Les excessives vérités de René Dumont
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
«
sur les prix, détruit les agricultures, impose l'échange inégal, protège et arme les dictatures, pollue, bouleverse les climats, profitedes flux financiers...
Bref, c'est la minorité privilégiée des pays du Nord « qui condamne la majorité du monde à la misèreperpétuelle ».
Le noeud est là.
Par quelque côté qu'on la prenne - sociale, économique, écologique -, la faillite du tiers-monde estinacceptable et présente un risque majeur d'explosion pour l'ensemble de l'humanité.
Ce n'est pas seulement affaire de morale.C'est une question d'intérêt collectif.
La mèche est allumée.
« Un tel niveau d'injustice ne peut plus durer très longtemps.
Déjà lespauvres se vengent à coups de drogue et de terrorisme.
Demain ce sera pire.
» Invité à Washington à s'exprimer devant laBanque mondiale, il s'exclame : « Dressez vos mitrailleuses le long du Potomac, Messieurs, les pauvres arrivent.
»
Hérétique ! Chaque fois que Dumont a lâché une de ses « sorties » contre l'ordre du monde et balancé une prophétie demalheur, il s'est fait brûler en place publique.
« Farfelu », « bluffeur », « Cassandre », « millénariste », « écolo-pacifiste » ! Plustard, dix, vingt ou trente ans après, force est de reconnaître que le combattant de la faim a vu juste.
La liste des lucidités et desmorceaux de bravoure du pionnier est impressionnante.
En pleine euphorie productiviste, René Dumont a « prédit » l'aggravationde la misère et de la famine ; jamais le monde n'a compté autant de « pauvres absolus ».
Il a vu s'amorcer, dès 1932 depuis lesrizières du Tonkin, la « bombe démographique » ; l'explosion a bien lieu puisqu'en cinquante ans la population mondiale vadoubler après avoir quadruplé en un siècle.
Il a prévu dès les années cinquante l'échec du socialisme - « L'abondance planifiée nesera jamais exécutée » -, y compris un peu plus tard à Cuba ; il a dénoncé les mécanismes d'assujettissement du libre-échangismeet les ravages de la loi du marché ; il a décortiqué les perversions du « mal-développement » des anciens pays coloniaux en proieau mimétisme vis-à-vis de l'ancien maître (son livre, L'Afrique noire est mal partie, a été publié en 1962, deux ans seulementaprès les indépendances) ; il a évoqué la nécessité de l'impératif démocratique bien avant les couplets sur la bonne gouvernance...Et encore, les crues catastrophiques du Bangladesh, l'assèchement de la mer d'Aral, la désertification du Sahel, la pollution del'eau (c'est un de ses sujets favoris - en 1974 ! - lors la campagne pour l'élection présidentielle où il se présente comme candidatVert), l'effet de serre aggravé par les gaz automobiles, l'extrême oppression des femmes du Sud...
« Je n'ai pas eu grand mérite etje regrette sincèrement que les événements ne m'aient que trop donné raison », expliquait-il au soir de sa vie, ajoutant : « Jepréfère pécher par excès que par défaut.
»
En dépit de formulations parfois hâtives auxquelles il ne répugnait pas de céder - exemple : « Tout acheteur d'une 605 Peugeotou d'une Mercedes doit désormais être considéré dans sa recherche d'orgueil et de prestige comme un criminel puisqu'il aura desmorts, souvent lointains, sur la conscience » - cet homme-là a vu clair avant tous les experts et les ordinateurs.
Les dates de sesécrits en témoignent, il a précédé les économistes et les politiques, il a eu raison contre beaucoup de monde à la fois.
Entre HenryKissinger le « sage » qui annonçait en 1974, à la conférence mondiale de l'alimentation, que « dans dix ans plus un enfant dans lemonde n'aura faim » et René Dumont le « fou » qui, dix ans avant, écrivait un livre pour annoncer que « nous allons à la famine »,qui était dans le vrai ?
« J'aurais dû écouter Dumont », confia le Sénégalais Léopold Senghor en quittant le pouvoir.
Comment aurait-il pu le faire, luiou les autres ? L'époque était à l'euphorie.
C'était en même temps celle des Trente Glorieuses du capitalisme, celle de laconférence de Bandung et de la fierté des indépendances, celle des hymnes à la supériorité du socialisme.
Trois voiesconcurrentielles mais pareillement confiantes dans leurs capacités à assurer la prospérité et le bonheur des hommes.
Alors, dansce tintamarre triomphaliste, le cassandre Dumont...
L'agronome posséderait-il un secret divinatoire ? Evidemment non.
C'est tout simplement l'infatigable observateur du terrain quia fait la différence, sa lucidité empirique ainsi qu'une volonté permanente de passer à l'acte contre « l'intolérable ».
Dumont futd'abord un réaliste pressé de résoudre les problèmes immenses qu'il avait recensés.
L'accommodement aux circonstances, lescompromissions paresseuses tracent sa frontière indépassable.
Au final, pour lui, c'est simple : il y a ce qu'il faut faire, absolument,et il y a ce qu'il est absolument criminel de ne pas faire.
« On peut, on doit dire que les choses ne se présentent pas aussi bien quele conformisme bien-pensant des satisfaits et des puissants chercherait à le faire croire.
» C'est ce réformisme radical, cettedétermination incessante à s'opposer à « l'ombre géante de l'échec retentissant de l'humanité » qui ont abouti à donner de lui uneimage extrémiste, jusqu'au-boutiste.
Or, rien n'est plus éloigné de la vérité du personnage que le mysticisme des croyances qui égrènent le « tout est possible », «l'homme nouveau », « la table rase » ou le « hors du marché point de salut ».
Dumont a toujours su que les souffrances lues dansles yeux d'un orphelin déshydraté ne se compensent pas en rêves ou en mots.
Pas plus qu'on ne vaincra l'aggravation de l'effet deserre par des colloques et des résolutions.
Contrairement à l'image qu'on s'est souvent faite de lui l'agronome a toujours prônéglobalement des solutions de modération, préférant en bon écologiste les mesures d'équilibre aux décisions violentes, la petiteéchelle au gigantisme, les raccommodages patients aux grandes ruptures révolutionnaires.
Il a toujours revendiqué la priorité del'individu sur les systèmes et privilégié les petits pas des réformes tenaces par rapport aux grands sauts de l'imaginaire.
Acondition cependant qu'on consente enfin à marcher dans la bonne direction..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Dumont, René
- La pluralité des voix n'est pas une preuve qui vaille rien, pour les vérités un peu malaisées à découvrir. Discours de la méthode Descartes, René. Commentez cette citation.
- La pluralité des voix n'est pas une preuve qui vaille rien, pour les vérités un peu malaisées à découvrir. [ Discours de la méthode ] Descartes, René. Commentez cette citation.
- Dumont (René)
- Le malade imaginaire et René Bray