Les gauches italienne et anglaise ou comment garder le pouvoir
Publié le 17/01/2022
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7 juin 2001
EN Italie, le centre gauche ne part pas favori pour le scrutin du 13 mai. Les problèmes qu'il rencontre sont, pour une part, strictement italiens, et, pour une autre, présents dans nombre de pays européens. En effet, la coalition de centre gauche, dite de l'Olivier, qui gouverne le pays depuis 1996, présente, à l'instar de ses homologues, un bilan plutôt flatteur.
En dépit des oiseaux de mauvais augure, elle a réussi, au prix d'un gigantesque effort, à qualifier l'Italie pour la monnaie unique. Elle a contribué à réduire le chômage, à juguler l'inflation, à réduire le déficit et la dette publics et, cette année, à amorcer une très légère diminution des impôts. Elle a engagé la modernisation de l'économie grâce à une politique de privatisations et une transformation des relations sociales, promu une réforme de l'administration publique et de l'éducation nationale et, à la fin de la législature, elle a entamé la marche vers le fédéralisme. Si de nombreux autres chantiers n'ont pas été ouverts ou sont restés inachevés, en particulier celui des réformes institutionnelles et de la loi électorale, l'ensemble est plutôt bien apprécié par la plupart des observateurs transalpins et étrangers. Or, les élections américaines l'ont déjà prouvé, un bon bilan gouvernemental ne suffit pas pour l'emporter dans les urnes.
Au vrai, l'Olivier est confronté à un dilemme désormais classique de la gauche ou du centre gauche européen. Longtemps exclue du pouvoir, la gauche, dans les années 1990, avait su proposer des stratégies crédibles pour le reconquérir. Mais les gouvernements qu'elle a formés jouent un périlleux numéro d'équilibriste. Ils tentent de satisfaire les revendications souvent contradictoires de leurs soutiens traditionnels (les catégories populaires, les fonctionnaires, les employés) et des classes moyennes urbaines (cadres moyens et supérieurs, parfois chefs d'entreprise) qu'ils s'efforcent d'attirer : au risque de décourager les uns et de ne pas séduire les autres. C'est ce qui se passe en Italie. Les enquêtes d'opinion, en particulier celles de l'ISPO, démontrent que, pour le moment et alors que le taux de ceux qui se déclarent incertains demeure extrêmement élevé (près d'un tiers des sondés), le centre gauche ne peut compter que sur les personnes âgées de plus de soixante ans (28 %), les salariés (33 %), principalement du public, et les retraités (27 %). En revanche, Silvio Berlusconi et ses alliés l'emportent dans toutes les autres catégories, auprès des jeunes, des chefs d'entreprise, des professions libérales comme des ouvriers (28 %), des étudiants (24 %) ou des chômeurs (25 %), par ailleurs souvent tentés par l'abstention.
Mais l'Italie présente, du moins en apparence, cinq particularités. La première est historique. Cela fait presque neuf ans sans interruption, hormis les sept mois de présidence du Conseil de Silvio Berlusconi en 1994, que les pouvoirs publics pratiquent la rigueur économique. La deuxième spécificité est sociologique. La répartition des préférences électorales est de plus en plus territorialisée. Le centre gauche reste solidement implanté dans le centre du pays (l'Emilie-Romagne, la Toscane, les Marches, l'Ombrie), résiste un peu dans le Nord-Ouest (Lombardie, Piémont, Ligurie), est marginalisé dans le Nord-Est en pleine croissance économique et semble dépassé dans le Sud et les îles. Bref, il est en difficulté à la fois dans les zones les plus dynamiques et dans celles qui enregistrent un fort taux de chômage.
Les trois autres traits sont directement politiques. Le centre gauche se retrouve presque minoritaire, ce qui n'a rien d'inédit. Il a emporté les élections de 1996, non pas porté par un vent de gauche qui aurait soufflé sur la péninsule, mais parce qu'en face de lui, le centre droit, composé de Forza Italia, d'Alliance nationale, le parti post-fasciste, et des centristes venus de l'ancienne Démocratie chrétienne, n'avait pas pu s'entendre avec la Ligue du Nord. Cette année, la donne a de nouveau été modifiée, puisque ces formations se sont unies dans la Maison des libertés. Les rapports de force électoraux ne font ici que suivre l'offre politique.
Le centre gauche est, par ailleurs, très divisé. Il est composé de huit partis très hétérogènes, en désaccord sur presque tout, chacun d'entre eux redoutant encore plus ses alliés que ses adversaires. Il doit, en plus, trouver des accords électoraux avec le Parti de la refondation communiste qui a refusé de rejoindre la coalition. Ces divisions ont entravé le travail des gouvernements durant les cinq années de la législature : elles affaiblissent l'Olivier dans la présente compétition électorale.
Enfin et surtout, l'Olivier souffre d'un sérieux déficit de leader. En cinq ans, il a usé pas moins de trois premiers ministres - Romano Prodi (mai 1996-octobre 1998), Massimo D'Alema (octobre 1998-avril 2000) ; Giuliano Amato (depuis) - cependant que son chef de campagne, Francesco Rutelli, n'est pas l'actuel président du Conseil... Un peu comme Al Gore aux Etats-Unis, celui-ci doit essayer de tirer avantage des réussites de l'Olivier tout en se démarquant de ce qui provoque son impopularité. En outre, l'ancien maire de Rome, bien que bénéficiant d'une bonne image dans l'opinion, a le plus grand mal à s'imposer à ses partenaires. Enfin, sur les thèmes martelés par son rival et qui retiennent l'attention des électeurs, la sécurité publique, l'emploi et la baisse des impôts, il apparaît sur la défensive.
A y réfléchir plus attentivement, ces données politiques qui spécifieraient l'Italie sont assez relatives. En France également, la gauche plurielle doit, d'ici l'an prochain, répondre au changement politique entraîné par le recul de l'extrême droite, résoudre ses querelles internes et surmonter les faiblesses affichées actuellement par son chef. Gageons que ses responsables suivront avec attention ce qui se passera de l'autre côté des Alpes.
D'autant qu'en Italie rien n'est encore définitivement joué. La décision finale que prendront les très nombreux électeurs indécis pèsera de manière déterminante tout comme les effets d'un mode de scrutin particulièrement complexe et le déroulement de la campagne électorale. A cet égard, le choix opéré par Silvio Berlusconi d'affirmer son image et sa présence de façon continue, systématique et obsédante comporte un grand risque : à force de personnaliser à outrance cette élection, il contribue à la transformer en une sorte de plébiscite qui peut lui apporter une extraordinaire consécration ou, au contraire, lui infliger une défaite cuisante. Là encore, la leçon sera à méditer en France où l'un des prochains candidats à l'élection présidentielle est, semble-t-il, tenté d'utiliser à fond son capital de sympathie auprès de l'opinion pour compenser la faiblesse de ses soutiens politiques...
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