Les passions d'aversion sont les plus durables et les plus violentes.
Publié le 22/02/2012
Extrait du document
De routes les passions, celles dont les jugements sont les plus éloignés de la raison et les plus à craindre, sont toutes les espèces d'aversions, il n'y a point de passions qui corrompent davantage la raison en leur faveur, que la haine et que la crainte; la haine dans les bilieux principalement ou dans ceux dont les esprits sont dans une agitation continuelle, et la crainte dans les mélancoliques ou dans ceux dont les esprits grossiers et solides ne s'agitent et ne s'apaisent pas avec facilité. Mais lorsque la haine et la crainte conspirent ensemble à corrompre la raison, ce qui est fort ordinaire, alors il n'y a point de jugements si injustes et si bizarres qu'on ne soit capable de former et de soutenir avec une opiniâtreté insurmontable.
La raison de ceci est que les maux de cette vie touchent plus vivement l'âme que les biens. Le sentiment de douleur est plus vif que le sentiment du plaisir. Les injures et les opprobres sont beaucoup plus sensibles que les louanges et les applaudissements; et si l'on trouve des gens assez indifférents pour goûter de certains plaisirs et pour recevoir de certains honneurs, il est difficile d'en trouver qui souffrent la douleur et le mépris sans inquiétude....
... Lorsque le faux zèle se rencontre avec la haine et la crainte dans un esprit faible, il se produit sans cesse dans cet esprit des jugements si injustes et si violents qu'on ne peut y penser sans horreur. Pour changer un esprit possédé de ces passions il faut un plus grand miracle que celui qui convertit saint Paul.
... Ceux qui marchent dans l'obscurité se réjouissent à la vue de la lumière; celui-ci ne peut la souffrir. Elle le blesse, car elle résiste à sa passion. Sa crainte étant en quelque façon volontaire à cause que sa haine la produit, il se plaît d'en être frappé, parce qu'on se plaît d'être agité de passions mêmes qui ont le mal pour objet lorsque le mal est imaginaire, ou plutôt lorsque l'on sait, comme dans les spectacles, que le mal ne peut nous blesser....
Mais quand on supposerait dans ces esprits assez de docilité et de réflexion pour écouter et pour comprendre des raisons capables de dissiper leurs erreurs, leur imagination étant déréglée par la crainte, et leur coeur corrompu par la haine et par le faux zèle, ces raisons, toutes solides qu'elles seraient en elles-mêmes, ne pourraient arrêter longtemps le mouvement impétueux de ces passions violentes, ni empêcher qu'elles ne se justifiassent bientôt par des preuves sensibles et convaincantes.
Car on doit remarquer qu'il y a des passions qui passent et qui ne reviennent plus, et qu'il y en a d'autres constantes et qui subsistent longtemps. Celles qui ne sont point soutenues par la vue de l'esprit et par quelque raison vraisemblable, mais qui sont seulement produites et fortifiées par la vue sensible de quelque objet et par la fermentation du sang, ne durent pas; elles meurent pour l'ordinaire incontinent après leur naissance. Mais celles qui sont accompagnées de la vue de l'esprit sont constantes, car le principe qui les produit n'est pas sujet au changement comme le sang et les humeurs. De sorte que la haine, la crainte et toutes les autres passions qui s'excitent ou qui se conservent en nous par la connaissance de l'esprit et non point par la vue sensible de quelque mal, doivent subsister longtemps. Ces passions sont donc les plus durables, les plus violentes, les plus injustes. MALEBRANCHE.
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- Dans toutes les créatures qui ne font pas des autres leurs proies et que de violentes passions n'agitent pas, se manifeste un remarquable désir de compagnie, qui les associe les unes les autres.
- Chez toutes les créatures qui ne vivent pas comme des prédateurs aux dépens des autres, et que n'agitent pas des passions violentes, se manifeste un remarquable désir de compagnie qui les associe sans qu'elles ne puissent jamais projeter de récolter le moindre avantage de leur union.
- Que pensez-vous de ces lignes de Fénelon (Lettre à l'Académie) : « Il faut séparer d'abord la tragédie d'avec la comédie. L'une représente les grands événements qui excitent les violentes passions ; l'autre se borne à représenter les mœurs des hommes dans une condition privée » ? Ces définitions vous semblent-elles satisfaisantes ? Cette distinction des genres dramatiques est-elle fondée en nature et en raison ? N'y a-t-il pas des genres intermédiaires ou mixtes, également légitimes ?
- "Or, c'est par le succès de ces combats que chacun peut connaître la force ou la faiblesse de son âme. Car ceux en qui naturellement la volonté peut le plus aisément vaincre les passions et arrêter les mouvements du corps qui les accompagne ont sans doute les âmes les plus fortes. Descartes, Les passions de l'âme, art 48 Parmi les choses, les unes dépendent de nous, les autres n'en dépendent pas. Celles qui dépendent de nous ce sont l'opinion (ici le jugement), la tendance, le désir,
- Le sage est sans passions (Sénèque)