Devoir de Philosophie

La « troisième voie » britannique : exemple ou exception ?

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

7 juin 2001 LE pari électoral engagé par Tony Blair lorsqu'il a pris le contrôle, en 1994, d'un parti démoralisé après quatre défaites consécutives n'était pas seulement de mettre un terme à cette série noire. Il était aussi de redonner le pouvoir aux travaillistes pour une longue période. Stratégiquement, il s'agissait, en plaçant le Labour Party au centre de l'échiquier politique et en combattant simultanément les « conservatismes » de droite et de gauche, d'affaiblir et d'isoler durablement le Parti conservateur. Idéologiquement, le projet de la « troisième voie » consistait à reprendre certains des thèmes du radicalisme thatchérien (baisse des impôts, désengagement de l'Etat et dérégulation, loi et ordre...) tout en insistant sur les valeurs socialistes de liberté, d'égalité des chances et de solidarité. L'ambition de ce projet dépassait le cadre britannique. Face aux défis de la mondialisation, Tony Blair et le théoricien de la « troisième voie », Anthony Giddens, ont prôné un profond aggiornamento de la social-démocratie internationale, seul capable, selon eux, de lui permettre d'échapper au dilemme électoral dans lequel elle s'est enfermée et de lui garantir à la fois le soutien des classes moyennes et celui des couches populaires. Dans leur vision, la mondialisation est une chance et non pas un risque. Cette chance ne peut être saisie que par l'établissement d'un partenariat durable avec le « Business », la réunion des deux grandes traditions « progressistes » que sont la tradition socialiste et la tradition libérale, et une politique de justice sociale et de lutte contre les discriminations. La « troisième voie » constituait ainsi à leurs yeux la seule alternative à la « vieille » social-démocratie. Tony Blair est-il en passe de gagner ce double parti stratégique et idéologique ? Tous les sondages d'intentions de vote laissent prévoir une large victoire du Parti travailliste. Les travaillistes, qui avaient obtenu 45 % des suffrages et 419 sièges sur 659 en 1997, sont crédités par les instituts de sondages d'un score en voix au moins égal et pourraient perdre au plus une soixantaine de sièges, ce qui leur laisserait une large majorité au Parlement. Le Parti conservateur, suivant ses propres tropismes anti-européens, s'est replié sur une position de « parti national anglais » et son leader, William Hague, lui- même très peu populaire, a incarné ce repli et cet isolement de son parti. Malgré une érosion réelle de sa popularité, le pari électoral de Tony Blair semble donc en passe d'être gagné. Le 7 juin, les élections générales risquent cependant, malgré le bon bilan gouvernemental en matière d'inflation, de chômage et de développement économique, de ne pas être une marche triomphale pour Tony Blair. Pour des raisons conjoncturelles tout d'abord. La crise de la fièvre aphteuse constitue aujourd'hui pour les deux tiers des Britanniques la préoccupation essentielle, et le gouvernement n'a pas démontré qu'il avait la pleine capacité de la maîtriser. Au-delà de la conjoncture immédiate, le gouvernement est confronté aux désillusions d'une grande partie du corps électoral et au mécontentement croissant à l'égard du fonctionnement des services publics dans les secteurs de la santé et surtout des transports en commun. Cette situation a ranimé les querelles internes au sein du Parti travailliste. Une centaine de députés travaillistes, libéraux-démocrates et gallois viennent de voter, contre l'avis du gouvernement, une motion réclamant la renationalisation des chemins de fer, soutenue par une majorité de l'opinion publique. Ken Livingstone, de tendance Old labour et récemment exclu du Parti travailliste, dont l'élection l'an dernier à la mairie de Londres avait été un véritable camouflet pour Tony Blair, s'oppose devant la justice aux projets gouvernementaux de privatisation partielle du métro de Londres. Le mécontentement d'une partie de l'électorat dans ces domaines pourrait peser sur le scrutin en se traduisant par une forte abstention différentielle au détriment des travaillistes. Ce fut déjà le cas lors des élections européennes de 1999. La faible participation (24 %) avait même entraîné une lourde défaite des travaillistes qui, avec 28 % des suffrages exprimés, étaient arrivés derrière les conservateurs alors que les sondages leur annonçaient une nette victoire. Il est donc possible que l'abstention dépasse largement, le 7 juin, le niveau atteint lors des élections législatives de 1997. Dans ce cas, une telle poussée abstentionniste, en admettant qu'elle ne prive pas les travaillistes de la victoire, pourrait cependant nuire gravement à l'image de la « troisième voie » dans le mouvement socialiste international. Le pari de la « troisième voie », qui vise à gagner au New Labour le soutien des classes moyennes tout en lui conservant son identité de parti populaire, et à résoudre ainsi le dilemme électoral de la social-démocratie, aurait alors pour partie échoué. Les adversaires du blairisme au sein du mouvement socialiste international se sentiraient confortés dans leurs critiques. Pour autant, il n'est pas sûr qu'eux-mêmes détiennent la solution du dilemme. Pour la social-démocratie gouvernante, « vieille » ou « nouvelle », son rapport avec les couches populaires, dans une économie globalisée, demeurera de toute manière un enjeu majeur.

« CD-ROM L'Histoire au jour le jour © 2002, coédition Le Monde, Emme et IDM - Tous droits réservés. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles