Le Nigeria saisi par la charia
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
«
facilement aux kaffirs, ces méprisables mécréants qui mangent du porc, boivent de l'alcool, s'habillent ou, en dansant, sedéhanchent « de façon obscène ».
Les tam-tams ont été interdits.
Dans les transports publics ou à l'école, la ségrégation dessexes est imposée de fait.
« Dans un Etat censé être laïque, nous sommes devenus des citoyens de seconde zone », se plaint lePère Linus Mary Awuhe, porte- parole local de l'Association chrétienne du Nigeria (CAN).
Une soeur raconte : « Quand jesors, les enfants me lancent des cailloux.
Mais même quand on ne me fait rien, j'ai peur.
On ne sait plus qui est qui.
Alors on seméfie de tout le monde.
» Au Zamfara, les chrétiens renouent avec leurs origines : le huis clos anxiogène des catacombes...
Et le royaume d'Allah ne cesse de s'étendre ! Depuis qu'Ahmad Sani a trouvé la recette ayant fait de lui bien plus qu'ungouverneur, un « rénovateur » ( mujaddidi ) de la foi, ce qui le met à l'abri de toute critique, onze autres Etats nigérians, tous aunord, ont à leur tour introduit la « charia politique » .
L'appellation est du président Olusegun Obasanjo, un chrétien anglican, élu àla tête de l'Etat fédéral en 1999, au sortir de quinze années de dictature militaire.
« Des politiciens sans scrupule instrumentalisentla religion pour arriver au pouvoir ou pour s'y maintenir », affirme-t-il.
Dans la même veine, les diplomates étrangers en poste àAbuja, la capitale fédérale, fustigent une « manipulation irresponsable qui risque de faire éclater le pays ».
Tout juste admettent-ilsque le nouvel ordre religieux doit son succès populaire à l'échec des régimes - civils et militaires - qui se sont succédé depuisl'indépendance, à une corruption et une criminalité hallucinantes, dont les pauvres sont les premières victimes.
La charia, version islamique de la bonne gouvernance ? Au Zamfara, Ahmad Sani le prétend.
Outre le recul du crime, il invoque« une justice abordable, comprise par les gens parce qu'elle s'inscrit dans leur culture ».
Pour écarter la tentation de la corruption,les juges sont nettement mieux payés qu'auparavant et ont droit à une voiture de fonctions.
Sur les marchés, le remplacement despoids et mesures occidentaux par des équivalents islamiques aurait assaini les moeurs commerciales.
« Nous avons déployé desinspecteurs, qui fixent pour chaque produit un barème de prix », se félicite le gouverneur.
« Il n'y a plus de marchandage quitourne à l'émeute.
» Cette vision idyllique passe sur la terreur orwellienne qui fonde le « nouvel ordre plus juste ».
Lequel recèleun double fond : s'il est probable qu'on n'utilise plus, dans les « cours-charia », un exemplaire du Coran auquel manquentquelques pages pour permettre un parjure sans conséquence, deux nouveaux magistrats n'en ont pas moins déjà été limogés pourfaits de corruption ; sur les marchés, si l'on y « triche moins facilement avec Dieu », on y triche quand même ; enfin, le zakat nesupplée pas une administration fiscale, et rien ne prouve qu'à l'avenir la gestion des « dons », pas forcément toujours volontaires,sera plus transparente que celle des « fonds spéciaux du pétrole » dans le passé.
« Faire rimer islamisme et populisme, c'est trop simple », estime le professeur Auwalu Yadudu.
Pour ce juriste formé à Harvardet Cambridge, aujourd'hui enseignant à l'université de Kano, l'Etat le plus peuplé du nord du Nigeria, où il a contribué àl'introduction, il y a un an, de la loi coranique, « l'Occident ne veut pas admettre qu'il s'agit d'une vague de fond, d'une réaction àson hégémonie qui vient des profondeurs historiques ».
A ce titre, il rappelle la conquête coloniale, la doctrine britannique du «indirect rule » qui, dans le nord, a laissé intacts les « émirats », pouvoirs à la fois politiques et religieux.
« Jusqu'à la veille del'indépendance, la charia était appliquée comme elle l'est aujourd'hui de nouveau, pas seulement comme droit civil mais aussicomme droit pénal », affirme le professeur.
« Il s'agit donc d'un retour à un passé récent.
La charia n'est jamais sortie de la têtedes gens.
» Après de longues années d'autoritarisme au nom de l'union nationale, la démocratie a offert la possibilité de revenir àla loi coranique par un moyen légal : le vote.
En 1999, lors d'une visite à Kano, la secrétaire d'Etat américain, Madeleine Albright,s'étonnait d'être remerciée pour le retour à la charia.
« Mais c'est grâce à la démocratie », lui expliquait-on.
La démocratie au Nigeria creuse-t-elle sa propre tombe ? Le péril est d'autant plus réel que bien d'autres fossoyeurs sont àl'oeuvre.
Dans le Sud-Ouest, les militants d'un « Yorubaland » réclament leur « autodétermination », au même titre qu'à l'est lespartisans igbos du Mossab (Mouvement pour l'actualisation de l'Etat souverain du Biafra).
Dans le delta du Niger, la principalezone pétrolifère, nombre d'ethnies refusent désormais le partage de « leur » or noir.
Partout, des « brigades de vigiles » mêlent lalutte contre l'insécurité au racket des commerçants.
Dans le Nord, des « comités Hisba » et d'autres milices islamistes veillent,bâton à la main, à la stricte observance des préceptes du Coran.
Ce faisant, comme leurs frères d'armes du Sud, ils battent enbrèche le monopole de la violence légitime de la police fédérale, de plus en plus réduite à un rôle d'observateur dans le naufragede l'ordre républicain.
Bientôt, face aux menaces d'éclatement, l'armée apparaîtra-t-elle de nouveau comme unique recours, seulealternative ?
Au Zamfara, la cause divine est entendue.
Ici, où le « calendrier des colons » est ressenti comme une violence symboliqueparticulièrement perverse, tout le monde a relevé « un signe d'Allah ».
C'est en 1220 après l'hégire, en 1805 pour lesOccidentaux, que le vaste djihad, qui devait aboutir au califat de Sokoto, a été déclenché ici.
Ce fut le triomphe de l'islam.Exactement un siècle plus tard, en 1320, Sokoto, Zamfara et Kano ont été conquis par les « infidèles », les troupes britanniques.Ce fut la défaite, l'humiliation.
Or c'est en 1420 - 1999 pour les chrétiens - que le mujaddidi Ahmad Sani a été élu gouverneur duZamfara, et qu'un mouvement général de reconquête est parti de ce foyer irradiant de la charia...
STEPHEN SMITH.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Monsieur Le Trouhadec saisi PAR LA DÉBAUCHE de Jules Romains (résumé de l'oeuvre & analyse détaillée)
- MONSIEUR LE TROUHADEC SAISI PAR LA DÉBAUCHE. (résumé)
- Shell Nigeria
- Port Harcourt, ville du Nigeria, chef-lieu de l'État des Rivières.
- Le Nigeria, République fédérale, pays le plus peuplé et le plus puissant d'Afrique occidentale, est l'héritier de brillantes civilisations, échelonnées du IVe au XIXe siècle : cités-États yorubas, royaumes haoussas, ibos, du Bénin.