Les atouts de Jean-Pierre Raffarin
Publié le 17/01/2022
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7 mai 2002
À PEINE nommé premier ministre, voilà Jean-Pierre Raffarin accablé de tous les handicaps par les uns, de quelques vertus par les autres. C'est la loi du genre, dira-t-on. Matignon fait trop d'envieux pour que son locataire ne soit pas immédiatement placé sous une loupe impitoyable, passé au crible, jaugé, jugé, encensé ou condamné avant même d'avoir fait un pas.
« Raffarien », le quolibet dont il aurait dès à présent été affublé par telle ou telle éminence chiraquienne résume, à lui seul, la déception suscitée par le choix du chef de l'Etat. Le sénateur de la Vienne n'aurait pas, entend-on déjà, l'envergure nécessaire pour faire face à la situation inédite, complexe et imprévisible créée par l'élection présidentielle. Les arguments ne manquent pas. Pour ses détracteurs, Jean-Pierre Raffarin manque de charisme, d'expérience, d'autorité. Excusez du peu ! Parfait inconnu pour la plupart des Français, il est vrai qu'il ne figurait pas, jusque récemment, au bataillon des premiers ministrables, ce cercle très fermé dans lequel le chef de l'Etat est censé piocher pour choisir le chef du gouvernement. Vrai également que sa maigre expérience ministérielle entre 1995 et 1997, chargé du portefeuille des petites et moyennes entreprises -, tout un symbole - ne garantit en rien qu'il saura maîtriser la lourde machine gouvernementale et éviter les embûches qui sont le lot quotidien du locataire de Matignon.
Il n'est pas moins exact que son profil de notable de province, tout en rondeur et en proximité, sénatorial jusqu'à la caricature, peut laisser sceptique sur sa capacité à incarner modernité et audace. De même, s'il est tombé tout petit en politique, dans le sillage de son père et sous la tutelle de Valéry Giscard d'Estaing et de René Monory, il n'a jamais été en première ligne de ces grandes manoeuvres politiques et de ces affrontements de caciques où se forgeraient les destins nationaux.
Enfin, et surtout, glissent détracteurs et jaloux, n'est-il pas, en réalité, l'homme de paille d'un Alain Juppé qui n'a de cesse de renforcer sa tutelle sur la droite et d'écarter rivaux et gêneurs pour mieux préparer son propre avenir ? Raffarin à Matignon serait, pour lui, l'assurance d'avoir les coudées franches. L'ombre du maire de Bordeaux surplomberait déjà ce pauvre premier ministre, réduit au rôle peu glorieux de marionnette.
Peut-être. Mais il serait aussi imprudent, aujourd'hui, de sous-estimer Jean-Pierre Raffarin qu'on ne le fit, hier, de Georges Pompidou ou de Raymond Barre. Car l'homme ne manque pas d'atouts. Le premier est tout bonnement d'être un nouveau venu à ce niveau. La réélection de Jacques Chirac a-t-elle déjà fait oublier l'aspiration au renouvellement des hommes et des équipes exprimée sur tous les tons et en toute occasion par le peuple de droite depuis des années ? A-t-elle déjà effacé de sa mémoire les luttes fratricides, les méfiances, les mépris, les haines recuites, les échecs enfin où se sont usés et abîmés bien des talents, ceux d'un Juppé ou d'un Balladur, d'un Sarkozy ou d'un Séguin ? La seule évocation de l'éventuel retour au premier plan du maire de Bordeaux ou de celui de Neuilly ne servait-elle pas d'épouvantail commode entre les mains de la gauche, il y a à peine deux mois ?
En nommant Jean-Pierre Raffarin, Jacques Chirac n'a pas seulement voulu surprendre, étonner, éveiller la curiosité. Il a au moins autant cherché à tourner la page de cette décennie gâchée, en grande partie par sa propre faute. Bien sûr, le premier ministre n'est pas né de la dernière pluie. Il ne serait pas là, aujourd'hui, en situation. Mais s'il a gravi les marches depuis vingt-cinq ans, ce fut sans impatience excessive. S'il a donné des gages à Jacques Chirac au moment crucial - durant cet automne 1994 où les concours ne se bousculaient pas -, il ne s'y est pas brûlé les ailes. S'il n'a jamais caché son énergie, il l'a suffisamment mise au service de l'unité de la droite pour ne pas apparaître mu par sa seule ambition personnelle. Autant de qualités en phase avec les attentes du chef de l'Etat et, veut croire ce dernier, celles des Français.
Un homme suffisamment neuf, donc. Le deuxième atout peut paraître aussi trivial : voilà à Matignon un homme de terrain, de province, autrefois d'entreprise. La belle affaire, rétorquent les sceptiques. Ce parcours et cet enracinement ne certifient ni la modestie ni la compétence. C'est indéniable. Mais cela ne fait-il pas des lustres que l'on déplore - à droite, mais pas seulement - l'omniprésence des élites parisiennes, leur arrogance supposée et parfois avérée, leur monoculture façonnée par l'ENA, leur sociologie trop étroite, leur coupure d'avec la France « d'en bas », leur incapacité, enfin, à soigner l'Etat de ses lourdeurs et de ses impuissances.
Jacques Chirac avait engagé sa campagne de 1995 par une charge au canon contre les technocrates de tout poil. Arrivé à l'Elysée, il avait nommé le plus brillant d'entre eux, Alain Juppé, à Matignon. Avec le succès que l'on sait. Sept ans plus tard, il essaie de retrouver son cap initial et de prolonger, jusqu'à Matignon, cette « génération terrain » qui avait réussi à ébranler la gauche aux élections municipales de 2001. Au surplus, l'on ne saurait négliger que, contrairement à bien des barons de la Chiraquie, M. Raffarin n'est pas sorti du vivier de la Mairie de Paris. Il se trouve de ce fait à l'abri des soupçons liés aux affaires de financement occulte de la capitale. C'est un confort appréciable.
une france plus girondine
Troisième atout : si le premier ministre a conquis la confiance du chef de l'Etat, c'est à l'origine un giscardien pur jus, UDF de coeur pendant plus de vingt ans et, depuis 1998, adhérent de Démocratie libérale par raison. Il n'est donc pas suspect, a priori, de vouloir restaurer, dès demain, « l'Etat RPR ». Mieux, Jean-Pierre Raffarin n'a pas occulté le fait que, depuis des années, la première chose que réclament les sympathisants de la droite est précisément l'unité de leur camp. Dès lors, il n'a eu de cesse d'oeuvrer au dépassement des vieilles rivalités entre centristes, libéraux et gaullistes.
Il l'a fait sans tapage, mais avec ténacité. D'abord au sein du club Dialogue et initiative, créé avec ses amis Michel Barnier (RPR), Jacques Barrot (UDF) et Dominique Perben (RPR). Ou plus récemment en participant activement à l'émergence de l'Union pour la majorité présidentielle où devrait se ranger, dès les législatives de juin, l'essentiel de la droite parlementaire. Cette machine de guerre est conduite par Alain Juppé. Qui sait cependant si ce dernier n'aura pas besoin de Jean-Pierre Raffarin, de ses réseaux, de son savoir-faire et des moyens que confère Matignon pour arrondir les angles, amadouer, convaincre.
Enfin, au moment où se multiplient interrogations et interpellations sur la nécessité de refonder la Ve République, le premier ministre peut fournir à Jacques Chirac un dernier atout de poids : cela fait belle lurette que ce grand féodal milite pour le desserrement du carcan jacobin, pour une nouvelle étape de la décentralisation, pour des transferts audacieux de pouvoirs aux régions, ne serait-ce qu'à titre expérimental, bref, pour une France plus girondine et une réforme des institutions par la base plutôt que par le sommet. Le plaidoyer a fini par convaincre, à commencer par le chef de l'Etat.
Reste, évidemment, à savoir si Jean-Pierre Raffarin aura le loisir et la liberté de jouer ses cartes, de surmonter l'obstacle de législatives à haut risque, de rassurer la droite sans désespérer le centre, de s'imposer aux ambitions jusqu'à présent plus voraces que la sienne, de trouver enfin la bonne distance avec le président de la République, entre allégeance et autonomie. Rien ne l'assure. Mais rien ne l'interdit.
GERARD COURTOIS
Le Monde du 9 mai 2002
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