La première guerre du XXIe siècle
Publié le 17/01/2022
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Dès le début de l'éclatement de la Fédération yougoslave, en 1992, l'Américain James Baker, alors l'un des plus prochesconseillers du président George Bush, avait lâché, méfiant et un tantinet méprisant : "Nous n'avons pas de chien dans cetteaffaire." Autrement dit, "nous n'avons rien à y faire".
Et M.
Bush ne fera rien, avançant qu'il revient aux Européens de s'occuperde leur arrière-cour méridionale.
Au fil du premier mandat du président Bill Clinton, même réticence et même réserveaméricaines.
Il faudra nombre de supplications européennes pour que les Etats-Unis, face à l'étendue des horreurs, s'occupentdes Balkans.
Ils y sont venus à reculons.
Comme les Européens, les Etats-Unis finiront par réagir devant le drame humain.
Ilsengagent, à leur tour, leur crédibilité dans les Balkans et, plus encore, celle de l'OTAN.
Une fois la menace soviétique disparue, comment justifier l'OTAN ? Comment maintenir l'Alliance atlantique, ce pacte dedéfense collective euro-atlantique qui fait des Etats-Unis une puissance européenne (ce qu'ils entendent rester) ? En lui donnantune nouvelle raison d'être : gérer les crises d'après guerre froide ; des crises du type Kosovo précisément.
C'est que le conflit duKosovo n'intervient pas seulement quelques mois après le lancement de l'euro, mais quelques mois aussi avant le 50e anniversairede l'OTAN.
Critiquée, dénoncée pour s'être révélée incapable de faire rapidement céder M.
Milosevic et, plus encore, d'enrayer l'épurationethnique, la stratégie des frappes aériennes est aussi une décision commune aux Américains et aux Européens.
En revanche, laconduite même des frappes est confiée au commandant en chef de l'OTAN, l'Américain Wesley Clark ; la majorité desopérations de bombardements sont accomplies par les Etats-Unis.
Les Européens - principalement la France et la Grande-Bretagne - ne représenteront que le quart des forces aériennes engagées.
La leçon est claire : l'Europe, qui a magistralement lancél'euro quelques mois plus tôt, est sans vraie défense commune.
Elle est incapable d'aligner la force que requiert l'option aérienne ;pas plus qu'elle n'aurait été en mesure, sans les Etats-Unis, de monter une opération terrestre d'envergure en très peu de temps.
Même chez eux, les Européens n'ont pas - pas encore - les moyens militaires de leur diplomatie.
Le Kosovo confirme cetteréalité et aussi le fait qu'elle chagrine plus les Français que la plupart de leurs partenaires européens.
Le Kosovo manifesteégalement cette exception française : il n'y a qu'en France que la participation massive des Etats- Unis dans "Force alliée" suscitepareil rejet chez une partie - une partie seulement - des élites.
Ceux-là mêmes qui stigmatisent la prépondérance des Etats-Unisen Europe, et dans "Force alliée" en particulier, refusent les délégations de souveraineté que supposerait l'Europe de la défense,seule en mesure de compenser l'influence américaine qu'ils dénoncent...
Exception française encore à Washington, les 24 et 25 mars, quand se réunit en pleine crise kosovare le sommet de l'OTAN.Les dix-neuf membres de l'Alliance doivent adopter un "nouveau concept stratégique".
Les Etats-Unis entendent faire du Kosovoun précédent, à codifier en règle générale pour l'avenir.
Les frappes ont été décidées sans autorisation expresse du Conseil desécurité de l'ONU.
Les Etats-Unis veulent que l'OTAN puisse ainsi, à l'avenir, se saisir d'une crise sans avoir obligatoirement àen passer par l'ONU.
Les Etats-Unis n'entendent pas que l'OTAN puisse être l'otage d'un veto russe ou chinois au Conseil.
LaFrance dit non : pas question de marginaliser l'ONU, seule expression de la communauté internationale dans son ensemble.
Aubout d'une bataille menée dans une glorieuse solitude, la France obtient des Etats-Unis que le document du "nouveau conceptstratégique" fasse de fréquentes références à l'ONU.
Ce fut une bataille de principes conduite dans le contexte du Kosovo, crise qui marque un tournant radical de la pratiqueinternationale.
La guerre y a été déclenchée par l'OTAN, organisation de défense collective dont aucun des membres n'étaitmenacé par la République fédérale de Yougoslavie (RFY).
Contrairement au cas de la Bosnie (pays souverain, agressé depuisl'extérieur et qui avait appelé à l'aide), la RFY, si elle était coupable de crimes contre l'humanité dans l'une de ses provinces, nemenaçait cette fois aucun de ses voisins.
Le principe de la souveraineté des Etats (en l'espèce la RFY) a été singulièrement ébranlé, de même que celui du respect desfrontières, deux dogmes de base de la communauté internationale.
Ils furent, au Kosovo, défaits au nom de celui du respect desdroits de l'homme.
ALAIN FRACHON Le Monde du 12 mai 1999
CD-ROM L'Histoire au jour le jour © 2002, coédition Le Monde, Emme et IDM - Tous droits réservés.
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