, les Japonais s'apprêtaient à conquérir toute la Chine. Les communistes appelaient à la résistance. Tchiang Kaï-Chek se dérobait, jusqu'au jour où le fameux " incident de Sian " -quand un de ses lieutenants le mit en état d'arrestation-lui arracha son consentement au front commun antijaponais. Il était temps : un an après, en juillet 1937, les armées nippones déferlaient en masse sur le pays. Non sans des ruptures et des rivalités incessantes entre les communistes et Tchiang Kaï-Chek-le front commun allait durer jusqu'à la victoire de 1945 sur le Japon. Mais la guerre usait les forces de Tchiang et ruinait la Chine, tandis que les territoires contrôlés par les communistes s'agrandissaient et que s'accroissait leur prestige. Au lendemain de la victoire, Patrick Hurley, puis le général Marshall, ambassadeurs de Roosevelt en Chine, tentèrent de réconcilier Tchiang et Mao et de faire fonctionner un gouvernement de coalition. Vains efforts : en juillet 1946 éclatait une guerre civile à grande échelle, où le Kouomintang, pourri, était partout perdant. Au début de 1948, c'était enfin l'offensive générale de l'armée populaire de libération, qui, à travers une Chine épuisée par l'inflation et la corruption, s'avança dans une marche victorieuse du nord au sud; prise de Pékin en décembre, de Nankin et de Changhaï en été 1949, de la Chine du Sud en fin d'année. Et le 1er octobre, à Pékin, du haut des murs de l'ancienne cité impériale, Mao Zedong proclamait la naissance de la République populaire de Chine, devant une foule délirante qui lui souhaitait " dix mille années ". 1950, tournant d'une vie, tournant d'un siècle : Mao Zedong est au pouvoir, et la Chine populaire entre en scène. Du coup, la légende de Mao commence et son histoire personnelle s'estompe : elle se confond avec l'histoire même de la révolution. Son rôle se dérobe derrière les décisions collectives, et sa vie privée s'entoure de secrets. Retentissante sur la doctrine, la propagande est muette sur sa personne. Son troisième mariage avec une actrice de cinéma, le nombre de ses enfants-il en aurait eu en tout six ou sept,-leur situation-un fils ingénieur, dit-on, une fille étudiante, un fils aîné pilote de chasse et tué aux premiers jours de la guerre de Corée,-le lieu de sa résidence, etc, tout cela n'a pas à être connu de la masse. La plupart des Pékinois ignorent qu'il a un logis dans l'enceinte occidentale de l'ancien palais impérial. Nul ne sait quand il y est. On sait seulement qu'il voyage fréquemment dans les provinces, fait des séjours à Changhaï, aime vivre à Hangchow, la cité au décor " vielle Chine ". Parfois il semble disparu de la scène. Le bruit court qu'il est malade. Il reparaît soudain pour quelque cérémonie, et la multitude peut voir qu'il est robuste, hâlé, souriant-semblable à son portrait, qui est sur tous les murs et dans tous les foyers, rond, bonasse, marqué au menton de la verrue des vieux sages. Si les faits et gestes de Mao demeurent voilés de mystère, il ne fait pas de doute que rien au sommet ne se fait sans lui, ni contre lui. Au demeurant, sa personnalité est telle que toute une série d'événements, de mouvements, de décisions, portent sa marque. Pour commencer, c'est lui qui, au lendemain de la conquête du pouvoir, impose aussitôt à la révolution un rythme rapide et une ligne dure, alors que les Chinois croyaient à la pause et le monde à une révolution accommodante. Non pas : la Chine entre pour une période indéfinie dans une révolution permanente. Et si la " dictature démocratique du peuple " instaurée par Mao donne une place aux bourgeois et aux capitalistes repentis, elle n'en est pas moins une dictature. Elle entreprend de détruire sans pitié les anciennes classes. En politique extérieure, aussi, Mao rejette les positions moyennes et la neutralité dans la guerre froide. Dès 1950, il dénonce les Etats-Unis comme l'ennemi, et annonce : " Nous penchons d'un seul côté " -du côté de l'URSS. Deux mois après la " libération " en décembre 1949, il est à Moscou (c'est la première fois qu'il sort de Chine), et il signe le 14 février 1950 la fameuse alliance sino-russe. Pour aller plus vite, il invite toute la Chine à s'inspirer des modèles russes. La guerre de Corée est utile : elle excuse une répression draconienne et suscite en faveur du régime un orgueil patriotique, les Chinois étant fiers de tenir tête aux Etats-Unis. Mais, dès que Staline est mort, Mao se prête à l'armistice (juin 1953), pour revenir aux tâches urgentes de la paix. ALAIN BOUC, ROBERT GUILLAIN Le Monde du 10 septembre 1976

« l'invasion de la Mandchourie par les Japonais, survenue en 1931.

Tandis qu'avec ceux-ci il signait un armistice, il monta contre les" rouges " une série d'expéditions qui furent autant d'échecs.

A la cinquième, cependant les communistes, assiégés dans leursmontagnes, se trouvèrent tout de même en grave péril. Mao et les siens décidèrent alors la percée et, par un plan d'une audace incroyable, la migration de tout leur peuple communistejusqu'à l'autre bout de la Chine, au Nord-Ouest, choisi pour sa position stratégique favorable.

Ce fut l'épopée de la LongueMarche, une marche d'une année entière qui ne fut qu'une longue bataille, sur un parcours de 9000 kilomètres.

Mao fit unegrande partie de la route à pied. Parfois il montait un poney blanc.

Zhu De une mule rousse.

En fin de voyage, l'épuisement était général.

Cent mille avaient prisle départ: ils étaient vingt mille à l'arrivée, à l'automne de 1935. Mao et ses compagnons-dont Zhou Enlai, Liu Shaoqi et bien d'autres, déjà choisis par l'histoire-s'installèrent à Yernan dansdes sortes de grottes troglodytiques taillées dans le loess par les paysans pauvres.

Après tant de souffrances, c'était un momentquasi idyllique de la révolution.

Un deuxième laboratoire du communisme prenait corps, la petite république communiste et ruralede la province du Shensi.

Mao, qui avait perdu sa première femme-la fille d'un de ses professeurs d'autrefois, épousée à Pékin etque le Kouomintang avait exécutée,-s'était remarié avec une institutrice communiste.

Il formait les cadres du parti.

Il élaboraitdans de nombreux écrits et rapports l'essentiel de ses thèses, sur la guerre révolutionnaire, la dictature démocratique du peuple,l'art et la littérature socialistes, etc. Edgar Snow, le journaliste américain qui le " découvrit " à Yenan en 1936, a brossé un frappant tableau de ce Mao Zedong dequarante-cinq ans, à la fois paysan, stratège militaire, politique de génie, théoricien et homme d'action.

Avec la simplicité et lenaturel du villageois, avec le parler tout simple éclairé d'un rire rustique, se combinaient un esprit incisif, une profondeconnaissance de l'histoire de son pays, une érudition de lecteur " omnivore " couronnée par une culture de lettré chinois accompli. A Yenan, le climat était encore à la modération, à tel point que certains observateurs s'y trompaient et prenaient lescommunistes chinois pour de simples réformateurs agraires.

C'est que le régime de Yenan, pour se consolider, voulait rassurer, etcherchait aussi à faire l'union des Chinois devant le péril japonais grandissant. De Mandchourie, en effet, les Japonais s'apprêtaient à conquérir toute la Chine.

Les communistes appelaient à la résistance.Tchiang Kaï-Chek se dérobait, jusqu'au jour où le fameux " incident de Sian " -quand un de ses lieutenants le mit en étatd'arrestation-lui arracha son consentement au front commun antijaponais.

Il était temps : un an après, en juillet 1937, les arméesnippones déferlaient en masse sur le pays. Non sans des ruptures et des rivalités incessantes entre les communistes et Tchiang Kaï-Chek-le front commun allait durerjusqu'à la victoire de 1945 sur le Japon.

Mais la guerre usait les forces de Tchiang et ruinait la Chine, tandis que les territoirescontrôlés par les communistes s'agrandissaient et que s'accroissait leur prestige. Au lendemain de la victoire, Patrick Hurley, puis le général Marshall, ambassadeurs de Roosevelt en Chine, tentèrent deréconcilier Tchiang et Mao et de faire fonctionner un gouvernement de coalition.

Vains efforts : en juillet 1946 éclatait une guerrecivile à grande échelle, où le Kouomintang, pourri, était partout perdant.

Au début de 1948, c'était enfin l'offensive générale del'armée populaire de libération, qui, à travers une Chine épuisée par l'inflation et la corruption, s'avança dans une marchevictorieuse du nord au sud; prise de Pékin en décembre, de Nankin et de Changhaï en été 1949, de la Chine du Sud en find'année.

Et le 1 er octobre, à Pékin, du haut des murs de l'ancienne cité impériale, Mao Zedong proclamait la naissance de la République populaire de Chine, devant une foule délirante qui lui souhaitait " dix mille années ". 1950, tournant d'une vie, tournant d'un siècle : Mao Zedong est au pouvoir, et la Chine populaire entre en scène.

Du coup, lalégende de Mao commence et son histoire personnelle s'estompe : elle se confond avec l'histoire même de la révolution.

Son rôlese dérobe derrière les décisions collectives, et sa vie privée s'entoure de secrets. Retentissante sur la doctrine, la propagande est muette sur sa personne.

Son troisième mariage avec une actrice de cinéma, lenombre de ses enfants-il en aurait eu en tout six ou sept,-leur situation-un fils ingénieur, dit-on, une fille étudiante, un fils aîné pilotede chasse et tué aux premiers jours de la guerre de Corée,-le lieu de sa résidence, etc, tout cela n'a pas à être connu de la masse.La plupart des Pékinois ignorent qu'il a un logis dans l'enceinte occidentale de l'ancien palais impérial.

Nul ne sait quand il y est. On sait seulement qu'il voyage fréquemment dans les provinces, fait des séjours à Changhaï, aime vivre à Hangchow, la cité audécor " vielle Chine ".

Parfois il semble disparu de la scène.

Le bruit court qu'il est malade.

Il reparaît soudain pour quelquecérémonie, et la multitude peut voir qu'il est robuste, hâlé, souriant-semblable à son portrait, qui est sur tous les murs et dans tous. »

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