Lionel Jospin au bonheur de Matignon
Publié le 17/01/2022
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intellectuelle.
Il mène une vie très saine où, certes, les temps de travail sont lourds.
Mais il sait aussi se ménager des temps dedétente." Ses proches insistent surtout sur son état d'esprit.
"La vérité, résume Claude Allègre, son vieux complice devenuministre de l'éducation nationale, c'est qu'il prend à tout cela un plaisir formidable." "Je crois, reprend Daniel Vaillant, qu'il est plusheureux aujourd'hui qu'il ne l'a jamais été dans sa vie."
Cet allant dans l'exercice du pouvoir, l'habileté, aussi, dans l'action, valent au premier ministre une forme de respect au sein dela gauche "plurielle".
Cela lui permet, en retour, de jouir d'une autorité politique suffisante pour imposer aux différentescomposantes de sa majorité des réformes dont elles ne veulent pas forcément.
Ainsi, le Parti communiste consent à desprivatisations qui le hérissent, tout comme Jean-Pierre Chevènement s'accommode d'un pacte de stabilité monétaire dans la lignéede ce traité de Maastricht qu'il a tant combattu, tandis que les Verts supportent des lois restrictives sur l'immigration.
En faisant dupremier ministre, de sa personnalité et de sa démarche leur point de ralliement, tous ces partis de la gauche "plurielle" acceptent,peu ou prou, de se fondre dans un ensemble plus vaste, "jospiniste" plutôt que "socialiste ".
Pour avoir exprimé assez crûmentcette vérité à La Rochelle, en août 1998 - "Le gouvernement est, je le ressens tous les jours, un des lieux privilégiés de cettesynthèse politique nouvelle" -, Lionel Jospin avait déclenché les protestations de ses alliés.
Depuis cet épisode, plus personne neparle de cette mécanique d'intégration de la gauche "plurielle" qui, pourtant, continue son oeuvre.
Elle emporte d'ailleurs une conséquence évidente : nul autre que l'actuel premier ministre ne peut prétendre, aujourd'hui,représenter la gauche lors de la campagne présidentielle.
Une évidence que le titulaire de Matignon s'abstient d'évoquer.
"Saculture est davantage parlementaire que présidentialiste, juge Pierre Moscovici.
Il est très concentré sur la législature en cours etne la vit pas comme l'antichambre d'autre chose." Là encore, Olivier Schrameck valide l'analyse, en usant d'une premièrepersonne du pluriel qu'autorise un partenariat éprouvé entre les deux hommes depuis dix ans : "Notre action ici trouve en elle-même sa propre fin." Malgré tout, le premier ministre mesure que, s'il veut inscrire l'action engagée voilà deux ans dans la durée,parachever la construction d'une gauche "plurielle", dont il se dit volontiers fier, sa candidature à l'Elysée est inéluctable.
Dans lecas contraire, il donnerait presque à coup sûr le sentiment d'abandonner un chantier avant sa conclusion.
Ce qui, à en croire ceuxqui le pratiquent depuis longtemps, ne correspond pas à l'idée que l'homme s'est toujours faite de la politique et de sesresponsabilités.
Pour l'instant, le premier ministre affecte surtout de montrer qu'il ne nourrit aucun complexe vis-à-vis du président de laRépublique, avec lequel il "cogère" la situation au Kosovo.
Il a trop observé la torture infligée par François Mitterrand à JacquesChirac, premier ministre entre 1986 et 1988, pour se laisser paralyser, à son tour, par la fonction présidentielle.
"La dialectiquedominant-dominé, je connais", a-t-il lâché un jour.
De fait, dès que l'hôte de l'Elysée empiète sur ce que lui, chef dugouvernement, estime être son territoire, il cogne.
Le partage de leurs prérogatives, les 35 heures, la Corse plus récemment ontfourni autant de sujets de friction.
A chaque fois, Lionel Jospin manifeste la satisfaction virile de l'ancien sportif qu'il est d'avoirlivré et, de son point de vue, remporté ces combats sur l'adversaire.
Parfois Lionel Jospin oublie l'humilité qui fait sa force.
Le 28 avril, s'exprimant pour la première fois à l'Assemblée nationale surune sombre histoire de paillote incendiée dans la baie d'Ajaccio, il fabrique une de ces phrases qui sauvaient les politiciens il y avingt ans.
"Ces événements, juge-t-il, sont bien une affaire de l'Etat, mais ce n'est pas une affaire d'Etat." Hélas, le soir du 3 mai, à20 h 30, le directeur de son cabinet pousse la porte de son bureau pour lui annoncer l'imminence de la garde à vue du préfet deCorse, Bernard Bonnet.
"J'ai reçu la nouvelle comme un choc", a raconté plus tard le premier ministre, convaincu jusqu'alors parles serments d'innocence répétés du préfet.
Il comprend, en tout cas, que la finasserie n'est plus de mise.
Rejoint illico par Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, le voici dans son bureau, avec Olivier Schrameck, à chercher la parade.
Dans l'instant, Lionel Jospin n'en voit qu'une : il faut suspendre le préfet de Corse, l'abandonner aux décisions que prendront lesjuges.
C'est d'ailleurs conforme à la philosophie de son action gouvernementale, empreinte de cette forme particulière de vertupublique qui affirme garantir l'indépendance de l'autorité judiciaire.
Olivier Schrameck est d'accord, pas Jean-PierreChevènement.
Pour lui, Bernard Bonnet a témoigné d'un véritable esprit républicain en acceptant la succession de ClaudeErignac, assassiné dans l'île.
Dès lors, il convient de le défendre.
Ce soutien lui paraît d'autant plus nécessaire que l'ensemble ducorps préfectoral, assure-t-il, observe l'attitude des responsables politiques.
Au demeurant, ajoute le ministre, Bernard Bonnet,qui nie toujours les faits, doit bénéficier de la présomption d'innocence.
La discussion entre les deux hommes est âpre, serrée, mais le premier ministre maintient sa décision.
Vers 23 heures, il appellele président de la République pour l'informer de son souhait de "mettre fin aux fonctions en Corse du préfet Bonnet".
JacquesChirac acquiesce et l'Hôtel Matignon officialise la nouvelle aux alentours de 23 h 30.
"Ce fut très douloureux", dira par la suiteLionel Jospin.
Le lendemain, 4 mai, lors d'une séance d'explication sur TF 1, il avouera sa "blessure" aux Français d'avoirdécouvert ainsi la vérité.
Visiblement, l'opinion a apprécié sa sincérité.
Quant à Lionel Jospin, il a peut- être puisé dans cetteséquence matière à réflexion sur le retour des vieux démons..
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