L'embargo en question
Publié le 17/01/2022
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aux Irakiens, avait basculé : la résolution 986, dite "pétrole contre nourriture", fut largement perçue comme l'illustration ducynisme des grandes puissances, s'arrogeant le droit de distiller au compte-gouttes aux malheureux Irakiens de quoi ne pas tousmourir de faim tout de suite.
Une situation impossible
L'incurie de la bureaucratie onusienne, les lenteurs du comité des sanctions chargé d'examiner les demandes formulées parl'Irak au titre de la résolution 986, débordé par leur nombre, l'insuffisance des volumes prévus, s'ajoutant au jeu pervers durégime irakien, ont fait le reste.
Des travailleurs humanitaires indignés racontent les retards infinis mis par le comité des sanctionsde l'ONU à autoriser telle livraison de produits alimentaires, qui arrive finalement aux trois quarts pourrie.
D'autres, témoignant ducôté du comité des sanctions, racontent qu'un jour l'Irak demande des pneus "pour ambulances" destinés en fait aux véhiculesmilitaires, qu'un autre jour il réclame un produit anesthésique pour les femmes devant subir des césariennes en quantité telle qu'ons'étonne à New York et qu'on finit par découvrir qu'il s'agit d'un produit précurseur pour la fabrication d'armes chimiques.
Lecomité des sanctions refuse; le lendemain, la presse irakienne titre que l'ONU assassine les femmes enceintes...
La détresse de la population est devenue, à l'intérieur comme à l'extérieur, le meilleur argument de propagande du régimeirakien.
Il n'a pas intérêt, il l'a montré ces jours derniers encore, en faisant la fine bouche devant la proposition de Kofi Annan àce que l'embargo devienne supportable pour la population de son pays.
Tel est souvent l'effet de l'embargo si les dérogations humanitaires qu'il prévoit forcément (le droit international ne permetévidemment pas aux Nations unies d'affamer une population) ne sont pas correctement mises en oeuvre.
Quand bien même ellesle sont et que les biens de première nécessité sont garantis aux civils, le décret extérieur, qui frappe néanmoins injustement lespopulations, et la mise sous tutelle qu'on paraît vouloir imposer à leur pays peuvent n'avoir pour effet on l'a vu à Cuba pendantlongtemps, on l'a vu en Serbie que d'exacerber le sentiment nationaliste et de renforcer le dictateur qui dénonce l'odieux diktat del'étranger.
Quant aux organisations humanitaires, elles se trouvent dans une situation impossible : otages du dictateur, qui exploiteleurs arguments, obligées de s'en faire les avocats.
Une autre cause d'échec assuré de l'embargo est que celui qui l'édicte n'en respecte pas les termes.
Force est de constater queles Américains, à cet égard, n'ont pas toujours joué le jeu avec l'Irak.
La pression ne s'exerce que si les termes du contrat imposésont clairs : tu désarmes, je lève les sanctions.
Or les Américains les ont brouillés, en donnant à plusieurs reprises l'impression quel'embargo avait pour but d'éliminer Saddam Hussein et qu'il ne serait pas levé à moins.
Les responsables français ont fortementinsisté auprès de Washington sur cet aspect des choses lors de la précédente crise, en novembre.
Les Français ont été, semble-t-il, entendus.
Mais bien tard, comme vient bien tard aussi le revirement "humanitaire" des Américains.
Est-ce à dire que l'on n'aurait pas dû imposer d'embargo à l'Irak en 1991 ? La mesure, à l'époque, faisait l'unanimité oupresque : on estima que c'était le seul moyen non militaire assez puissant pour en finir avec la dangerosité de Saddam Hussein;une partie de l'objectif a d'ailleurs été atteinte.
Mais tout semble aujourd'hui remis en cause, et le prix déjà payé par la populationirakienne est gigantesque.
Les Nations unies ne peuvent pas renoncer aux sanctions économiques, faute desquelles elles n'auraientplus, à peu de choses près, que le choix entre la guerre ou rien.
Mais elles y regarderont sans doute à deux fois avant de lesutiliser de nouveau dans leur version la plus sévère, celle de l'embargo.
Il est urgent qu'elles s'initient au maniement extrêmementcomplexe de l'arme économique, qu'aujourd'hui elles ne maîtrisent pas.
CLAIRE TREAN Le Monde du 14 février 1998
CD-ROM L'Histoire au jour le jour © 2002, coédition Le Monde, Emme et IDM - Tous droits réservés.
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