Léopold Sédar Senghor, l'Euronègre
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
«
Ce choix religieux du clan aura une immense importance pour le jeune homme au double prénom euronègre, « Léopold Sédar», qui devait être un moment tenté par la prêtrise et resterait toujours pratiquant.
Plus tard membre du Conseil pontifical pour laculture, où il serait « chargé du problème du latin », il proclamerait, à contre-courant des modes : « L'Eglise catholique a, bienavant l'Etat colonial français, avant même les nouveaux Etats africains, découvert la négritude.
C'est ainsi que, pendant mesétudes primaires à la mission catholique de Ngazobil [au Sénégal] j'ai appris, en même temps, à lire et écrire en ouolof, laprincipale langue du Sénégal, comme en français.
»
Cette double qualité de minoritaire - sérère et catholique - devait faciliter, le moment venu, l'ascension politique de Senghordans un pays peut-être menacé par la mainmise des Ouolofs, majoritaires sur l'Etat, et d'exclusivisme musulman sur la société,dès lors que l'islam, favorisé par la Pax gallica, était devenu en un siècle la confession non plus de 10 %, mais de 90 % desSénégalais.
Cette « médiation » dura vingt ans et le successeur de Senghor, Abdou Diouf, est musulman.
Entre-temps, Senghorétait parvenu tant bien que mal à consolider cette « nation sénégalaise », encore bien fragile (la Casamance sudiste, chrétienne etanimiste est périodiquement tentée de se séparer du Nord islamique), mais qu'il faisait plus ou moins remonter aux cahiers dedoléances envoyés par Saint-Louis-du- Sénégal aux états généraux de Versailles, en 1789...
Et il est vrai que la République sénégalaise est sans doute le moins « tribal », le plus « national » des Etats d'Afriquefrancophone.
Senghor, cependant, comme les derniers gouverneurs français et comme son successeur, dut prendre enconsidération, plutôt que de le contrebalancer, le poids grandissant des confréries musulmanes sénégalaises.
Tout en étantparfaitement lucide sur « l'intégrisme islamique, problème le plus grave avec lequel les gouvernements sont confrontés, aussi bienen Asie qu'en Afrique », devait-il nous déclarer en 1983.
Les passe-droits, notamment économiques, accordés de facto aux confréries, sont l'une des raisons de la pauvreté de l'Etatsénégalais, avec l'énorme contrebande qui s'épanouit en Gambie, absurde enclave anglophone qui coupe presque le Sénégal endeux et à laquelle Senghor n'osa pas faire « le coup de Goa », malgré un environnement international alors plutôt favorable.Dakar ne manifesta pas non plus beaucoup d'imagination lors de l'échec de la Fédération du Mali ayant éphémèrement réuni(1959- 1960) le Sénégal et l'ancien Soudan français, aujourd'hui le Mali.
Cette timidité est portée au passif politique de Senghor, ainsi que le vain socialisme - il avait adhéré à la SFIO dès 1936 (troisans après avoir acquis la pleine citoyenneté française) et y resta jusqu'en 1948, moment où il se dirigea vers le nationalismeafricain - qu'il tenta d'appliquer à l'étique économie sénégalaise, dont la principale ressource est la presque invendable arachide...
A l'actif de celui qui, avant d'être président africain, fut un remuant député français (du Sénégal) dès 1945, avant de devenirsecrétaire d'Etat à la présidence du conseil sous Edgar Faure (1955), puis ministre-conseiller de De Gaulle (1959), à son actifdonc, ce climat sociopolitique sénégalais si tolérant, en dépit de quelques « bavures ».
Du côté positif encore, les effortsinlassables de Senghor pour l'organisation du mouvement francophone international, autour de « cet outil merveilleux, trouvé dansles décombres du colonialisme » : la langue française.
Dès 1960, avec la discrète bénédiction de De Gaulle, le premier desgrammairiens d'Afrique noire commençait à rompre des lances francophones, participant notamment à ce numéro spécial d'Esprit (novembre 1962) sur « le français, langue vivante », bientôt considéré comme le manifeste « spontané » de lafrancophonie.
Senghor y mêlait sa voix à celles, entre autres, de Norodom Sihanouk (Cambodge), du Père Sélim Abou (Liban),de Jean-Marc Léger (Québec), de Kateb Yacine (Algérie), de Vincent Monteil (France)...
UNE fois retiré de la vie publique, il devint « militant de base » de la francophonie, aussi bien à l'Académie française que devantle moindre groupe d'écoliers croisé dans sa Normandie adoptive, au Maroc ou au Québec.
Ce militantisme linguistique, qui luivaut notamment de laisser derrière lui l'Université francophone Senghor d'Alexandrie d'Egypte, ne fut pas toujours bien vu par lesFrançais eux-mêmes.
« Pour le moment, ce sont surtout les francophones d'outre-mer qui respectent la règle de toujours parleren français dans les conférences internationales », note-t-il, amer, dans Ce que je crois (Grasset, 1988), avant de raconter ladéconvenue de ce mathématicien africain rentrant d'un congrès à New York et dont un Américain avait dit : « Il a du culot, cenègre ! Présider en français quand les Français eux-mêmes interviennent en anglais ! » C'était là résumer tout le dilemme de cettefrancophonie dont Senghor nous confiait un jour qu'elle « embêtait Valéry Giscard d'Estaing ».
Un autre combat, plus ambigu, mené jusqu'au bout par Senghor fut celui du « métissage culturel » et de « la civilisation del'universel ».
Ambigu ou mal compris ? L'illustrateur puissant de la négritude et de la francophonie, le chantre passionné et sanscomplexe de « cette francité, faite d'esprit de méthode et d'organisation », ne pouvait aspirer à un vague creuset culturel mondialobligatoirement de coloration « états-unienne » en cette fin de siècle.
Fondateur d'une branche maîtresse de la littérature française moderne, donnant des fruits gorgés de terroir nègre, Senghor atrès clairement prévenu que « pour se métisser (...) il faut d'abord être séparément.
(...) Chacun doit s'enraciner dans les valeurs.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Exposé français(Chant d’ombre (1945) de Léopold Sédar Senghor )
- NOCTURNES Léopold Sédar Senghor (résumé et analyse)
- ORPHÉE NOIR de Léopold Sédar Senghor
- ÉTHIOPIQUES de Léopold Sédar Senghor (analyse détaillée)
- NOCTURNES de Léopold Sédar Senghor : Fiche de lecture