Les mille visages du président
Publié le 17/01/2022
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«
chose : un chef de l'Etat doit incarner l'air du temps autant que l'esprit d'un peuple.
Il a été impressionné par la mobilisation contrele Front national.
Il a compris l'émotion, notamment des plus jeunes, même s'il s'est félicité de voir la gauche obligée d'appeler àvoter pour lui.
Ce n'est pas qu'il néglige les signes de la crise politique.
Mais il garde cet adage napoléonien : « On gagne et puisaprès on voit.
» Il a gagné.
Reste à cacher la plus petite marque d'une victoire trop arrogante.
Dès le 5 mai, il a affirmé : « Que lapolitique change ! »
Depuis, il s'efforce de distiller quelques symboles de ce changement.
Il adore la modestie affichée de son premier ministre.
Ilappelle chacun à plus de simplicité.
Il plaide au conseil des ministres, le 19 juin, pour « le respect de l'opposition, notamment auParlement ».
Il insiste pour faire venir deux ou trois représentants de la société civile au gouvernement.
Mais cela ne l'empêchepas de conserver une pratique politique parfaitement traditionnelle.
Le remaniement ministériel a été tout entier décidé à l'Elysée.A la Chirac.
Avec listes de fidèles à remercier.
Qu'importe que les uns et les autres héritent parfois d'attributions sur lesquelles ilsn'avaient, une heure auparavant, pas la moindre idée.
Qu'importe que le premier adjoint RPR de Marseille, Renaud Muselier,hérite d'un secrétariat d'Etat aux affaires étrangères alors qu'il s'est spécialisé depuis des années dans les dossiers concernant lajeunesse et les sports.
Qu'importe que l'agriculteur, Christian Jacob, se retrouve à la famille.
« A part mes quatre enfants, je n'yconnais rien », se lamentait le ministre nouvellement désigné.
« Il se débrouillera, c'est ça ou rien ! », a tranché le président.
Car Chirac a décidé de mener son nouveau pouvoir comme bon lui semble.
Il a tout pour lui, désormais : l'Elysée, Matignon,l'Assemblée nationale, le Sénat, le Conseil constitutionnel, les trois quarts des régions et des départements, et jusqu'au Conseilsupérieur de l'audiovisuel.
Il peut donc se permettre d'agir comme il le souhaite.
« Maintenant, il n'y a plus de raison de se laisseremmerder ! », a-t-il dit joyeusement à quelques-uns de ses fidèles réunis, au lendemain des législatives.
Toute son habileté, désormais, consiste à se préserver.
Alors qu'il était certain que la droite l'emporterait largement auxlégislatives, il a à peine mené campagne.
Un déplacement à Châteauroux, une interview télévisée.
Un point c'est tout.
Les visitesde soutien ont été essentiellement accomplies par Jean-Pierre Raffarin, les barons de la droite et Bernadette.
Au lendemain deslégislatives, même discrétion présidentielle.
C'est encore Jean-Pierre Raffarin qui a tiré la leçon du scrutin.
Lui qui a donné le ton -modeste - du nouveau gouvernement.
Jacques Chirac, lui, a paru s'effacer.
Cette relative absence masque mal l'activité nouvelle du président.
Non seulement la composition du gouvernement, mais aussila mise en place de tous les instruments qui devront accompagner son pouvoir.
La prise de possession officielle de l'UMP parAlain Juppé.
La candidature de Jean-Louis Debré à l'Assemblée nationale, contre Edouard Balladur.
Le chef de l'Etat n'ignoreaucune des nominations qui se préparent, dans les ambassades, parmi les dirigeants de la police ou dans la magistrature.
Ce n'est pas que Jean-Pierre Raffarin n'ait aucune latitude.
Mais le premier ministre a bien compris que Chirac, après cinq ansde cohabitation, a un appétit d'action qui ne sera pas assouvi avant de nombreux mois.
Le président lui-même a rappelé quelquesprincipes simples à ceux qui, parmi les ministres, n'avaient pas encore compris.
« Le chef des armées, c'est moi », a-t-il tout desuite prévenu.
Le ministre de l'économie, qui se lançait dans une trop longue explication à propos des négociations européennes àvenir, a entendu le chef de l'Etat lâcher : « Je m'occuperai des discussions sur le pacte de stabilité.
» Il discute de la réforme de lapolitique agricole commune avec Hervé Gaymard.
De la politique de la ville avec Jean-Louis Borloo.
Des premières mesurescontre l'insécurité avec Nicolas Sarkozy.
Mais il renvoie les quémandeurs et les geignards sur Matignon.
Il refuse désormais deperdre son temps.
C'est bien la seule chose qui ait vraiment changé, au fond, chez cet homme qui va bientôt atteindre les 70 ans.Comme s'il avait saisi qu'après un parcours politique plus romanesque que réussi, ce dernier mandat était son ultime chance de seracheter.
RAPHAELLE BACQUELe Monde du 24 juin 2002
CD-ROM L'Histoire au jour le jour © 2002, coédition Le Monde, Emme et IDM - Tous droits réservés.
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