Laurent Schwartz ou le "grand soir" des mathématiques
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
«
en pleine guerre, au coeur de cette génération qui allait reconstruire les mathématiques à la base, en réinventer les objets, lesclassifications et l'écriture.
Le voilà, entre faux papiers et ravitaillement, rédigeant fin 1942 sa thèse sur "des sommes d'exponentielles réelles" et "d'exponentielles imaginaires" .
Le voilà enfin, de retour à Paris en novembre 1944, découvrant subitement, en une seule nuit - "la plus belle nuit de [sa] vie" -, la théorie des distributions, qui allait lui valoir, six ans plus tard, la médaille Fields, le prix Nobel des mathématiciens.
Le récit, équations et fonctions à l'appui, que fait Laurent Schwartz de sa découverte dans son autobiographie comblera lesspécialistes et fera deviner aux autres la part de poésie, presque onirique, des mathématiques.
Il reste qu'en généralisant la notionclassique de fonctions, en considérant que toute fonction est dérivable et que cette dérivabilité s'étend même à des fonctionsdiscontinues, il a levé un obstacle sur lequel butaient depuis des années les physiciens et mis au point des concepts indispensablesà la formulation et à la compréhension de la mécanique quantique, mais dont les applications s'étendent à des domaines aussivariés que les équations aux dérivées partielles, la théorie des représentations des groupes et la théorie des nombres.
"Pour faire des découvertes, le mathématicien est obligé de renverser tous les tabous Trouver quelque choses enmathématiques, c'est vaincre une inhibition et une tradition.
On ne peut pas avancer si on n'est pas subversif" , déclarait-il en 1997.
Il ajoutait, dans un saisissant parallèle : "C'est une révolution qui a quelque chose à voir avec la chute du mur de Berlin.
Soudain, on se dit : ça ne va plus, il faut que je change...
Au début, c'est assez difficile, mais, dès que l'on acommencé, on s'aperçoit que le changement est libérateur.
Je crois que le public ne sait pas assez cela : il se représentetrop les mathématiques comme quelque chose de figé ou d'achevé."
Dès lors, hormis les innombrables escapades destinées à enrichir son extraordinaire collection de papillons (20 000 spécimensau bas mot), la vie de Laurent Schwartz s'organisera selon une sorte de "distribution" alternative : la subversion scientifique par lesmathématiques, la révolte contre toutes les oppressions par l'engagement militant, fût-il hors parti depuis plus d'un demi-siècle.Préfigurant en quelque sorte les organisations non gouvernementales actuelles, armé de sa notoriété scientifique et jouantpleinement de son influence considérable dans cette communauté sans frontières, il aura fondé et présidé la plupart des comitésqui ont alerté, mobilisé et mené la lutte contre les guerres coloniales.
Ce fut, bien sûr, d'abord, la guerre d'Algérie, obsédante au point de tarir, au tournant des années 1960, toute disponibilité pourla recherche mais qu'il avait choisi de dénoncer inlassablement et qui lui faisait écrire, en 1997 : "Je suis profondément convaincu d'avoir été, par ma seule personne, par mes activités acharnées et débordantes, un facteur non négligeable dela paix en Algérie.
Un facteur, rien d'autre, mais plus qu'une goutte d'eau dans l'océan."
Puis vinrent la guerre américaine au Vietnam, l'intervention soviétique en Afghanistan et, plus récemment en Tchétchénie, sansoublier le Comité des mathématiciens qui, dix ans durant, batailla pour obtenir les libérations de Pliouchtch, Chtcharanski et biend'autres scientifiques en URSS, dans les pays de l'Est, mais aussi au Maroc, en Uruguay, ailleurs encore.
Avec ce credo : "Je n'ai cessé de penser que la morale en politique était quelque chose d'essentiel, tout comme les sentiments ou lesaffinités." "Il militait comme il faisait des maths, avec la même rigueur intellectuelle", témoigne Michel Broué, "disciple" et compagnon de ces combats depuis les années 1970.
Toujours, pourtant, le chercheur, l'enseignant, l'homme de science a repris le dessus.
Aussi déterminé à dénoncer, en 1977, lacrise du système français de formation d'ingénieurs et de sa clef de voûte, l'Ecole polytechnique, qu'il avait pu l'être à dénoncer latorture sous toutes les latitudes.
Aussi décidé, en 1982, dans son rapport à la commission du bilan mise en place par FrançoisMitterrand, à dénoncer les carences de l'enseignement français, l'impasse du collège unique, l'inadaptation de la recherche.
Aussidéterminé à bousculer les tabous, entre 1985 et 1989, lorsqu'il met en place et préside le Comité d'évaluation des universités,déplorant sans ménagement que la moitié des universitaires ne fassent pas de recherche ou n'hésitant pas, six mois après lemouvement anti-Devaquet, à prôner la sélection des étudiants sur dossier et entretien pour l'entrée dans les "premiers cyclesuniversitaires préparatoires aux études longues".
"J'ai toujours voulu "changer le monde", changer la vie.
Je suis resté un réformateur que toute structure défectueuse et sclérosée tracasse", écrivait-il en 1997.
Restera, enfin, pour des générations d'étudiants, d'élèves de l'X ou de chercheurs le souvenir de "son charme incroyable quand il enseignait les mathématiques".
"C'est quelqu'un qu'on aimait", conclut sobrement Michel Broué.
GERARD COURTOIS Le Monde du 10 juillet 2002
CD-ROM L'Histoire au jour le jour © 2002, coédition Le Monde, Emme et IDM - Tous droits réservés.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Schwartz, Laurent - mathématiques.
- mathématiques : or dr e sur les gr ands nombr es Tu recopies ces questions et tu y réponds : Quel est le plus grand nombre de 5 chiffres terminé par 8 ?
- Schwartz Laurent, né en 1915 à Paris, mathématicien français.
- Une soirée perdue (extrait) J'étais seul l'autre soir au Théâtre-Français, Ou presque seul ; l'auteur n'avais pas grand succès.
- Schwartz, Laurent - sciences et techniques.