La porte de notre enfer s'ouvre !
Publié le 17/01/2022
Extrait du document
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Nous nous attelons à la tâche, mais les malades ne nous la facilitent pas.
Elles se disputent et hurlent pour les vétilles.
La discipline, jusqu'à présent fondée sur la terreur et la peur des coups, est complètement relâchée.
Nous ne pouvons agir quepar la persuasion : les résultats sont minimes au regard d'efforts immenses.
Dimanche 21: " Ils " font leur réapparition dans le camp et ordonnent aux " aryennes " de les suivre " car demain ou après-demain les Russes seront là ".
Personne n'obéit.
Ils partent accompagnés de nos rires ironiques et lancent en guise d'adieu :" Attendez les Russes, vous verrez comment on meurt de faim chez eux.
" Cette fois ils laissent le portail du camp largementouvert.
Toutes celles qui tiennent debout s'y précipitent.
Comme hypnotisées, nous nous en approchons et le franchissons.
Nous noustâtons les bras, le dos, pour nous persuader que nous ne rêvons pas.
Nous sommes libres !
La porte du camp est ouverte mais nous n'osons pas nous aventurer au-dehors.
Les grondements des canons se rapprochent.La vie continue dans un demi-désordre quand la nouvelle se répand à la vitesse de l'éclair qu'on a trouvé des magasins pleins devivres et de vêtements à quelques centaines de mètres de là.
Le pillage dure jour et nuit.
Les malades, même les plus atteintes, ycourent.
Impossible de les en empêcher.
Il arrive qu'en rentrant, chargées de baluchons, elles s'effondrent sur le seuil du bloc etmeurent.
Beaucoup d'autres périssent par ...excès de nourriture.
Mercredi 24 : alors que nous nous croyions définitivement débarrassés des Allemands, voilà que surgit, dans l'après-midi, ungroupe important de SS et de civils, les fameux " triangles verts " qui remplissent les fonctions de " kapos " et de tueurs.
Ilsconvoquent la responsable du camp et lui ordonnent de réunir toutes les juives, valides et malades.
Nous voyons avec stupeurJankowska-une détenue polonaise " aryenne " que nous avons élue quelques jours plus tôt aux fonctions de chef provisoire ducamp-venir vers nous et nous dire : " Les Allemands vous ordonnent de vous réunir sur la place devant l'entrée vous ne pouvezque les suivre.
" Jankowska fait partie d'un groupe polonais nationaliste organisé dans l'enceinte du camp.
D'un même mouvement, nous la bousculons et, lui tournant le dos, nous courons par la sortie arrière du bloc, qui donne du côtéde l'infirmerie des hommes, vers notre ami et camarade Adolphe Schilling, vieil antifasciste allemand détenu dans les prisons etcamps depuis 1933, après l'incendie du Reichstag.
Sans hésiter un instant, Adolphe nous cache dans un réduit de son camp connu de lui seul et nous y installe pour la nuit.
Il vaensuite chercher dans le camp de femmes les autres camarades de notre groupe.
Elles nous apprennent qu'après notre fuiteJankowska a réuni quelques dizaines de femmes juives et les a livrées aux Allemands.
Nos camarades se sont cachées dans leslits des malades.
Nous restons dans notre abri trois nuits et deux jours d'interminable attente.
Deux soldats barbus
Samedi 27 au matin : un calme étrange nous enveloppe.
Soudain, Adolphe accourt nous annoncer qu'il a vu des Soviétiques àla porte du camp.
Nous nous précipitons dehors.
Deux soldats barbus et boueux sont devant nous.
Nous nous jetons à leur couet nos larmes jaillissent.
Ils se sont battus six jours et six nuits sans répit avant de nous atteindre.
Avec eux, une vie nouvelle commence.
Les soviétiques font creuser des fosses et enterrer les cadavres.
On en transporte unepartie à Auschwitz pour autopsie.
Des vivres et des médicaments apparaissent.
Les malades sont transférés au camp centrald'Auschwitz dans des voitures à cheval où on les installe à deux ou trois.
Nous les suivons.
Birkenau est déserté.
Désertée, cette terre imprégnée de sang, de larmes et de traces des pas des millions de martyrs que lemonde n'a pas le droit d'oublier!
Les Polonais, les Russes, les Hongrois, tous ceux qui le peuvent, rentrent chez eux.
Mais la guerre n'est pas finie et la route denotre rapatriement reste coupée.
De notre plein gré, nous décidons de continuer à soigner nos malades sous la direction desmédecins de l'armée rouge.
Nous travaillons ainsi deux mois au bloc 19 d'Auschwitz, avec un groupe de détenus français.
LesSoviétiques entourent les malades de soins attentifs, nourrissent les plus gravement atteints avec des plats envoyés du mess desofficiers.
De nombreux malades peuvent quitter le Revier en voie de rétablissement.
Au mois de mars, les autorités militaires soviétiques font des obsèques grandioses et symboliques à toutes les victimes de labarbarie hitlérienne exterminées dans le camp d'Auschwitz et ses annexes.
On transporte ensuite les grands malades dans leshôpitaux de Katowice.
Nous y allons également dans un dernier convoi..
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