Le jour où mourut Dieu le père...
Publié le 22/02/2012
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fanatiques fonçaient encore.
On estime à quelque quinze cents le nombre des morts que causa la mort de Staline.
Au matin du 9, quand, précédée de lentes montagnes de fleurs en marche, dans le tonnerre des tambours et des cuivres, laprolonge d'artillerie, attelée à six, qui portait qui portait le cercueil, déboucha sur la place Rouge, où s'inclinaient les lourdsdrapeaux des régiments, il y eut un instant de grandeur.
Mais si les chefs des partis communistes du monde entier s'entassaient surle mausolée, où, pendant la nuit, le nom de Staline avait été gravé à côté de celui de Lénine; si les gradins du corps diplomatiqueet de la presse étaient combles; si les délégations désignées par les entreprises garnissaient les trottoirs, le peuple avait étérenvoyé au travail.
Les compte rendus débités par les haut-parleurs donnaient l'impression d'être bâclés.
Les discours, deMalenkov puis de Beria, annonçaient une politique nouvelle-détente, souci du consommateur, respect des lois,-sur le ton de labanalité.
Seul l'impavide Molotov semblait ému : à un moment, sa voix se cassa.
La censure coupa la mention qu'en firent lesjournalistes.
Un mois durant, les étonnements continuèrent.
L'horaire de la vie quotidienne changea : les fonctionnaires avaient coutume depasser la nuit dans leurs bureaux au cas où le Kremlin téléphonerait; un décret leur enjoignit de vider les lieux à 18 heures pour lesréintégrer à 9.
On était impatient de voir au moins au cinéma les funérailles; le film ne fut jamais projeté.
Toutes les revues préparaient dans lafièvre des numéros spéciaux à la mémoire de Staline; du Comité central tomba l'ordre de parler d'autre chose.
Il était difficile dene pas penser aux lendemains de la mort du Roi-Soleil.
L'opinion, toutefois, ne s'intéressait guère à l'organisation du pouvoir : que Malenkov laissât à Khrouchtchev les fonctions depremier secrétaire du parti passa inaperçu.
Des bruits couraient, en revanche, qui n'étaient pas fumées sans feu : par exemple, quele Politburo siégeait sans désemparer, mangeant et campant au Kremlin, puisque chacun se méfiait des autres.
Les réformes pouramadouer manquaient leur but : l'amnistie ne touchait pas les détenus politiques; la baisse des prix, quoique considérable,n'empêchait pas que beaucoup des produits concernés demeuraient introuvables.
L'antique croyance aux présages se réveilla.Cinq jours après les obsèques, Gottwald, le numéro un tchécoslovaque, mourait d'une pneumonie contractée sur le mausolée; unpeu plus tard, Yves Farge, autre invité à la cérémonie funèbre, était tué dans un accident d'auto, près de Tbilissi, au retour d'unpèlerinage à la ville natale du défunt; la malédiction ne pouvait faire de doute.
Et un mois, jour pour jour, après l'annonce de la maladie de Staline, la presse divulgua une nouvelle effarante.
Il s'agissait d'un communiqué du ministère de l'intérieur, c'est-à-dire de Beria.
Les médecins inculpés de complot étaient tousinnocents.
Leurs aveux avaient été arrachés par " des méthodes d'instruction intolérables et strictement interdites ".
L'énumération des personnalités arrêtées comportait deux noms de plus que la liste des remises en liberté : deux patientsavaient donc péri sous la torture.
L'ex-vice-ministre de la sûreté, Rioumine, emménagea sur-le-champ dans une des cellules libérées par les médecins.
L'ex-ministre, Ignatiev, dut à la protection de Khrouchtchev d'être seulement envoyé administrer un trou de province.
La purge de lahaute police toucha jusqu'à des généraux, dont l'époux d'une danseuse connue.
Après avoir vilipendé les torturés, les gazettes sedéchaînèrent contre les tortionnaires.
L'opinion avait-elle vraiment cru au complot ? A la mort de Staline, des coeurs simples soupiraient : " Si l'on n'avait pas mis enprison nos meilleurs médecins, ils L'auraient sauvé! " Que la terreur eût frappé des innocents, on s'en doutait.
Au sujet destortures, les bagnards libérés (par le même Beria) entre 1938 et 1941 avaient fait quelques confidences.
Le choc venait de ceque, cette fois encore, " c'était dans le journal ".
Pour la première fois, le pouvoir suprême reconnaissait s'être trompé.
Et avoirtrompé.
L'aveu était inévitable.
Avec l'affaire des médecins, Staline laissait en héritage une terreur entamée.
Lui seul ayant le charismequ'il fallait pour la mener à bien, Beria s'était empressé de liquider un legs encombrant.
Il venait ainsi de déclencher le mécanismequi allait l'écraser : ce qu'on est convenu d'appeler la déstalinisation.
On ne gouverne pas après Dieu.
Or l'opinion n'était pas prête pour apprendre que ce dieu était un criminel.
De surcroît, leshéritiers avaient tous participé aux crimes.
Comme Beria était dangereux pour tous-la libération des médecins l'avait rendupopulaire, il avait des idées, et il en savait trop sur chacun,-il fut unanimement choisi pour porter les forfaits de tous.
C'était, aureste, justice : si les autres avaient autant de sang que lui sur les mains, lui les avait mises à la pâte.
Arrêté par surprise en juin,interrogé au point qu'il aurait tenté de se couper les veines avec les verres de son lorgnon, il fut exécuté pour la Noël encompagnie d'une première fournée de boucs émissaires..
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