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Les péronistes ou l'éternel retour

Publié le 17/01/2022

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3 février 2002 VINGT - HUIT ans après la mort du général Juan Domingo Peron, le parti péroniste est donc de retour au pouvoir avec Eduardo Duhalde. En 1989, Carlos Menem, réélu en 1995, avait lui aussi revendiqué l'héritage péroniste. Ce caudillo à rouflaquettes avait su recréer la mystique populiste en faisant de vagues promesses sur la justice sociale, l'unité latino-américaine et la récupération des Malouines. « Suivez-moi, je ne vous tromperai pas », avait-il lancé à une population déçue par le précédent gouvernement radical de Raùl Alfonsin (1983-1989) et encore sous le choc d'une dictature militaire sanglante (1976-1983). Menem, une fois au pouvoir, imposa un modèle aux antipodes de la doctrine péroniste. Il s'aligna de façon inconditionnelle sur les Etats-Unis, traditionnels ennemis de Peron. Il privatisa toutes les entreprises nationalisées par le général, mit au pas les syndicats, colonne vertébrale du mouvement justicialiste (péroniste), et imposa un libéralisme sauvage. Oubliant les plus démunis, il devint progressivement, au milieu de retentissants scandales de corruption, une figure dévoyée de la jet-set internationale. Aujourd'hui, Eduardo Duhalde se présente comme l'ennemi juré de Carlos Menem, dont il fut le vice-président de 1989 à 1991 avant de devenir le gouverneur de la province de Buenos Aires (en 1991 et 1995). En 1996, il avait été l'un des premiers à avertir des effets néfastes du ménémisme. Ce joueur d'échecs affirme pouvoir affronter la crise économique et sociale la plus grave de l'histoire argentine. Pourtant, quand il laissa le gouvernement de la province de Buenos Aires, les caisses étaient vides malgré un budget annuel de 10 milliards de dollars. Le plus grand district électoral du pays serait aussi le plus endetté des 24 provinces argentines. Comme M. Menem, M. Duhalde n'a pas été épargné par les scandales de corruption, notamment au sein de sa police provinciale. A 60 ans, le 46e président de l'Argentine se définit comme « un péroniste biologique ». Lui aussi se revendique du général Peron, brandit l'étendard de la justice sociale et promet de défendre les intérêts nationaux contre la globalisation. Malgré les métamorphoses et les trahisons, le Mouvement justicialiste, créé en 1945 par le général Peron, reste le premier parti politique de l'Argentine. Ce n'est plus un mouvement conduit par un seul leader charismatique mais plutôt une congrégation de partis provinciaux plus ou moins démocratiquement organisés qui se disputent le pouvoir. Personne n'est majoritaire au sein du parti. Pas plus M. Menem que M. Duhalde. Les rivalités sont fortes et beaucoup de barons se préparent déjà à la course présidentielle de 2003. Avec le football, Peron est le sujet de conversation qui soulève le plus de passions à Buenos Aires. Fasciste pour les farouches anti-péronistes, âme jumelle de Mao et Fidel Castro pour les montoneros des années 1970, il reste le père bienfaiteur dans l'imaginaire collectif des plus démunis. Avec Evita, sa légendaire compagne, il évoque un paradis perdu. Depuis sa mort, en 1974, on s'en revendique pour être élu. Carlos Menem comme Eduardo Duhalde vont même jusqu'à tenter de recréer la mystique qui entoure Evita, la « pasionaria des pauvres ». Le premier en se remariant avec une ancienne Miss Univers du Chili, Cecilia Bolocco, qui posa nue enveloppée dans un drapeau argentin, en couverture d'un magazine. Le second en nommant au gouvernement sa femme, « Chiche » Duhalde, pour s'occuper de la politique sociale. Les temps ont changé. Le péronisme aussi. Quand, il y a plus d'un demi-siècle, apparaît le colonel Juan Domingo Peron, il incarne une révolution sociale, de type nationaliste. L'Argentine est un pays subordonné à l'impérialisme étranger, régulièrement secoué par des coups d'Etat militaires qui permettent à la riche oligarchie de régner en maîtresse absolue. En 1943, à la faveur d'un de ces golpe s, un jeune colonel d'infanterie, âgé de 48 ans, inconnu de la population, est nommé secrétaire d'Etat au travail et à la prévoyance. Un poste apparemment sans importance mais qui le mettra en contact avec les travailleurs et leurs revendications sociales, ignorées depuis des décennies. Dans la nuit du 15 janvier 1944, un tremblement de terre détruit San Juan, à 1 000 km de Buenos Aires, faisant plus de 10 000 morts. Le colonel organise un vaste programme d'aide aux sinistrés. Le 22 janvier, au cours d'une soirée de gala organisée au bénéfice des victimes, l'officier, en grand uniforme blanc et doré, salue, les mains au ciel, la foule qui l'acclame. A ses côtés se trouve une jeune actrice, Eva Maria Duarte. Elle a vingt-quatre ans de moins que lui, mais Peron, transgressant la stricte morale militaire, fait de la starlette d'origine pauvre sa seconde épouse. Le couple exerce un magnétisme puissant jusqu'à la mort, prématurée, d'Evita, en 1952. Au ministère du travail, Peron met en place des syndicats puissants pour défendre les droits des travailleurs, qui découvrent les bienfaits des conventions collectives, de la sécurité sociale, des congés payés et de la retraite. Le principal souci de Peron est d'éviter une révolution ouvrière de gauche. En brandissant l'étendard de la justice sociale, il réussit à balayer de la scène politique les anarchistes, les socialistes et les communistes. En deux ans, Peron acquiert une popularité qui inquiète les généraux au pouvoir. Ils le font arrêter. Evita trouve alors les accents pour mobiliser les ouvriers. C'est le mythique 17 octobre 1945. Des milliers de descamisados (sans-chemise) déferlent sur la place de Mai devant le palais présidentiel. Venus des faubourgs ouvriers, ils ont la peau basanée. Ils osent se baigner dans les bassins qui entourent les statues des patriarches. Ils exigent la libération de leur bienfaiteur. Horrifiés, les riches Argentins parlent d'un « déluge zoologique ». En 1946, Peron est élu président avec 54 % des suffrages, rassemblant une coalition hétéroclite, qui va des conservateurs aux communistes. Ses adversaires voient en Peron un démagogue qui admire de Gaulle mais aussi Mussolini. Les Etats-Unis les encouragent en dénonçant la complicité de Peron avec les puissances de l'Axe pendant la guerre. On l'accuse d'avoir reçu d'énormes quantités d'or pour avoir permis à de nombreux anciens nazis de se réfugier en Argentine. C'est une époque de prospérité due en partie aux pénuries mondiales d'après-guerre. Les nationalisations et le boom des exportations permettent de financer la modernisation industrielle et la construction d'écoles et d'hôpitaux. La Fondation d'aide sociale Eva Peron secourt les plus déshérités. L'âge d'or se termine en 1950, le marché international n'étant plus aussi favorable aux exportations de blé et de viande argentins. Le gouvernement effectue un virage brutal. Peron vend une partie du pétrole aux Américains. Le régime se durcit. Les opposants sont persécutés. La liberté d'information est bafouée. L'université, muselée. Après une révision de la Constitution, Peron est réélu en 1951, avec plus de 60 % des voix. Nouveau coup d'Etat en 1955. Le mouvement justicialiste est proscrit. Peron s'exile en Espagne. Son prestige en sort renforcé. A Buenos Aires, les militaires n'ont d'autre solution que de lever la proscription. Peron, qui ne peut toutefois se présenter à l'élection présidentielle, fait élire en 1973 Hector Campora. Le 20 juin, le vieux général, âgé de 70 ans, rentre au pays après dix-huit ans d'exil. Son arrivée à l'aéroport d'Ezeiza se termine en massacre, à la suite de violents affrontements entre l'extrême droite et la guérilla montonera faisant 14 morts. Peron reprend les rênes du pouvoir et est élu pour un troisième mandat présidentiel avec 62 % des voix. Les montoneros, venus de la classe moyenne et du christianisme, mais convertis à la lutte armée, revendiquent la doctrine péroniste. Peron, qu'ils ont surnommé « El Viejo » (le vieux), les chasse de la place de Mai. Entrés dans la clandestinité, comme d'autres groupes révolutionnaires, les montoneros s'affrontent violemment avec les groupes paramilitaires de la Triple A (Alliance anticommuniste argentine). C'est une escalade d'attentats, d'assassinats et d'enlèvements. Quand Peron meurt, le 1er juillet 1974, le mouvement péroniste est profondément divisé. Sa troisième femme, Maria Estela de Peron, qui était vice-présidente, lui succède. Elle gouverne avec José Lopez Rega, dit « El Brujo » (le sorcier), ancien commissaire de police, amateur d'ésotérisme, devenu homme de confiance de Peron. Le pays est plongé dans le chaos et déchiré par une violence qui débouchera sur le coup d'Etat militaire du 24 mars 1976 et la dictature la plus sanglante de l'histoire argentine. CHRISTINE LEGRAND Le Monde du 21 janvier 2002

« milliers de descamisados (sans-chemise) déferlent sur la place de Mai devant le palais présidentiel.

Venus des faubourgs ouvriers,ils ont la peau basanée.

Ils osent se baigner dans les bassins qui entourent les statues des patriarches.

Ils exigent la libération deleur bienfaiteur.

Horrifiés, les riches Argentins parlent d'un « déluge zoologique ».

En 1946, Peron est élu président avec 54 %des suffrages, rassemblant une coalition hétéroclite, qui va des conservateurs aux communistes.

Ses adversaires voient en Peronun démagogue qui admire de Gaulle mais aussi Mussolini. Les Etats-Unis les encouragent en dénonçant la complicité de Peron avec les puissances de l'Axe pendant la guerre.

Onl'accuse d'avoir reçu d'énormes quantités d'or pour avoir permis à de nombreux anciens nazis de se réfugier en Argentine.

C'estune époque de prospérité due en partie aux pénuries mondiales d'après-guerre.

Les nationalisations et le boom des exportationspermettent de financer la modernisation industrielle et la construction d'écoles et d'hôpitaux.

La Fondation d'aide sociale EvaPeron secourt les plus déshérités. L'âge d'or se termine en 1950, le marché international n'étant plus aussi favorable aux exportations de blé et de viandeargentins.

Le gouvernement effectue un virage brutal.

Peron vend une partie du pétrole aux Américains.

Le régime se durcit.

Lesopposants sont persécutés.

La liberté d'information est bafouée.

L'université, muselée.

Après une révision de la Constitution,Peron est réélu en 1951, avec plus de 60 % des voix. Nouveau coup d'Etat en 1955.

Le mouvement justicialiste est proscrit.

Peron s'exile en Espagne.

Son prestige en sort renforcé.A Buenos Aires, les militaires n'ont d'autre solution que de lever la proscription.

Peron, qui ne peut toutefois se présenter àl'élection présidentielle, fait élire en 1973 Hector Campora.

Le 20 juin, le vieux général, âgé de 70 ans, rentre au pays après dix-huit ans d'exil.

Son arrivée à l'aéroport d'Ezeiza se termine en massacre, à la suite de violents affrontements entre l'extrême droiteet la guérilla montonera faisant 14 morts.

Peron reprend les rênes du pouvoir et est élu pour un troisième mandat présidentiel avec62 % des voix.

Les montoneros, venus de la classe moyenne et du christianisme, mais convertis à la lutte armée, revendiquent ladoctrine péroniste.

Peron, qu'ils ont surnommé « El Viejo » (le vieux), les chasse de la place de Mai.

Entrés dans la clandestinité,comme d'autres groupes révolutionnaires, les montoneros s'affrontent violemment avec les groupes paramilitaires de la Triple A(Alliance anticommuniste argentine).

C'est une escalade d'attentats, d'assassinats et d'enlèvements. Quand Peron meurt, le 1er juillet 1974, le mouvement péroniste est profondément divisé.

Sa troisième femme, Maria Estela dePeron, qui était vice-présidente, lui succède.

Elle gouverne avec José Lopez Rega, dit « El Brujo » (le sorcier), anciencommissaire de police, amateur d'ésotérisme, devenu homme de confiance de Peron.

Le pays est plongé dans le chaos et déchirépar une violence qui débouchera sur le coup d'Etat militaire du 24 mars 1976 et la dictature la plus sanglante de l'histoireargentine. CHRISTINE LEGRAND Le Monde du 21 janvier 2002 CD-ROM L'Histoire au jour le jour © 2002, coédition Le Monde, Emme et IDM - Tous droits réservés. »

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