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Le débarquement allié en Afrique du Nord (document Le Monde)

Publié le 18/11/2014

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Le débarquement allié en Afrique du Nord (document Le Monde)

 

Le débarquement allié en Afrique du Nord

 

8 novembre 1942

 

Le 8 novembre 1942, entre 1 heure et 5 heures du matin, les forces anglo-américaines débarquent au Maroc et en Algérie.

Elles sont reçues à coups de canon. L'opération Torch fera passer dans le camp des Alliés l'Algérie et le royaume chérifien, rentrer dans la guerre des troupes françaises restées loyales à Vichy. Elle donnera à la coalition une plate-forme en Méditerranée pour la reconquête de l'Europe.

Mais elle se soldera par quinze cents morts du côté français, le cuirassé Jean-Bart, arraché à sa cale de construction de Saint-Nazaire à la barbe des Allemands en 1940, très gravement endommagé, deux croiseurs, trois contre-torpilleurs, sept torpilleurs, quatorze sous-marins français coulés par les Alliés, cinq cents morts ou disparus du côté anglo-américain, l'invasion de la zone sud par les Allemands le 11 novembre et, le 26, le sabordage à Toulon de la flotte de haute mer.

L'opération Torch, ainsi baptisée par Winston Churchill, avait été décidée le 25 juillet à Londres : il fallait absolument, en ouvrant un théâtre d'opérations en Europe, soulager l'URSS, qui portait tout le poids de la puissance militaire nazie. Robert Murphy, consul général à Alger et représentant personnel de Roosevelt, qui avait déjà, avant l'éviction de Weygand sous la pression allemande, conclu avec ce dernier des accords sur le ravitaillement de l'Algérie, est chargé de la préparation politique du débarquement.

Le double jeu américain Murphy mène de pair des contacts avec les autorités de Vichy et le groupe des Cinq, qui conspire pour rallier l'Afrique du Nord aux Américains. Il est formé d'un industriel, Lemaigre-Dubreuil, d'un diplomate, Jacques Tarbé de Saint-Hardouin, de Jean Rigault, ancien secrétaire général du quotidien le Jour, du chef régional des chantiers de jeunesse, Alphonse Van Hecke, et d'un officier de son état-major, Henri d'Astier de la Vigerie. Rigault et d'Astier sont monarchistes ; tous sont des hommes de droite. Autour d'eux gravitent le lieutenant-colonel Jousse, qui assure la liaison avec le général Mast, commandant la région d'Alger, qui est du complot, un commissaire de police, Jacques Achiary, des officiers du deuxième bureau. Le mouvement clandestin de résistance gaulliste Combat est représenté à Alger par le professeur René Capitant. Il dispose d'un groupe de jeunes gens mal armés.

Pour la première fois, une grande entreprise militaire et politique mondiale est conduite par les États-Unis. Si les Européens mesurent mal leur puissance économique, industrielle et militaire, et leur détermination, le président a de l'Europe, et de la France en particulier, une vision plus que sommaire, et pour le moins inamicale.

Il a entretenu avec Vichy, par l'intermédiaire de l'amiral Leahy, des rapports courtois et même chaleureux. De toute façon, la France est à ses yeux un pays à occuper et à administrer plus encore qu'à libérer.

De Gaulle est sa bête noire. Libérer l'Afrique du Nord française serait une bonne occasion de se débarrasser, en lui suscitant des rivaux puissants, de ce personnage inflexible. Le commandant suprême, Dwight Eisenhower, inaugure des fonctions toutes neuves. Il ne connaît la France que pour y avoir séjourné au cours d'une mission sur les tombes militaires américaines. Il est installé dans les souterrains de Gibraltar. Son adjoint Mark Clark, qui s'est rendu clandestinement à Cherchell le 21 octobre pour y rencontrer les conjurés.

Du côté français, de Gaulle, à Londres, est hors circuit. On lui a tout caché. Sa première réaction sera de dire au colonel Billotte, son chef d'état-major : « J'espère bien que les gens de Vichy les jetteront à la mer. On ne pénètre pas en France par effraction. « Mais il saluera à la radio l'entreprise alliée et exhortera les Français d'Afrique du Nord à s'y rallier. Ce qui n'aura guère d'influence : la grande majorité des Européens est fidèle à Vichy, fortement marquée d'antisémitisme et encadrée par une puissante légion des combattants. Les pieds-noirs, comme on ne les appelle pas encore, n'en verseront pas moins leur sang pour la libération de la métropole.

L'armée, en Afrique du Nord, représente 15 % de la population européenne. Plus nombreuse que l'armée d'armistice en métropole, elle est, grâce à Weygand, bien encadrée, sinon bien équipée. Marquée par le souvenir de la destruction par la Royal Navy de la flotte de Mers-el-Kébir et surtout par celui, plus récent, de son éviction du Levant, elle est antigaulliste et anti-anglaise. Ses cadres ont prêté serment au maréchal ; ils sont persuadés qu'il est, comme eux-mêmes, prêt à reprendre le jour venu la guerre contre l'Allemagne.

Comme le général Giraud, prisonnier fraîchement évadé d'Allemagne que les Cinq ont convaincu de prendre le pouvoir et le commandement, ils sont imbus de la supériorité supposée du militaire français.

 

Darlan l'inattendu

À Gibraltar, Eisenhower a quelque peine à lui expliquer que le grand chef, c'est lui-même, et qu'il n'est pas question de lui donner, à lui Giraud, le commandement en chef de toutes les forces alliées en Méditerranée pour débarquer illico en Provence. Les négociations seront si longues qu'il n'est pas à Alger le 8 novembre, et que l'appel qui lui est prêté est lu sans grand écho, à la radio, par un résistant algérois, Raphaël Aboulker, qui se fait passer pour lui.

En revanche, Darlan, qu'on n'attendait pas, est arrivé le 5 novembre au chevet de son fils Alain, atteint d'une poliomyélite.

Son séjour a-t-il ce seul motif ? Il est certes suffisant. Ce marin roublard, après avoir cru à la victoire de l'Allemagne, pense maintenant depuis quelques mois que le vent a tourné, s'il n'estime pas les États-Unis capables d'une action de grande envergure avant 1943. Laval l'a évincé de ses fonctions de vice-président du conseil - chef du gouvernement de fait - mais il reste le dauphin de Philippe Pétain et commandant en chef des armées. Il n'oublie pas qu'il tient sa légitimité du maréchal, et que les Allemands - et ils n'y manqueront pas - envahiront la zone non occupée si l'Afrique du Nord se rallie aux Alliés.

Son principal atout, la flotte de haute mer qu'il a lui-même construite, est à Toulon, sous les ordres de l'amiral Jean de Laborde violemment anti-anglais.

Dans la nuit du 7 au 8 novembre, les jeunes résistants, avertis à la dernière minute par Murphy, s'emparent de la poste d'Alger, du commissariat central, des centres de communication avec la métropole et surtout de la villa des Oliviers, où dorment Darlan et le général Juin. Au Maroc, le général Béthouart encercle la résidence du général Noguès et le somme de se rallier.

Un aviso anglais tente de forcer l'entrée du port d'Alger pour y débarquer des rangers. Les canons de la marine le réduisent à l'état d'épave. Un peu partout, l'opération prend du retard. Les Américains, qui ont été pourvus de guides fournis par les conjurés, n'entrent pas dans Alger. La lenteur de leur progression, la prudente éclipse du général Mast, donnent le temps aux forces loyales à Vichy de se ressaisir. Le commandant Dorange, qui découvre par hasard qu'ils sont prisonniers des volontaires de l'aspirant Pauphilet, délivre son chef le général Juin et Darlan. Au Maroc, le général Béthouart, encerclé à son tour, est traduit devant un tribunal militaire et échappera de justesse, grâce au général Patton qui commande les troupes américaines, au poteau d'éxécution. On se bat durement à Oran. Giraud n'arrivera que le lendemain à Blida, resté, grâce au général de Monsabert, aux mains des conjurés. Personne, ou presque, ne l'y attend plus.

S'engage entre Murphy et le général Clark, d'un côté, Darlan assisté du général Juin de l'autre, une étonnante négociation. Les deux premiers veulent un cessez-le-feu, Darlan veut se couvrir d'un accord que Pétain, à Vichy, ne peut lui donner ouvertement. Juin, homme de bon sens, s'efforce de calmer à la fois l'amiral et les Américains.

On parle de « baroud d'honneur « ; les Américains ne peuvent concevoir qu'on puisse faire tuer des soldats de part et d'autre pour satisfaire les consciences de grands chefs militaires. L'amiral fait enfin état d'un message secret faisant part de l'« accord intime « du maréchal (et curieusement « du président Laval «) pour rassurer les esprits scrupuleux. Une suspension d'armes locales est conclue à Alger. Il faudra deux jours pour qu'un accord général soit réalisé. Il n'englobe pas la Tunisie, où les Alliés n'ont pas débarqué, mais où les Allemands ont profité des états d'âme du résident général, l'amiral Esteva, fidèle à Vichy, pour envoyer des troupes aéroportées. Le général Barré, commandant des troupes terrestres de la régence, s'est, lui, replié vers la frontière algérienne en contenant de son mieux l'avance de la Wehrmarcht.

Pétain, malgré lui, reste officiellement au pouvoir en Afrique du Nord. Roosevelt qualifiera Darlan d'« expédient provisoire «. La législation antijuive mettra quelque temps à être abrogée, une partie des « résistants du 8 novembre « se retrouveront internés derrière des barbelés. L'amiral, lâché progressivement par ses « parrains «, règnera tant bien que mal jusqu'au 24 décembre, où il tombera sous les balles du jeune Bonnier de la Chapelle.

 

Jean Planchais

Le Monde du 16 novembre 1992

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