L'homme le plus redouté des Etats-Unis, longtemps entraîné par la CIA...
Publié le 17/01/2022
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11 septembre 2001
OUSSAMA BEN LADEN a une légende copiée sur celle du « Vieux de la montagne », maître de la forteresse d'Alamut, en Perse, au XIe siècle, et terreur des Croisés. Ce chef spirituel envoyait ses Hashishim (devenus nos « assassins »), abattre tous ses ennemis, souvent au prix de leur vie. Oussama Ben Laden se veut ascète, combattant au nom de la foi, dilapidant sa fortune personnelle au nom du djihad, la guerre sainte. Il a aussi une réalité, beaucoup moins noble : celle d'un homme d'affaires manipulé, gestionnaire d'une multinationale du terrorisme, trafiquant d'armes et de morphine base, instrumentalisé par les puissances qu'il entend combattre. Jeune encore (43 ans), certes croyant, mais d'abord spécialiste des sociétés écrans, virtuose des jongleries financières, le premier « terroriste global ».
S'il est tellement redouté par les services du renseignement américains, c'est, affirme un observateur de la scène arabe, qu'il est lui-même un insider, longtemps entraîné par la CIA. Oussama Ben Laden connaît, de l'intérieur, les réseaux, les ficelles, les paravents, et pratique en maître les paradis financiers. Fils d'une riche tribu saoudienne ( lire ci- dessous), diplômé de l'université de Jeddah, le jeune ingénieur en génie civil est recruté par la CIA à Istanbul, en 1979. La guerre d'Afghanistan vient d'éclater et Istanbul est le lieu de transit choisi par les Américains pour acheminer les volontaires vers les maquis afghans.
D'abord responsable de la logistique, Oussama Ben Laden devient l'intermédiaire financier du trafic d'armes, financé à parts égales par les Etats-Unis et l'Arabie saoudite, à hauteur de 1,2 milliard de dollars par an environ. En 1980, il gagne l'Afghanistan où il restera pratiquement jusqu'au départ des troupes russes, en 1989. Il est chargé de répartir la manne entre les différentes factions de la résistance, un rôle clé, éminemment politique. A l'époque, il bénéficie de l'appui total des Américains et du régime saoudien, via son ami, le prince Turki Bin Fayçal, frère du roi et chef des services secrets saoudiens, ainsi que de sa famille. Il transforme de l'argent « propre » en argent « sale » puis fera aussi l'inverse.
Selon Richard Labévière, de Radio France Internationale (auteur du livre Les Dollars de la terreur, Grasset), l'apprenti terroriste a mis sur pied une filière d'opium avec son ami Gulbuddin Hekmatyar, qui règne sur la province de Helmand, le grenier à pavot du pays.
Il poursuit ce trafic à Khartoum, au Soudan, où il s'est replié en 1992. avec une bonne partie de ceux qu'on nommera les « Afghans », « une armée secrète, forte de 10 000 hommes entraînés dans ses camps », selon le directeur de la CIA. De Khartoum, il assure l'approvisionnement d'Hekmatyar en hommes et en armes. Aidé de son lieutenant soudanais, il crée, autour de la « Oussama Holding », un véritable groupe aux intérêts diversifiés : finance, voitures, machines-outils, chimie, travaux publics. Grâce à la Banque du Nord (Bank Ach-Chamal), il pilote une nébuleuse de sociétés et d'organisations non gouvernementales qui alimentent la révolution islamiste sunnite partout où elle se développe : Algérie, Egypte, Syrie, Asie, etc. Dès cette époque, on estime sa fortune à 2 milliards de dollars. Sa réputation de « banquier de la djihad » est faite. Elle le rend trop voyant.
En 1994, l'Arabie saoudite lui retire sa nationalité, sans cesser pour autant de financer en sous-main les réseaux islamistes extrêmes. C'est, pour la famille royale, une absolue nécessité : gardienne des lieux saints, elle ne tire sa légitimité que de la religion. Oussama Ben Laden garde le contact avec le prince Turki, patron des services saoudiens. Il le conservera envers et contre tout, même après 1996, lorsque le Soudan, soumis à des sanctions de l'ONU, le prie de quitter le pays. Même après 1998, lorsque, devenu l'ennemi public numéro un des Etats-Unis, sa tête est mise à prix et ses bases bombardées. Sa famille le renie, du moins officiellement ( lire ci-dessous). Quant à la CIA, mystère. Les experts sur ce point divergent.
FRUCTUEUX TRAFICS
Le fait est que, depuis l'Afghanistan, où il est revenu s'installer en 1998, Oussama Ben Laden poursuit ses fructueux trafics et continue d'entraîner ses combattants. Devenu le conseiller et l'ami du chef spirituel des talibans, Mohammad Omar, il met ses compétences en ingénierie financière à leur service, gère leurs intérêts commerciaux par l'intermédiaire d'une banque de Khartoum tenue par son fils, et réorganise les routes de l'opium.
Installé dans une luxueuse villa à Kandahar, Ben Laden continue à renforcer sa multinationale du terrorisme. Son organisation, Al-Qaida, gère douze camps d'entraînements et a des succursales dans cinquante pays. Oussama lui-même voyage à Londres, dans son jet privé, où il rencontre à l'occasion des journalistes. Dans la City, ses hommes de paille ont investi sous couverture dans l'électronique, le bâtiment, l'import- export. Depuis un an toutefois, le filet s'est resserré et les transactions financières du terrorisme international ont pris un tour plus acrobatique.. En Afghanistan même, Ben Laden et ses moudjahidines se montrent plus discrets. Ailleurs, il opère via une cascade de sociétés écrans installées au Pakistan, dans les Etats du Golfe, et bien sûr dans les places offshore.
Outres les intérêts de ses placements et le profit de ses trafics, la nébuleuse bénéficie toujours des financements du Moyen-Orient, via les ONG islamiques. Ou plutôt bénéficiait. Il y a trois semaines en effet, un événement important a modifié la donne saoudienne : le prince Turki, chef des services spéciaux et principal contact de Ben Laden, a été remplacé par un autre prince, Naouaf, fidèle du prince héritier Abdallah. Les raisons de cette mise à l'écart ne sont pas connues, mais le lien de la famille régnante avec Oussama Ben Laden semble cette fois rompu. Le pseudo renégat est devenu paria. Et d'autant plus dangereux.
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