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Le Japon capitule

Publié le 22/02/2012

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2 septembre 1945 - Quand l'Allemagne nazie capitula au début de mai 1945, la guerre mondiale paraissait encore loin de sa fin : elle continuait à sévir dans l'hémisphère asiatique. Les Etats-Unis, à peu près seuls à mener la guerre du Pacifique, avaient encore devant eux une tâche formidable : achever d'abattre le Japon en y débarquant et en battant les forces qui attendaient ce débarquement. On sait aujourd'hui comment et quand " normalement " la guerre japonaise aurait dû se terminer. Le commandement américain calculait qu'il avait encore devant lui une force redoutable : deux millions et demi de soldats qui n'avaient pas encore combattu. Certes, l'issue de la lutte ne faisait aucun doute. La première vague américaine serait forte de huit cent mille assaillants. Elle s'appuierait sur une armée comptant au total sept millions d'hommes, disaient les chiffres officiels. L'Amérique jetterait dans la bataille une magnifique aviation de onze mille appareils, et une flotte d'une puissance jamais vue, comprenant, entre autres, vingt porte-avions géants, vingt-trois cuirassés et deux cent cinquante sous-marins. Mais battre les restes de l'armée impériale n'irait pas sans peine ni délai, calculaient les états-majors. L'infanterie, qui attendait à terre les envahisseurs, était animée de la même résolution suicidaire que les Kamikaze, précédemment sacrifiés au-dessus des flots. Frapper directement le Japon au coeur paraissait une tâche impossible. Les plans d'opérations prévoyaient une stratégie plus prudente, qui procéderait en deux grands phases : d'abord un débarquement tout au sud du Japon, dans l'île de Kyushu, où l'on installerait une puissante tête de pont puis, plusieurs mois après, un débarquement sur les plages proches de Tokyo et, alors seulement, une attaque frontale et finale. Calendrier de ces opérations : la première à l'automne 1945, la seconde au printemps 1946 . On n'en finirait pas avant l'été de cette année-là. Les généraux américains auraient été stupéfaits si on leur avait parlé d'une capitulation japonaise en août 1945. Pour eux, on avait encore devant soi, au moment de la capitulation allemande, plus d'un an de guerre encore, et d'une guerre qui s'annonçait coûteuse pour les conquérants américains. Sans parler des pertes japonaises à prévoir, en particulier dans la population civile. A Moscou on faisait les mêmes calculs. L'empereur recherche la paix Qu'en était-il à Tokyo? Derrière une unanimité de façade pour la défense du " sol sacré ", qui jamais dans l'histoire n'avait connu la souillure d'une invasion étrangère, les dirigeants nippons étaient, en réalité, divisés en deux clans, celui de la paix et celui de la résistance jusqu'au bout. La réalité que l'on cachait au peuple, mais que les gouvernants connaissaient, était que le Japon se trouvait déjà complètement battu, plus battu en fait que ne le soupçonnaient même les Alliés. Depuis la fin de l'hiver, ses grandes villes-construites en bois !-brûlaient l'une après l'autre sous les effrayants raids incendiaires menés par les bombardiers venant du Pacifique sud. Cela, le peuple le savait, mais on avait réussi à lui cacher une terrible catastrophe: la flotte impériale n'existait plus après les grandes batailles aéronavales, il n'en restait littéralement plus rien. L'aviation n'avait plus assez d'essence. L'industrie, spécialement les usines de guerre, connaissait une chute désastreuse de la production. La crise de l'alimentation était entrée dans une phase aiguë, et les Japonais commençaient à mourir de faim. Dans cette situation, un fait nouveau, secret à l'intérieur du secret : l'empereur lui-même voulait maintenant l'arrêt des hostilités et c'est autour de lui que se groupaient et s'organisaient clandestinement les partisans de la paix. En tout autre pays, le fait eût été décisif : le souverain aurait parlé et ordonné. Mais depuis trop longtemps, il avait laissé les militaires et les " superpatriotes " d'extrême droite maîtres des ordres, des décisions, de la propagande. Prisonnier de ses états-majors, prisonnier aussi de son propre passé, prisonnier de la légende nationale et des mensonges administrés durant tant d'années au peuple, il ne pouvait ni n'osait faire entendre sa voix. Avec des illusions qui paraissent aujourd'hui incroyables, la diplomatie japonaise, se réveillant d'un long sommeil se lança, à la fin de mai, dans une tentative secrète pour obtenir une médiation de l'Union soviétique entre le Japon et les Alliés. Car le Kremlin en était encore-une des roueries étonnantes de Staline-à respecter le pacte de neutralité russo-japonais... ou à faire semblant. L'empereur voulait donc envoyer un émissaire clandestin à Moscou pour demander les bons offices des Russes en vue d'une paix de compromis. Entre cette aventure, qu'on est tenté d'appeler farfelue, et les préparatifs ouverts et bruyants des jusqu'au-boutistes, dont la frénésie de suicide national s'enflait encore depuis la bataille perdue d'Okinawa, la partie n'était vraiment pas égale. Le Japon tout entier commençait à glisser de toute sa masse vers la tragédie de la " bataille suprême ". L'armée y préparait même les civils, les enfants, les femmes. Et ce final de la guerre du Pacifique aurait pu, aurait dû, être d'autant plus spectaculaire que Staline, à mille lieues de ce que le naïf empereur du Japon espérait de lui, s'apprêtait à jeter dans cette bataille les armées de l'Union soviétique maintenant libérées du péril allemand à l'Ouest. Les armées russes auraient, calculait-il, entre six mois et un an pour tailler en pièces le Japon. Leur ligne de départ, à terre, en Sibérie, était plus favorable, plus proche du but, que celle de McArthur, attaquant par mer et visant seulement, pour commencer, le sud de l'archipel. Les Russes avaient des chances d'êtres à Tokyo les premiers ! Le 8 août, l'URSS déclarait la guerre au Japon, et ses troupes bousculaient l'armée japonaise en Mandchourie. Hélas ! pour Staline, deux jours auparavant s'était produit un événement prodigieux qui changeait la guerre et l'histoire : la bombe de Hiroshima ! La guerre russo-japonaise, au lieu de dix mois ou plus, allait durer six jours. Pour Hiro-Hito lui aussi, le stupéfiant cataclysme renversait la situation. Du point de vue militaire, sans doute, elle n'ajoutait guère à la défaite, puisque tout était déjà perdu, et que cent villes japonaises avaient été rasées par les bombes incendiaires presque aussi complètement que Hiroshima. Mais, du point de vue politique, la bombe atomique changeait tout. Elle donnait enfin au souverain une arme pour imposer sa volonté de paix aux chefs de l'armée. Depuis le 26 juillet, le Japon se trouvait devant l'ultimatum que lui avaient adressé de Potsdam Truman, Churchill et Tchiang Kaï-Chek (Staline, cachant ses plans, n'en était pas). Il était sommé de capituler, sinon il verrait s'abattre sur lui, disaient les trois, " une puissance infiniment plus grande que celle qui dévasta l'Allemagne ". Le sens caché de cette formule éclatait maintenant au grand jour. C'est le 14 août, après les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki, que, au milieu des sanglots, les ministres prostrés devant l'empereur finirent, comme il le leur demandait, par " accepter l'inacceptable ". La rébellion d'un groupe d'officiers fanatiques, à Tokyo, faillit encore tout faire échouer. Un peu partout dans le pays et sur les fronts d'Asie des centaines d'officiers et de soldats préférèrent se suicider plutôt que de capituler. Mais la grande masse de l'armée céda : l'empereur avait parlé, sa parole libérait ses sujets du devoir de mourir. La population civile, elle, avait été volontairement maintenue dans l'ignorance. Le secret était tel que, jusqu'à la paix revenue, jamais le fait même de la bombe atomique ne fut officiellement annoncé au peuple par les autorités japonaises. Pendant six jours, les Japonais ne recueillirent, à ce sujet, que des rumeurs plus ou moins fantastiques. C'est seulement après la paix revenue, et par les informations américaines, qu'ils ont commencé à connaître peu à peu l'horreur de Hiroshima. Allaient-ils accueillir leurs vainqueurs par une explosion de haine? Après le débarquement, les G.I. allaient-ils se faire assassiner ? Non seulement il n'en fut rien, mais, de façon inattendue, paradoxale, il ne fallut pas un mois pour que les Américains fussent traités en hôtes bienvenus ne voyant autour d'eux que des sourires. Hypocrisie? Retournement de veste à l'échelle d'un peuple entier ? Ce n'était pas cela, mais plutôt l'immense soulagement de la paix et le sentiment que les occupants étaient aussi des libérateurs : ils délivraient le Japon du long cauchemar du fascisme militaire. Les grandes orientations du " Nouveau Japon " ont été immédiates, visibles dès les premiers jours après la capitulation, et en grande partie spontanées. La première est cette " allergie atomique ", qui va de pair avec une détestation profonde des militaires, en dépit de toute la légende ancienne des samouraï et du bushido. La seconde est, sinon l'anticommunisme, du moins l'allergie, pour reprendre le même mot, au communisme. Dans l'état où il était en 1945, ce pays privé de toute liberté et habitué à l'obéissance, ce pays où tout le monde était également ruiné et misérable, aurait pu tomber tout naturellement dans la révolution et le communisme. Il n'en a rien fait. L'occupation américaine, bien moins par la contrainte que par un effet en quelque sorte catalyseur, a mobilisé d'emblée dans le tempérament japonais tout ce qui pousse à l'ordre accepté, au travail constructeur, au conservatisme. La troisième est l'appartenance au camp américain dans la guerre froide. Car le Japon est le premier pays où jaillit l'étincelle de la guerre froide elle apparaît au lendemain même de la défaite nippone bien mieux, avant même cette défaite : la bombe atomique en est en réalité la retentissante ouverture. Si Truman et Churchill ont décidé de s'en servir contre les Japonais, une de leurs grandes raisons est d'escamoter la participation des Russes à la victoire sur le Japon. Ils regrettent maintenant d'avoir invité Staline à la dernière partie de la guerre du Pacifique et à la curée finale. L'explosion expérimentale du Nouveau-Mexique leur a révélé, en plein milieu de la conférence de Potsdam, quelle arme fantastique ils ont à leur disposition pour en finir avec les Japonais : ils n'ont plus aucune envie de partager la victoire, cette victoire devenue toute proche, immédiate, instantanée ! Il n'y aura pas de Japon coupé en deux, comme l'Allemagne, comme la Corée. Grâce à la bombe, Staline aura " raté " le Japon... Mais que ce ne soit pas une excuse, encore moins une justification, pour le crime d'Hiroshima et de Nagasaki. On ne redira jamais assez que s'il fallait qu'elle fût lancée, elle aurait pu l'être à titre de démonstration, " proprement ", sans victimes, sur quelque île inhabitée à portée du Japon. Certains de ses inventeurs eux-mêmes avaient supplié Truman d'agir ainsi. ROBERT GUILLAIN Le Monde du 14 août 1975
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« Le Japon tout entier commençait à glisser de toute sa masse vers la tragédie de la " bataille suprême ".

L'armée y préparaitmême les civils, les enfants, les femmes.

Et ce final de la guerre du Pacifique aurait pu, aurait dû, être d'autant plus spectaculaireque Staline, à mille lieues de ce que le naïf empereur du Japon espérait de lui, s'apprêtait à jeter dans cette bataille les armées del'Union soviétique maintenant libérées du péril allemand à l'Ouest. Les armées russes auraient, calculait-il, entre six mois et un an pour tailler en pièces le Japon.

Leur ligne de départ, à terre, enSibérie, était plus favorable, plus proche du but, que celle de McArthur, attaquant par mer et visant seulement, pour commencer,le sud de l'archipel.

Les Russes avaient des chances d'êtres à Tokyo les premiers ! Le 8 août, l'URSS déclarait la guerre au Japon, et ses troupes bousculaient l'armée japonaise en Mandchourie.

Hélas ! pourStaline, deux jours auparavant s'était produit un événement prodigieux qui changeait la guerre et l'histoire : la bombe deHiroshima ! La guerre russo-japonaise, au lieu de dix mois ou plus, allait durer six jours. Pour Hiro-Hito lui aussi, le stupéfiant cataclysme renversait la situation.

Du point de vue militaire, sans doute, elle n'ajoutaitguère à la défaite, puisque tout était déjà perdu, et que cent villes japonaises avaient été rasées par les bombes incendiairespresque aussi complètement que Hiroshima.

Mais, du point de vue politique, la bombe atomique changeait tout.

Elle donnait enfinau souverain une arme pour imposer sa volonté de paix aux chefs de l'armée. Depuis le 26 juillet, le Japon se trouvait devant l'ultimatum que lui avaient adressé de Potsdam Truman, Churchill et TchiangKaï-Chek (Staline, cachant ses plans, n'en était pas).

Il était sommé de capituler, sinon il verrait s'abattre sur lui, disaient les trois," une puissance infiniment plus grande que celle qui dévasta l'Allemagne ".

Le sens caché de cette formule éclatait maintenant augrand jour. C'est le 14 août, après les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki, que, au milieu des sanglots, les ministres prostrésdevant l'empereur finirent, comme il le leur demandait, par " accepter l'inacceptable ". La rébellion d'un groupe d'officiers fanatiques, à Tokyo, faillit encore tout faire échouer.

Un peu partout dans le pays et sur lesfronts d'Asie des centaines d'officiers et de soldats préférèrent se suicider plutôt que de capituler.

Mais la grande masse del'armée céda : l'empereur avait parlé, sa parole libérait ses sujets du devoir de mourir. La population civile, elle, avait été volontairement maintenue dans l'ignorance.

Le secret était tel que, jusqu'à la paix revenue,jamais le fait même de la bombe atomique ne fut officiellement annoncé au peuple par les autorités japonaises. Pendant six jours, les Japonais ne recueillirent, à ce sujet, que des rumeurs plus ou moins fantastiques.

C'est seulement après lapaix revenue, et par les informations américaines, qu'ils ont commencé à connaître peu à peu l'horreur de Hiroshima. Allaient-ils accueillir leurs vainqueurs par une explosion de haine? Après le débarquement, les G.I.

allaient-ils se faireassassiner ? Non seulement il n'en fut rien, mais, de façon inattendue, paradoxale, il ne fallut pas un mois pour que les Américainsfussent traités en hôtes bienvenus ne voyant autour d'eux que des sourires.

Hypocrisie? Retournement de veste à l'échelle d'unpeuple entier ? Ce n'était pas cela, mais plutôt l'immense soulagement de la paix et le sentiment que les occupants étaient aussides libérateurs : ils délivraient le Japon du long cauchemar du fascisme militaire. Les grandes orientations du " Nouveau Japon " ont été immédiates, visibles dès les premiers jours après la capitulation, et engrande partie spontanées.

La première est cette " allergie atomique ", qui va de pair avec une détestation profonde des militaires,en dépit de toute la légende ancienne des samouraï et du bushido. La seconde est, sinon l'anticommunisme, du moins l'allergie, pour reprendre le même mot, au communisme.

Dans l'état où ilétait en 1945, ce pays privé de toute liberté et habitué à l'obéissance, ce pays où tout le monde était également ruiné et misérable,aurait pu tomber tout naturellement dans la révolution et le communisme. Il n'en a rien fait.

L'occupation américaine, bien moins par la contrainte que par un effet en quelque sorte catalyseur, a mobiliséd'emblée dans le tempérament japonais tout ce qui pousse à l'ordre accepté, au travail constructeur, au conservatisme.

Latroisième est l'appartenance au camp américain dans la guerre froide.

Car le Japon est le premier pays où jaillit l'étincelle de laguerre froide elle apparaît au lendemain même de la défaite nippone bien mieux, avant même cette défaite : la bombe atomiqueen est en réalité la retentissante ouverture.

Si Truman et Churchill ont décidé de s'en servir contre les Japonais, une de leursgrandes raisons est d'escamoter la participation des Russes à la victoire sur le Japon.

Ils regrettent maintenant d'avoir invitéStaline à la dernière partie de la guerre du Pacifique et à la curée finale.

L'explosion expérimentale du Nouveau-Mexique leur arévélé, en plein milieu de la conférence de Potsdam, quelle arme fantastique ils ont à leur disposition pour en finir avec les. »

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