Le Bonheur est-il le but de l'existence ?
Publié le 22/02/2012
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Quel rapport pouvons-nous nouer (ou dénouer) entre ces deux notions particulières de bonheur et d'existence ? Le bonheur, d'abord, comporte un paradoxe dans son essence même. Nous pouvons convenir que tous le recherchent et que tous les existants espèrent y parvenir. Néanmoins, comme le rappelait Kant dans les Fondements de la métaphysique des moeurs, il nous est impossible d'en former un concept universalisable. Il est un pur produit de l'imagination. Nous recherchons ainsi quelque chose qui nous est propre. Peut-on cependant rechercher ce que l'on n'a pas perdu auparavant ? Le bonheur se présente donc comme un état de perfection qui nous a échappé et que nous chercherions à retrouver. Or, quand l'aurions-nous perdu ? Avant d'exister semble-t-il ! Comment cherchons-nous à le retrouver ? En existant semble-t-il aussi !... S'il est assuré que nul ne peut orienter volontairement sa vie vers le malheur, est-il si évident de prétendre que le bonheur soit le but de l'existence ? Par rapport à la moralité et à la société n'y a-t-il pas des obstacle pour atteindre ce bonheur ?
1. La quête du bonheur
Il est difficile de concevoir un individu recherchant, non le bonheur, mais son propre malheur. L'accès au bonheur paraît être un désir universel, mais après ce constat, c'est la définition même du bonheur qui fait immédiatement problème.
Étymologiquement, bonheur désigne ce qui échoit à un sujet, mais par hasard, en fonction d'une "chance" : l'individu le recevrait alors passivement. Si cette chance est "bonne", cela signifie-t-il qu'elle nous accorde un "bien" (y compris moral), ou plus simplement quelque chose de momentanément agréable ? Surgit ici une nouvelle difficulté : le bonheur peut-il être admis comme passager ? n'implique-t-il pas au contraire un état durable ? Enfin, s'il nous est accordé par des circonstances heureuses, comment s'en rendre maître ?
Avant d'aborder ces questions, on doit souligner que le terme ne s'applique qu'à un être pleinement conscient, et donc capable, d'une part de concevoir ce qui pourrait le rendre heureux, de l'autre d'apprécier relativement à cette conception la situation dans laquelle il se trouve. Ce n'est que métaphoriquement que l'on peut évoquer le bonheur d'un enfant ou d'un animal, car il n'y a de bonheur que là où existe une réflexion sur l'accord possible entre l'être et le monde.
2. Bonheur et moralité
La philosophie de l'Antiquité affirme globalement une relation entre la vie heureuse et l'exigence morale : rechercher le bonheur, c'est viser le souverain Bien. Dans ce contexte, le bonheur résulte de décisions humaines, il ne dépend plus seulement du hasard.
On peut alors considérer que le bonheur est la conséquence de la pratique de la vertu : le sage, l'homme vertueux, est justement récompensé de ses efforts. C'est la définition de la vertu qui divise ensuite les philosophes. Aristote considère qu'être vertueux, c'est réaliser pleinement ce pour quoi on est apte : la vertu de l'homme consiste alors à se consacrer à la pensée rationnelle (la theoria) une fois que les besoins élémentaires sont satisfaits. Pour les Épicuriens, être heureux, c'est connaître l'"ataraxie" (absence de trouble), ce qui ne peut s'obtenir qu'en sélectionnant les désirs et en ne satisfaisant que ceux que la nature rend nécessaires. Le bonheur réside alors dans une vie ascétique. Quant aux Stoïciens, ils développent également une conception assez "négative" de la vertu et du bonheur, puisque de leur point de vue, c'est en acquiesçant à l'ordre du monde et à sa rationalité globale que le sage peut en bénéficier.
Tout autre est la position de Kant. Il considère que le bonheur ne peut constituer un but pour l'existence morale, qui ne doit être réglée que par l'idée de loi émanant de l'autonomie de la volonté. De plus, le bonheur accessible au cours de la vie terrestre lui paraît manquer de plénitude. Prendre le bonheur au sérieux, c'est le penser comme devant être illimité. Aussi ne peut-il concerner que la vie posthume de l'âme, et son seul rapport avec la moralité est qu'elle nous en rend dignes (sans toutefois qu'il soit obtenu automatiquement : c'est une décision de Dieu qui nous l'accorde ou non).
3. Bonheur et société
Le rigorisme kantien rejoint ainsi la tradition chrétienne : le bonheur n'est pas de ce monde. C'est néanmoins au XVIIIe siècle que l'éventualité du bonheur commence à être pensée en relation avec les conditions de la vie sociale. L'addition des progrès partiels (dans l'éducation, l'organisation politique, la liberté, la production et la consommation des marchandises) ne permettrait-elle pas de garantir une vie de plus en plus heureuse pour une population de plus en plus nombreuse ?
Rousseau réagit déjà négativement face à un tel espoir, en dénonçant l'aliénation de l'être dans l'extériorité et dans un paraître trompeur :" C'est en vain qu'on cherche au loin son bonheur quand on néglige de le cultiver en soi-même." Les analyses ultérieures de la société de consommation considèrent de même que les "petits bonheurs" qu'elle nous promet remplissent une fonction idéologique : l'acquisition interminable d'indices de standing et de marques de distinction sociale n'aboutit qu'à une fuite en avant, qui masque la réalité des inégalités dans l'accès aux marchandises. Le bonheur espéré n'est qu'un mythe.
On peut alors s'interroger, notamment à partir des conceptions freudiennes, pour savoir si la plénitude impliquée par le bonheur est réalisable. Si toute culture s'élabore sur un refoulement des pulsions, les désirs les plus profonds de l'individu sont condamnés à ne jamais trouver leur satisfaction. Puisque toute civilisation est nécessairement répressive, force est de constater que le bonheur n'est rien de plus qu'une utopie. Peut-être est-elle nécessaire au déploiement de l'activité humaine, mais la lucidité oblige à la situer comme un but impossible à atteindre.
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