L'Ingénu De Voltaire
Publié le 21/07/2010
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s'autocritiquer et à revoir leur rapport aux textes sacrés, car comme le mentionne Jacques Van Den Heuvel, dansVoltaire dans ses contes : «L'honnêteté foncière va de pair chez l'Ingénu avec la rectitude intellectuelle.
Il estexempt de ces petits calculs, de ces compromissions qui font l'ordinaire de la vie civilisée [11]».
Néanmoins, acquérirla faculté du discernement et de la pensée critique n'est pas chose facile comme le témoigne le parcours del'Ingénu.
C'est par la confrontation des idées , la lecture des livres de sciences et de philosophie et lesconversations avec un esprit éclairé que l'on arrive à faire table rase des idées préconçues en quittant le monde des«ignorants» pour accéder au monde des «âmes exercées».
Bien évidemment, la tentative du Huron d'éclairer lalanterne de ses compatriotes par ses discours très critiques envers la société ne sera nullement du goût du clergéqui y voit une manière de libérer le peuple du joug de la religion.
Mais, Voltaire ne s'arrêtera pas uniquement à ladénonciation de la manipulation des textes sacrés, il ira beaucoup plus loin en s'attaquant à l'intolérance religieuseet montrer la vraie face de ceux qui sont censés prêcher la parole de Dieu et des dirigeants.
LA CRITIQUE RELIGIEUSE ET POLITIQUE
C'est dans le conflit entre, d'un côté, les protestants et les catholiques et, de l'autre, entre les jansénistes et lesjésuites que Voltaire s'appuie pour dénoncer le rejet et les persécutions dont les minorités religieuses font l'objet.
Eneffet, dès les toutes premières pages du conte, le personnage principal mentionne dans ses dialogues l'existenced'un groupe qui a dû s'enfuir pour se protéger de la répression religieuse «J'ai trouvé en arrivant à Plymouth un devos Français refugiés que vous appelez huguenots [12]», dira-t-il.
Cela fait référence aux protestants qui se sontenfuis de la France pendant le règne de Louis XIV.
Toutefois, ce n'est qu'à travers la rencontre de l'Ingénu avec lesvictimes et les discussions qui s'en ont suivies que nous pouvons nous apercevoir de l'étendue de leur souffrance.
«Nous abandonnons nos douces campagnes, nous fuyons notre patrie [13]», se plaignent-ils.
En effet, persécutés,opprimés torturés et tués, les survivants sont condamnés à l'exil vers d'autres lieux plus hospitaliers à l'image del'Angleterre.
P.G Castex qui reprend un texte dû à d'Alambert dans son livre Voltaire Micromégas, Candide, L'ingénuécrit :«Enfin, ce qui a mis le comble à la puissance et à la gloire de la société, c'est sous Louis XIV que les Jésuites sontparvenus à détruire ou du moins à opprimer en France les protestants et les jansénistes, leurs ennemis éternels : lesprotestants, en contribuant à la révocation de l'Édit de Nantes, cette source de dépopulation et de malheurs pour leroyaume ; les jansénistes, en les privant des dignités ecclésiastiques, en armant les évêques contre eux, en lesforçant d'aller prêcher et écrire dans les pays étrangers, où même ces infortunés trouvaient encore la persécution[14]».Ce tableau sombre de la situation renseigne éloquemment sur l'intolérance religieuse qui prévaut à cette époque.Aucune forme de différence n'est acceptée et toute forme de velléité envers l'Église catholique est fortementréprimandée.
Comme le soutient André Versailles, dans Voltaire, un intellectuel contre le fanatisme : « Marqued'incorruptibilité morale, l'intolérance demeure pour les zélés la gardienne de l'orthodoxie indispensable à laperpétuation de la vérité de l'Église dont l'enseignement doit être, à l'instar de Dieu, éternelle et immuable [15]».Ainsi, toutes les raisons étaient bonnes et les arguments les plus iniques avancés pour casser toute dynamiqued'opposition.
La déclaration d'un religieux jésuite disant qu' «ils sont plus dangereux que les huguenots et les athées[16]» laisse imaginer le fossé qui s'est creusé entre les groupes et la légitimation des sévices qui tombent sur lesprotestants et les jansénistes.
Pourtant, ceux qui sont à la tête de ce conflit et qui l'entretiennent assidument nesont pas en réalité aussi saints qu'ils le laisser paraître.
On apprend au fil du texte que le révérend père de la chaise«était avec mademoiselle du Tron [17]», que «le prélat était enfermé avec la belle madame de Lesdiguières pour lesaffaires de l'Église [18]» ou que « l'évêque de Meaux examinait avec mademoiselle de Mauléon l'amour mystique demadame Guyon [19]».
Par ces révélations, Voltaire fustige la débauche et le libertinage sexuel des personnes quisont censés incarner et sauvegarder les valeurs de l'Église.
Et, pour mieux ironiser ce qui se passe entre les quatremurs, il n'hésite pas à utiliser plusieurs fois le terme « affaires» afin de mettre en relief toute la nébuleuse et lecaractère louche entre les hommes de l'Église et les belles femmes de la société.
Mlle Saint-Yves, l'amour del'Ingénu, l'apprendra à ses dépens lorsqu'elle décide de demander la libération de son amoureux.
Sa rencontre avecle père Tous-à-Tous, guide spirituel et confesseur du roi est la parfaite illustration de cette hypocrisie de la sociétéet de la religion.
Ce «directeur de conscience» tente ouvertement de l'encourager à commettre l'adultère afind'obtenir l'élargissement de son amour.
Pire, c'est à travers des références religieuses, «par des argutiesscolastiques, par des subtilités de raisonnement dont Pascal a déjà dénoncé le vice profond [20]», qu'il essaie depersuader la jeune fille à commettre l'acte qui causera plus tard sa mort : « soyez sûre ma fille, que quand unjésuite vous cite saint Augustin, il faut que ce saint ait réellement raison[21]», « les actions ne sont pas d'unemalice de coulpe quand l'intention est pure [22]».
Si les religieux peuvent user d'autant d'influence sur la population,c'est qu'ils jouissent du soutien de la cour et du pouvoir en place.
En effet, l'image que donne l'Ingénu donne de lacour et surtout de son roi Louis XIV, c'est celle d'un roi soumis à l'influence maléfique des Jésuites, détourné par euxde la vérité.
Les arrestations arbitraires, l'emprisonnement, les abus de pouvoir, etc.
ne sont pas seulement ciblésvers ceux qui ne partagent pas les mêmes croyances religieuses, mais ils sont aussi dirigés vers toute personne quiose en parler et les dénoncer.
L'ingénu attaque principalement l'institution des lettres de cachet qui permettent cesarrestations arbitraires « sans aucune formalité de justice».
«Hélas! Monsieur, on est donc bien libéral de lettres decachet dans vos bureaux [23]», se plaint Mlle Saint-Yves en s'adressant à Saint-Pouange.
L'Ingénu qui fut arrêté etjeté à la Bastille sans être jugé s'étonne que la justice française soit encore en retard par rapport à d'autres pays :« Il n'y a donc point de lois dans ce pays? On condamne les hommes sans les entendre! Il n'en est pas ainsi enAngleterre [24]», s'indigne-t-il devant Gordon son codétenu janséniste.
La Bastille où ils sont emprisonnés constitueun lieu hermétique comme l'illustre la métaphore du cimetière et du tombeau.
Ainsi, retranchés du monde, lesprisonniers se cognent au silence des hommes et à l'oubli total.
Pour donner une idée de ce lieu del'ensevelissement, Jacques Den Heuvel, cite la réaction de Igli, le héros des Lettres iroquoises de Maubert du.
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